Au Burkina, la porte pour la France, le tapis rouge pour la Russie

Au Burkina, la porte pour la France, le tapis rouge pour la Russie
Au Burkina, la porte pour la France, le tapis rouge pour la Russie

Africa-Press – Burkina Faso. Après le Mali, c’est au tour du Burkina Faso de pousser dehors l’armée française. Les raisons de ce scénario du pire pour l’Hexagone.

La France est en très mauvaise posture dans le Sahel. On est loin de l’euphorie qui a suivi la victoire sur les djihadistes à la fin de l’opération Serval en janvier 2013, avec son cortège de vivats adressés au président François Hollande en visite au Mali. L’heure est désormais à la méfiance vis-à-vis de la France soupçonnée de ne pas jouer franc jeu. La rue burkinabè n’échappe pas à cette réalité. Au Burkina Faso (« Pays des hommes intègres »), la situation s’est d’autant plus dégradée que deux coups d’État se sont produits en huit mois : le premier en janvier 2022 avec à la manœuvre le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, et un deuxième en septembre avec comme chef des putschistes le capitaine Ibrahim Traoré. À l’origine de ces coups de force : le sentiment que le pouvoir en place n’en faisait pas assez pour appuyer les forces de sécurité. Un sentiment qui s’accompagne d’interrogations de plus en plus nombreuses sur l’utilité, l’efficacité, voire la pertinence de la présence de troupes françaises dans le Sahel. Cela a amené les autorités du pays à dénoncer l’accord de 2018 qui permettait le stationnement de 400 membres des forces spéciales françaises de l’opération Sabre dans un cantonnement aux environs de Ouagadougou.

En août 2022, le Premier ministre d’alors, Albert Ouédraogo, avait répondu à la télévision nationale qui lui demandait son opinion sur les revendications de ceux qui prônaient une rupture avec la France au profit de la Russie : « Il y a effectivement des questions à se poser. Je comprends leurs revendications. C’est vrai que la France est un partenaire historique, c’est le premier partenaire même en termes de chiffres. Mais il faut également dire, comme l’avait dit un devancier que “l’aide doit aider à assassiner l’aide”. Si depuis des années, cette aide, cette coopération n’a pas permis d’assassiner l’aide, il faut se poser des questions. Je suis tout à fait d’accord qu’aujourd’hui il faut revoir cette coopération. » Appliquée au domaine militaire, cette analyse tend à conduire à penser que la coopération doit être revue de fond en comble. C’est de souveraineté sur son territoire qu’il s’agit pour l’armée burkinabè.

Dans un contexte de coup d’État, il est important pour les putschistes de soigner leur popularité. S’appuyer sur la défiance des populations à l’endroit de la France est un moyen facile et bon marché. La junte entend montrer qu’elle veut rompre avec la France, ex-puissance coloniale qui considérait jusqu’à récemment nombre de pays de son ex-Afrique occidentale française (AOF) comme son pré-carré. Déjà, le jeudi 18 novembre des manifestants avaient bloqué un convoi militaire français à Kaya en arborant des slogans « France, dégage », ou « À bas la France ». Après trois jours, les militaires avaient dû rebrousser chemin. Un fait inédit. Autre fait marquant : les incendies d’octobre dernier qui ont visé l’ambassade de France ainsi que les Instituts français de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso pendant le second coup d’État : les manifestants soupçonnaient le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba de s’être réfugié dans un camp français.

Du point de vue du gouvernement burkinabè, le départ des militaires français traduit la volonté de mener la guerre en toute souveraineté contre les djihadistes. C’est ce qu’a expliqué le porte-parole du gouvernement burkinabè, Jean Emmanuel Ouédraogo. « Les autorités françaises ont toujours souligné le sacrifice que représente l’engagement de la France au Sahel de façon générale y compris au Burkina Faso […]. La vision de la transition aujourd’hui, c’est que ce sont les Burkinabè eux-mêmes qui vont consentir le sacrifice, pour la libération de notre territoire, pour la reconquête de l’intégrité du territoire mais aussi pour la refondation […] nous comptons sur nos propres ressources pour gagner cette guerre », a-t-il dit.

