Burkinabè et Ghanéens à la frontière sans reconnaissance

Burkinabè et Ghanéens à la frontière sans reconnaissance
Burkinabè et Ghanéens à la frontière sans reconnaissance

Africa-Press – Burkina Faso. Hamile, frontière Ghana–Burkina Faso. À l’extrémité d’une route poussiéreuse, un pont réunit deux pays mais une seule communauté. Les habitants passent d’un côté à l’autre pour le commerce, les mariages ou la famille. Ici, l’identité est fluide. Pourtant, face aux autorités, une réalité plus dure surgit: sans papiers, ces vies entières deviennent administrativement invisibles.

Une vendeuse du marché, née au Ghana et n’ayant jamais quitté sa région, a tenté d’inscrire son fils aux examens scolaires. Le directeur lui a demandé un acte de naissance et la Ghana Card, un document aujourd’hui indispensable. Elle n’a aucun de ces justificatifs.

« Tout ce que je suis, c’est ici », murmure-t-elle. « Mais on me dit que je ne peux pas le prouver. »

Cette situation n’est pas isolée. Des milliers de familles vivant entre le Ghana et le Burkina Faso partagent un quotidien transfrontalier mais se retrouvent sans identité légale reconnue.

Les anciennes délimitations coloniales ont coupé des peuples unis par les langues, la culture et les liens de sang. Depuis, les systèmes administratifs ont remplacé la force par les formulaires, mais les exclusions demeurent.

L’obtention de la Ghana Card exige des documents de base, rarement disponibles dans les villages reculés. Les centres d’enregistrement sont éloignés, difficiles d’accès et les démarches longues.

« On ne devrait pas confondre identité et papiers », analyse Cassadee Orinthia Yan, chercheuse à la Maslow Quest Foundation. « Ce n’est pas parce qu’une existence n’a jamais été enregistrée qu’elle n’est pas réelle. Pourtant, l’État ne reconnaît que ce qu’il peut vérifier. »

Selon elle, cette situation crée une citoyenneté à deux niveaux: celle qui apparaît dans les registres et celle qui existe seulement aux yeux de la communauté.

Une invisibilité qui coûte cher

L’absence de documents empêche certains élèves de passer leurs examens. Des agriculteurs se voient refuser l’accès aux subventions d’engrais. Des enfants nés au Ghana, mais dont l’un des parents est Burkinabè, doivent multiplier les preuves pour obtenir la nationalité ghanéenne.

À Hamile, un représentant local résume d’une phrase: « Les familles et la vie quotidienne ne s’arrêtent pas à la frontière, mais l’administration s’arrête là où le pont commence. »

La libre circulation prônée par la CEDEAO se heurte ainsi à la rigidité des systèmes d’identification modernes. Une ligne invisible sépare les personnes reconnues de celles qui ne le sont pas.

Des efforts en cours, mais une confiance fragile

Les autorités ghanéennes assurent que des améliorations sont en cours: relance de l’impression des cartes, équipes mobiles dans les zones rurales, campagnes soutenues par l’UNICEF pour accroître la déclaration des naissances.

Cependant, les retards accumulés et le sentiment de favoritisme ont affaibli la confiance des populations concernées. Malgré la modernisation, beaucoup ont l’impression que la promesse d’égalité reste inaccessible.

« La technologie n’a de valeur que si elle est équitable », rappelle Yan. « Si les citoyens pensent qu’il faut connaître quelqu’un pour obtenir une carte, tout le système se délite. »

La course à la numérisation en Afrique de l’Ouest peut, sans inclusion, renforcer les fractures héritées de l’histoire.

Vivre pleinement ici et là-bas… mais officiellement nulle part

Quand le marché s’éteint dans la lumière rouge du soir, la commerçante reprend le chemin de sa maison, un pied au Ghana, l’autre au Burkina Faso. Pour sa famille, les frontières n’ont jamais été un obstacle. Pour l’État, elles définissent toute son existence.

« Je retournerai le mois prochain », dit-elle en serrant son dossier. « Peut-être qu’ils écriront enfin mon nom quelque part. »

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