Africa-Press – Cameroun. Du point de vue des décideurs du continent, il existe une « prime de risque africaine » qui engendre un surcoût pour accéder au capital. Mais des solutions pour réduire ce risque commencent à émerger.
Une mobilisation « historique » des investisseurs. C’est ainsi qu’Adama Coulibaly, le ministre ivoirien des Finances et du Budget, a qualifié le retour de la Côte d’Ivoire sur le marché obligataire international. Fin janvier, – c’était une première en Afrique subsaharienne depuis la crise du Covid-19 -, le pays est parvenu à lever 2,6 milliards d’euros en deux tranches, avec un coupon moyen à 6,85%.
Du point de vue des analystes, pour un pays d’Afrique subsaharienne, l’opération est un franc succès. En effet, le taux obtenu par la Côte d’Ivoire n’aurait pas provoqué un tel enthousiasme s’il avait été négocié par un pays d’une autre région du monde.
Les agences de notation pointées du doigt
Une différence de traitement qui a de plus en plus de mal à passer. Car une majorité de décideurs du continent estiment qu’ils sont victimes d’une « prime de risque africaine » qui renchérit le coût d’accès au capital, sans que cela soit justifié. « Nous souffrons d’un narratif négatif », déplore par exemple Uzziel Ndagijimana, le ministre rwandais des Finances. « La perception excessive du risque assignée à la région chaque année, indépendamment de l’amélioration des fondamentaux macroéconomiques ou de la conjoncture économique mondiale, est l’un des grands obstacles au développement de l’Afrique », s’insurgeait aussi Hyppolite Fofack, l’économiste en chef de la Banque africaine d’Import-Export (Afreximbank), dans une tribune publiée en 2021.
En 2006, l’archipel des Seychelles est le premier pays d’Afrique subsaharienne (hors Afrique du Sud) à solliciter le marché obligataire international. Les années suivantes, les emprunts souverains auprès des marchés financiers internationaux connaissent une croissance exponentielle: Sénégal, Rwanda, Côte d’Ivoire, Cameroun, Kenya… Pour les gouvernements africains, cela constitue un moyen rapide d’accéder à une liquidité abondante alors que les prêts concessionnels traditionnels se tarissent.
À l’époque, les taux directeurs des principales banques centrales sont aux plus bas, certains pays occidentaux parviennent même à se refinancer à des taux négatifs. Malgré le contexte favorable, les rendements des obligations en eurodollars émises par les pays africains restent inexorablement supérieurs à 5 %, à quelques exceptions près. À qui la faute ? Les grandes agences de notation, les « Big Three », c’est-à-dire Moody’s, Fitch Ratings et S&P Global Ratings, sont pointées du doigt.
De fait, les conditions d’accès au crédit dont bénéficient chaque État dépendent essentiellement de la note souveraine que les agences de notation lui attribuent. « De nombreuses études montrent que les analyses de risques réalisées par les agences de notation ne reposent pas toujours sur des critères objectifs. Il existe en tout cas une portion de cette évaluation qui n’est pas objective, déplore Daouda Sembène, fondateur du think tank Africatalyst. La culture, le pays d’origine de l’analyste peuvent avoir un impact. En dehors de leurs bureaux sud-africains, aucune des Big Three n’a d’implantation au sud du Sahara. Une mission d’une semaine dans un pays ne suffit pas à en comprendre les subtilités. »
Une perte de 75 milliards de dollars
Les conséquences ne sont pas anodines. Selon un rapport des Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) publié en avril 2023, « si les notations de crédit étaient davantage basées sur les fondamentaux économiques et moins sur des évaluations subjectives », les pays ayant fait appel au marché obligataire international auraient pu économiser jusqu’à 75 milliards de dollars. Ce montant représente 12 % de plus que l’ensemble de l’aide publique au développement nette reçue par l’Afrique en 2020.
Mais la note souveraine n’explique pas à elle seule cette différence de traitement. « L’Afrique du Sud et le Brésil ont exactement le même profil de crédit (Baa2 chez Moody’s NDLR) et pourtant, il coûte systématiquement plus cher à Pretoria qu’à Brazilia de recourir au marché obligataire », détaillait Yvonne Mhango, économiste chez Bloomberg, en novembre dernier, en marge de l’Africa Financial Industry Summit (AFIS*), à Lomé.