À qui va profiter le changement de stratégie ? Les yeux se tournent vers ces pays qui ont décidé de faire de l’Afrique un autre terrain de leur confrontation avec les Occidentaux : la Chine, la Turquie et la Russie. En décembre, deux mois après le deuxième putsch, le Premier ministre de la transition, Apollinaire Kyélem de Tambèla, a séjourné au pays de Vladimir Poutine. Il y a rencontré les autorités russes et accordé un entretien à la chaîne RT France.

Interrogé sur les relations entre Moscou et Ouagadougou, le Premier ministre a répondu : « À l’heure actuelle, les relations ne sont pas très poussées. Par le passé, nous avions des relations beaucoup plus suivies mais qui, par la suite, se sont détériorées. Nous aimerions que ces relations se renforcent davantage. C’est la raison de ma présence ici à Moscou. » À la question de savoir quels domaines de coopération il souhaiterait développer, il a répondu : « tous les domaines possibles » et notamment « un soutien de la Russie dans la lutte contre les djihadistes ». Mais contrairement au Mali voisin, aucun accord sécuritaire n’a pour l’instant été annoncé avec la milice russe Wagner.

« Nous aimerions que la Russie prenne la place qui lui revient en tant que grande nation dans mon pays », a expliqué le Premier ministre, citant en particulier la production de médicaments. « Pourquoi les Russes ne viendraient-ils pas ouvrir une usine de pharmacie au Burkina ? […] Tous les champs sont ouverts. Nous souhaiterions avoir plus de produits russes au Burkina pour diversifier notre partenariat et ne pas être seulement lié aux Occidentaux », a-t-il dit avant d’aborder la question de la sécurité alimentaire. « Nous ne produisons pas de blé alors que nous en consommons. À court terme, nous aimerions que la Russie nous aide en nous fournissant du blé mais à moyen terme nous voulons cultiver le blé chez nous-mêmes. […] Nous aimerions aussi que la Russie nous fournisse de l’engrais. »

De l’aide, oui, mais dans un sillon menant à une autonomie, à une vraie indépendance, bref à une souveraineté véritable. Apollinaire Kyélem de Tambèla a ainsi marqué son intérêt pour l’enseignement du russe dans les écoles à côté du français, langue officielle du Burkina, et pour l’établissement d’un vol direct Moscou-Ouagadougou pour faciliter le flux des déplacements entre les deux pays.

Est-ce à dire que le Burkina Faso souhaite remplacer la France par la Russie ? Dans son entretien à la chaîne RT France, le Premier ministre burkinabè a démenti. « Notre objectif est de toujours avoir en plus, de disposer de plus d’options. Pas que quelqu’un vienne remplacer quelqu’un d’autre », a-t-il dit. Il n’y a pas non plus d’exclusivité. Ainsi de l’Iran, dont le vice-ministre des Affaires étrangères, Ali Bagheri Kani, a été reçu le 20 janvier à Ouagadougou par son homologue burkinabè, Olivia Rouamba.

Ces bouleversements vont-ils ouvrir une fenêtre dont les djihadistes pourraient profiter ? « Non », a répondu Jean Emmanuel Ouédraogo, ministre porte-parole du gouvernement, dans un entretien accordé à la télévision nationale burkinabè. « Le seul vide qui puisse être laissé dans cette guerre contre le terrorisme, c’est celui que les Burkinabè auront eux-mêmes laissé », a-t-il poursuivi.

Qu’en pensent les pays voisins, qui pourraient s’inquiéter pour leur sécurité ? Si du côté du Mali la remise en question de la relation avec la France est susceptible d’être applaudie, du côté du Niger, pays membre du G5 Sahel et partageant une frontière avec le Burkina, de la Côte d’Ivoire et du Sénégal, pays où sont stationnées des forces françaises, le niveau de vigilance va être sérieusement relevé. Encore sur une trajectoire démocratique, ces pays restent des remparts à l’avancée djihadiste. On peut néanmoins se demander combien de temps ils tiendront. Une nouvelle ère, pleine d’incertitudes, s’ouvre au Sahel, sur fond de confrontation géopolitique et d’aspiration des populations à de nouveaux modèles. Une évolution qui doit être suivie avec attention.

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