Africa-Press – Cameroun. Décidément, le site de Casas del Turuñuelo, en Estrémadure espagnole, est une véritable mine d’or pour les archéologues de l’université de Mérida. Après y avoir découvert en 2023 les premières sculptures anthropomorphes de la culture mythique de Tartessos – qui s’est développée dans le sud-ouest de la péninsule ibérique entre le 9e et le 5e siècle avant notre ère –, ils viennent de mettre au jour une tablette d’ardoise qui leur fournit des renseignements inespérés: à première vue, ce sont des dessins figuratifs et géométriques qui y sont gravés, mais en y regardant de plus près, les experts y ont également décelé un alphabet encore inconnu, proche d’autres alphabets de la péninsule ibérique. Cette découverte majeure confirme une nouvelle fois l’importance du site tartessien.
Découverte en Espagne d’un ancien alphabet datant de 2500 ans
Alors que la sixième campagne de fouilles sur le site archéologique de Casas del Turuñuelo vient à peine de s’achever, les chercheurs de l’Institut d’archéologie de l’université de Mérida ont aussitôt présenté le clou des découvertes réalisées cette année au cours de deux conférences de presse. Il s’agit d’une tablette d’ardoise de 20 cm par 20 cm, retrouvée cachée derrière une amphore, dans le secteur est du bâtiment principal.
Comme Sciences et Avenir l’avait relaté dans un précédent article, sur ce site localisé dans la vallée du Guadiana, près de Mérida, une construction monumentale – que les chercheurs assimilent à la fois à un palais et à un sanctuaire –, a été rituellement détruite et brûlée avant son abandon définitif vers la fin du 5e siècle avant notre ère. Au cours de ce rituel, une cinquantaine d’animaux (des chevaux surtout) ont été abattus dans une cour desservie par un imposant escalier.
Depuis le début des fouilles en 2015, les archéologues disposent de suffisamment d’indices prouvant le pouvoir politique et économique de la culture tartessienne, étroitement liée à la culture phénicienne avec qui elle commerçait. Mais chaque nouvelle campagne apporte son lot de nouvelles preuves, renforçant le sentiment d’une culture extrêmement élaborée ayant développé sa propre identité, même s’il reste impossible d’expliquer sa disparition.
Vue des fouilles sur le site de Casas del Turuñuelo. Crédits: Conseil supérieur de la recherche scientifique espagnol (CSIC)
Un secteur artisanal
La campagne de cette année a permis de mettre au jour le secteur est du bâtiment, qui en constitue l’entrée principale, la porte y étant surmontée d’une façade haute de trois mètres. Les archéologues y ont découvert toute une zone de production artisanale, comprenant une cuisine, un four à pain, un atelier de poterie et un autre de tissage. Datée du 6e ou du 5e siècle avant notre ère, l’ardoise découverte dans ce contexte indique qu’un orfèvre devait également travailler dans ce secteur.
Gravée à l’aide d’un outil tranchant sur ses deux faces, elle donne à voir des visages et des figures géométriques d’un côté, mais aussi une scène représentant un combat de guerriers de l’autre. L’archéologue Esther Rodríguez González, qui codirige les fouilles de Casas del Turuñuelo, en a souligné la valeur lors d’une première conférence de presse: « Cette découverte unique dans l’archéologie péninsulaire nous donne un aperçu des processus artisanaux des Tartessos, invisibles jusqu’à présent, et nous permet en même temps de compléter nos connaissances sur les vêtements, l’armement et les coiffures des personnages représentés, grâce à la prolifération de détails », a-t-elle déclaré. Pour les chercheurs, il ne fait aucun doute que cette tablette d’ardoise servait de support à l’artisan pour esquisser des motifs qu’il allait ensuite reporter sur des pièces en bois, en ivoire ou en or.
Sur la tablette d’ardoise, les archéologues distinguent une scène de combat. Crédits: Esther Rodríguez González / M. Luque / CSIC
En marge de la tablette, l’artisan a aussi gravé les lettres de l’alphabet
Mais l’artisan n’a pas seulement représenté des motifs, il a également gravé des lettres, comme s’en est aperçu l’épigraphiste Joan Ferrer i Jané, de l’université de Barcelone. Après avoir observé des reproductions de la tablette publiées dans la presse, ce dernier a contacté l’équipe d’archéologues pour leur demander des macrophotographies afin de confirmer son pressentiment.
Lors d’une seconde conférence de presse, les chercheurs ont donc annoncé cette découverte inespérée: celle d’un alphabet paléo-hispanique – en précisant qu’elle ne relève pour le moment que de premières interprétations, qu’il faudra soigneusement étayer. Si l’attention générale se focalisait au départ sur le motif central des guerriers combattants, de son côté le paléographe a porté son regard vers les bords de la tablette, où il a reconnu des signes similaires aux lettres des alphabets paléohispaniques.
Après avoir étudié les macrophotographies, il confirme ainsi: « tout indique qu’il s’agit d’un alphabet d’écriture méridionale avec la séquence initiale ABeKaTuIKeLBaNS?ŚTaUE, qui est presque identique à celle de l’alphabet d’Espanca, à l’exception du onzième signe, qui a une forme particulière ».
Les alphabets paléohispaniques
Il existe en effet deux familles principales d’écritures paléohispaniques: la première regroupe les alphabets du nord-est de la péninsule ibérique, la seconde ceux du sud, la frontière entre les deux zones se situant approximativement au niveau de la ville de Valence, en Espagne. Ces deux familles dérivent de l’écriture phénicienne, dont elles se sont différenciées lors d’une première mutation, avant de se scinder en deux groupes distincts.
Dans le groupe méridional, on ne connaît jusqu’à présent que deux alphabets, explique Joan Ferrer i Jané: un alphabet très fragmenté, qui ne comporte que quelques signes centraux, découvert lors des fouilles de Villasviejas del Tamuja (situé plus au nord, près de Cáceres), et celui retrouvé sur le site d’Espanca, à Castro Verde, au Portugal, qui comporte 27 signes et qui, selon l’expert, « est le seul complet que nous connaissons à ce jour ». D’après ses premières observations, celui de Casas del Turuñuelo, bien que proche de celui d’Espanca, représente un troisième type d’alphabet et « il fournirait beaucoup d’informations ».
21 signes sont lisibles, mais l’alphabet en compte plus
En effet, selon Joan Ferrer i Jané, l’alphabet de Casas del Turuñuelo commence par la séquence « ABeKaTu » et comporterait 21 signes écrits de gauche à droite le long de la bordure de la tablette d’ardoise. Dans la mesure où la plaque est brisée à un endroit, il pense qu’ »au moins six signes auraient été perdus dans cette zone, mais si l’on part du principe qu’elle était complètement symétrique et que les signes occupaient complètement trois des quatre côtés de la plaque, il pourrait y avoir 32 signes, onze signes, voire plus, étant perdus ».
On s’attend à trouver d’autres inscriptions sur le site tartessien
Il appartient désormais aux experts de confirmer ces premières impressions et de déterminer si l’alphabet de Casas del Turuñuelo peut être assimilé à l’une des écritures paléohispaniques déjà connues ou s’il s’agit d’une forme indépendante d’écriture méridionale. Dans la mesure où il ne fait aucun doute que le site contient de nombreuses autres inscriptions, les archéologues espèrent pouvoir compléter l’alphabet lacunaire lors des prochaines campagnes de fouilles.
En tout cas, même brisée, la valeur de la tablette est d’autant plus grande qu’elle est apparue sur un site à la fois géographiquement et chronologiquement clairement identifiable, ce qui en fait un jalon primordial dans l’histoire de l’écriture.
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