Un autre exemple hérisse particulièrement le poil des décideurs africains. En 2017, l’Argentine, qui a fait défaut sur sa dette à neuf reprises, a réussi un emprunt obligataire à 100 ans assorti d’un coupon de 7 %. L’émission est un succès et, à la surprise générale, les investisseurs se sont jetés dessus. Quelques mois plus tard, l’Angola, qui n’a pas fait défaut depuis la fin de sa guerre civile en 2002, ne parvient pas à obtenir un taux inférieur à 9 %, alors que l’échéance de son émission obligataire est fixée à 30 ans. Voilà pour le constat.
Dans une étude publiée en juin 2023, intitulée La Perception du risque en Afrique subsaharienne: à la recherche des facteurs manquants, trois économistes africains du Fonds monétaire international (FMI) ont essayé d’expliquer les causes profondes de ce phénomène. Selon eux, quatre facteurs pourraient expliquer ces différences de traitement: le manque de transparence du processus budgétaire, l’importance du secteur informel, le manque de profondeur des marchés financier locaux ou régionaux et la faible qualité des institutions publiques.
Ainsi, selon les conclusions de l’étude, un système budgétaire plus transparent « pourrait améliorer la confiance des investisseurs », et des institutions publiques efficaces « améliorent la capacité des gouvernements à formuler et mettre en œuvre des politiques macroéconomiques saines, essentielles pour améliorer la viabilité des finances publiques ». Par ailleurs, un secteur informel important « réduit la capacité de l’État à générer des recettes pour honorer sa dette ». Enfin, « les investisseurs sont susceptibles d’exiger des taux plus importants pour les pays dont les marchés financiers nationaux sont sous-développés, afin de se prémunir contre les risques liés au manque de disponibilité des liquidités ».
Les agences de notation ne prennent-elles pas déjà en compte ses facteurs ? L’étude ne répond pas à cette question. Toujours est-il que « les résultats montrent que la prime excédentaire estimée pour les pays d’Afrique subsaharienne disparaît lorsque ces facteurs structurels sont pris en compte dans le modèle », estime Rasmane Ouédraogo, co-auteur de l’étude publiée par le FMI.
« Il y a effectivement un problème de données, les statistiques des pays africains manquent parfois de fiabilité, ce qui peut, en partie, expliquer le comportement des investisseurs », confirme Daouda Sembène.
« Pour améliorer leurs conditions d’accès au marché, les États africains doivent donc travailler à améliorer un ou plusieurs de ces facteurs », estime l’économiste malawienne Yvonne Mhango. Pour réduire, voire faire disparaître cette « prime de risque africaine », les économistes du continent militent désormais pour que les mécanismes de garanties, qui existent déjà, prennent de l’ampleur. « C’est incontournable, et on attend des bailleurs de fonds qu’ils accélèrent sur le sujet », indique le fondateur d’Africatalyst.
Montée en régime des garanties
La Banque africaine de développement propose par exemple une garantie partielle de crédit et une garantie partielle de risque. Dans la même veine, FMO, la banque de développement néerlandaise dédiée au secteur privé, a lancé en 2022, via sa filiale TCX, la première obligation synthétique de Sierra Leone. Pour résumer, les investisseurs ont acheté des obligations FMO notées AAA avec un coupon reflétant l’exposition au risque du marché sierra-léonais. « Cette combinaison d’un risque de crédit AAA avec un risque et un rendement de marché de premier ordre représente une classe d’actifs innovante pour laquelle il existe une demande claire de la part des investisseurs mondiaux », expliquait à Jeune Afrique Michael Jongeneel, directeur général de FMO, en décembre dernier.
Offrir des garanties, c’est également l’une des raisons d’être de la Miga. Cette agence de la Banque mondiale, fondée en 1988, permet notamment – mais pas seulement – d’assurer le risque souverain d’un État qui pourrait se retrouver dans l’impossibilité de rembourser ses créances, en cas de conflit armé par exemple. Mais depuis sa création, la Miga n’a offert qu’environ 75 milliards de dollars de garanties, tous pays et tous secteurs confondus. Une goutte d’eau par rapport aux besoins. En 2023, ces montants sont en progression en Afrique subsaharienne, avec 1,9 milliard de dollars débloqués. Ajay Banga, arrivé à la tête de la Banque mondiale en juin dernier, a promis de faire plus. Beaucoup plus. À suivre.
Source: JeuneAfrique
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