Inflation des prix : le cri de cœur d’une population désespérée

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Inflation des prix : le cri de cœur d’une population désespérée
Inflation des prix : le cri de cœur d’une population désespérée

Africa-Press – Burundi. Face à la flambée récurrente des prix des produits de première nécessité, la population ne sait plus à quel saint se vouer. Plus inquiétant, le « silence » de l’autorité publique. Face à l’urgence de la situation, la population espérait des mesures pour la soulager. Entre-temps, des ménages se meurent, se disloquent…

Exacerbée, dépitée… La question n’est plus de joindre les deux bouts du mois. Un mois c’est long. Pour la plupart des habitants de la capitale économique, désormais, la question est de survivre au quotidien. « Tel que nous le recommande le Seigneur Jésus Christ dans Notre Père », s’amuse André, un employé de la Mairie de Bujumbura, amaigri par les privations. Pour lui, la devise de l’actuel gouvernement « chaque bouche doit avoir à manger et chaque poche de l’argent » n’est qu’une illusion. Dorénavant pour lui, comme pour de nombreux Burundais, chaque jour suffit sa peine.

Avoir de quoi mettre sous la dent est un dur combat. Ainsi, pour rester la tête hors de l’eau, comme si l’on donnait raison à l’expression en vogue : « Ntawuba i Bujumbura kuko abishaka, haba ababishoboye, littéralement « Habiter Bujumbura n’est pas donné à tout le monde, seuls les plus capables peuvent s’offrir ce luxe », cette catégorie de gens à l’affût du pain quotidien, rivalise d’ingéniosités.

Entre réductions des dépenses familiales et roublardise, le menu est varié. « Après tout, la fin justifie les moyens », dit-on.

Hassan est un de ceux encore débout. Enfin, tant bien que mal. Chauffeur de bus de transport, grâce aux revenus qu’il mettait de côté, il s’est acheté une moto. Un autre gagne-pain, avance-t-il qui lui permettait d’arrondir ses fins du mois. Toutefois, avec la mesure du ministère de l’Intérieur de les restreindre à la périphérie de Bujumbura, elle a entraîné le début de sa galère. « Entre le loyer, le minerval des enfants, la ration de chaque jour, il faut choisir le » moindre mal » », glisse-t-il non sans amertume.

Pour s’en sortir, chez lui ils ont dû faire une croix sur le riz. Oublié le pain au petit déjeuner. « Bien sûr, une décision prise de commun accord avec les enfants », s’empresse-t-il de préciser, un sourire dans le coin.

Il explique qu’il ne mange le riz que deux fois dans la semaine, les autres jours, l’honneur est à la pâte de maïs. Moins cher. « Un choix judicieux : avec un kg de riz à 3500 BIF, on peut acheter un 1kg de mais à 2000BIF pour rester avec un peu d’argent pour acheter du charbon de bois ».

Survivre à tout prix

Dans cette quête pour la survie avec une inflation galopante, les bailleurs des maisons sont les premières victimes. La preuve, si l’on s’en tient à la confidence d’un juge du Tribunal de résidence de Mukaza, de nombreux procès sont en cours d’instruction. Ils opposent locataires et bailleurs. De quoi plus normal, explique Alain, fraîchement marié, lorsque la flambée des prix ne va pas de pair avec l’augmentation des salaires. Natif de Bwiza, après 8 mois de mariage, il envisage de louer une autre maison plus petite. « La seule issue pour ne pas retourner chez mes parents ».

Devenue une adresse pour tous les chômeurs de Bujumbura, la place communément appelée « Bata » (tout près du Kiosque Coca-Cola en face de l’ancien Marché central), suite aux rafles policières perd petit à petit sa cote.

Les chômeurs préfèrent les environs des banques. En effet, raconte Aloys*(pseudonyme), un agent de sécurité à la Bancobu, depuis peu, dans l’espoir de rencontrer une âme charitable, certains chômeurs avertis se postent devant l’entrée des banques.

« Comme stratégie, ils s‘assoient dans le hall d’entrée de la banque, feignant d’être des clients. Ils épient la moindre connaissance venue retirer de l’argent pour l’attendre à la sortie et quémander un peu de sous.

Une tactique, semble-t-il très payante. « A coup sûr, à défaut d’un billet de 10 mille BIF, celui de 5 mille BIF ne peut pas manquer ». Et d’après Kana, une stratégie, qui l’a tiré du pétrin plus d’une fois. « En un clignement d’œil, via Ecocash ou Lumicash, tu es sûr qu’une fois de retour à l’école, les enfants ne vont pas manquer de quoi mettre sous la dent ».

La bienveillance à la rescousse

Certains ne respirent encore que grâce à la bienveillance légendaire des Burundais. Le cas des écoliers des quartiers surplombant le sud et le nord de la capitale, qui chaque jour à 13h pile, convergent vers les zones urbaines “huppées” de Kinanira III et Rohero, en est la preuve vivante. « Quoi faire d’autre lorsqu’un enfant de retour de l’école sous un soleil de plomb, toque sur ton portail pour te dire qu’il a faim. Surtout qu’il n’envisage pas de rentrer chez lui parce qu’ils n’ont pas préparé à manger » raconte une sexagénaire à la retraite, habitant à Bwiza. Pour elle, à ce moment, l’urgence, c’est d’apporter assistance à la personne en danger.

Le hic, déplore-t-elle, c’est que depuis des jours, même les parents à la maison commencent à se joindre à eux. A cette galère d’avoir à manger, certaines familles en font quotidiennement les frais. Habitant, quartier Heha, John*(pseudo), conducteur de taxi-voiture, est une de ces victimes. Pour des différends irréconciliables avec son épouse, il explique qu’il a fini par lâcher du lest.

Pour le moment en chômage technique après que son patron ait vendu le taxi, il explique que du jour au lendemain, sa femme a changé de mine. « Lorsque tu passes une semaine sans la toucher à cause du stress, et que vous ne mangez plus correctement, votre femme commence à vous accusez d’entretenir une maîtresse » C’est ce qui lui est arrivé. Ce fut le début de son calvaire. « Du coup, elle a changé de comportement en rentrant tard dans la soirée ». En tant qu’homme digne, explique-t-il, des écarts que je ne pouvais plus tolérer. Seul avec ses trois enfants, avec le coût du loyer, et d’autres frais, il projette de rentrer vivre à Muyinga. « Au moins, je serai sûr que mes enfants ne manqueront pas de quoi manger ».

Selon une enquête de l’Institut de statistiques et d’études économiques du Burundi (Isteebu) sur les indices des prix à la production agricole au Burundi du mois d’octobre 2022, les prix des produits ont enregistré une variation en augmentation de 6,3% pour le mois d’octobre 2022 contre une augmentation de 1,5% pour le mois de septembre 2022. Pour les céréales, indique l’Isteebu, on observe une hausse de 17,3%. « Les produits qui ont beaucoup influé à cette augmentation sont le maïs (20,9%) ; le blé (20,8%) et le riz paddy (14,6%). »

D’après cette enquête, les tubercules et les racines ont manifesté une augmentation de 10,3 % au mois d’octobre contre une diminution de 1,5% pour le mois de septembre 2022. « La classe des légumineuses a subi une hausse de 15,5% pour ce mois de septembre par rapport au mois de septembre (8,7%). »

Les chiffres de la Banque de la République du Burundi (BRB) montre un taux d’inflation de 20,9% au mois de septembre 2022 contre 10,5% le même mois en 2021. Le taux d’inflation était de 7,5% alors qu’en 2021, il était à 8,33%.

Contacté pour savoir ce qui est en train d’être fait pour faire face à cette flambée des prix des denrées alimentaires, Onésime Niyukuri, porte-parole du ministère du Commerce n’a pas voulu faire trop de commentaires, arguant qu’il s’est déjà exprimé sur cette question.

Evolution du taux d’inflation (% annuel)

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Faustin Ndikumana : « Sans un leadership fort, le Burundi ne peut pas avancer »

« Le Burundi actuellement n’a pas encore un ordre de gouvernance qui lui permet d’avoir des institutions efficaces, efficientes capables de faire face aux problèmes de la gestion de la Nation. Là je le dis ouvertement », analyse Faustin Ndikumana, président de l’ONG PARCEM. Avec un ordre de gouvernance, il précise que cela renvoie sur l’organisation des élections, la manière d’accéder au pouvoir, les nominations dans les postes, le fonctionnement des institutions comme la justice, le parlement, le gouvernement, etc.

Côté redevabilité des institutions, il trouve qu’il y a un sérieux problème. Il souligne qu’il faut voir même comment les gens émergent dans les partis politiques pour être enfin placés à des postes de responsabilité. « Quid de la nomination des ministres ? Est-ce que le parlement exerce son rôle de contrôle de l’action gouvernementale ? Il faut voir comment l’exécutif piétine arrogamment les prérogatives d’autres institutions comme la justice ? etc. »

D’après cet économiste, les institutions ne sont pas capables de gérer cette situation de super inflation. « Affronter le problème, c’est initier des réformes, prendre des mesures, augmenter la production, asseoir un bon climat des affaires, mobiliser les financements extérieurs », suggère-t-il. Ce qui est loin d’être une réalité au Burundi, selon M.Ndikumana, les problèmes sont réglés par les personnes mais à travers les institutions. « Et cela doit venir du plus haut sommet. Si la volonté du président de la République ne parvient pas à être traduite dans les faits, la situation est bloquée. Aujourd’hui, on voit cette volonté mais la capacité de changement reste faible. »

Cet économiste souligne qu’actuellement, on tâtonne. Or, commente-t-il, il faut fixer des priorités des secteurs de croissance. « Savoir par exemple le niveau de contribution de chaque secteur dans la croissance économique. » Il propose aussi d’augmenter les exportations pour faire face aux problèmes de manque de devises.

« Pour prétendre maîtriser cette inflation des prix, le gouvernement doit d’abord maîtriser la question liée au manque des devises ensuite celle de la gestion des produits pétroliers », analyse Gilbert Niyongabo, enseignant-chercheur, spécialiste en économie de développement. « Certes, pour le moment le Chef de l’Etat a fait recours aux services de la Regideso. Une bonne chose sur le long terme ? Je doute ». Selon lui, il était normal que pour des raisons d’efficacité, surtout à la demande de plus en plus pressante de la population, le numéro Un burundais se devait de trouver une réponse immédiate au problème du carburant. « Mais pour combien de temps ? », s’interroge-t-il ? D’après lui, une alternative de courte durée car logistiquement (capacité de stockage, véhicules de transport, stations-services , etc.) , il lui sera difficile de s’acquitter de ses nouvelles obligations sans l’appui des sociétés dont l’essentiel de leurs activités sont dévolues au commerce des produits pétroliers.

Dans cette bataille contre l’inflation, pour cet expert économiste, la stabilisation des prix des céréales (riz, maïs, etc.), des haricots pour la simple raison qu’ils sont les plus consommés, est l’autre grand défi. « Le gouvernement doit se tourner vers ses partenaires techniques et financiers (PTFs à l’instar agences onusiennes) pour amortir le choc ». Dans le cas contraire, laisse entendre M. Niyongabo, il faudrait qu’il subventionne les prix à l’achat. « Mais, a-t-il l’argent pour cela ? A ma connaissance, non ! Parce que ce n’est pas prévu dans la loi des finances »

Face à l’urgence de la situation, il explique que l’autre solution serait d’en appeler à l’humanitaire. « Une solution peu probable, surtout que les fonds alloués au développement seraient redirigés vers l’humanitaire ». Toutefois, conclut-il, au risque d’engendrer une vague de migrations internes comme il y a de cela quelques années, le gouvernement doit vite se pencher sur cette question de l’inflation des prix.

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