Ver solitaire, téniasis et cysticercoses : tout savoir sur des maladies parasitaires que nous croyons disparues de notre quotidien

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Ver solitaire, téniasis et cysticercoses : tout savoir sur des maladies parasitaires que nous croyons disparues de notre quotidien
Ver solitaire, téniasis et cysticercoses : tout savoir sur des maladies parasitaires que nous croyons disparues de notre quotidien

Africa-Press – Cameroun. Certains d’entre nous conservent la mémoire de ces infections parasitaires intestinales qui pouvaient surgir après avoir consommé de la viande de porc ou de bœuf crue ou mal cuite. Les générations vieillissantes ont connu un vocabulaire médical aujourd’hui disparu, gardé en mémoire certains réflexes d’hygiène alimentaire: « ver solitaire », porc ladre, « ténia armé », cuisson à point impérative pour toute viande de suidé. Mais les modes alimentaires évoluent ; la mode du steak tartare, par exemple, une viande de bœuf consommée crue assortie de multiples condiments, a endormi notre méfiance vis-à-vis du ténia du bœuf. La surveillance et les méthodes de conservation alimentaires, l’évolution des modes d’élevage préservent certes l’hygiène des viandes en France. Pourtant, ailleurs dans le monde, les patients infectés par un ténia continuent à se compter par millions. Et vivre avec un ver parasitaire peut se transformer en calvaire.

« Attraper » le ver solitaire, qu’est-ce que cela veut dire ?

Le ver « solitaire », expression populaire qui pourrait tromper sur la nature de cet organisme, correspond à une parasitose d’origine alimentaire. Peut-on parler de ver solitaire pour un organisme hermaphrodite capable de s’autoféconder pour produire des œufs ? Ici, nous parlerons de deux ténias, Taenia solium et Taenia saginata, qui ne peuvent se développer à l’état adulte que dans l’intestin grêle humain. Et selon un cycle de développement qui n’est pas des plus simples à décrire aux dires du Dr Rose-Anne Lavergne et du Pr Florent Morio, tous deux enseignants chercheurs à Nantes Université et praticiens hospitaliers dans le laboratoire de Parasitologie et Mycologie du CHU de Nantes.

« En parasitologie, il y a de nombreuses histoires mettant en scène des vers de quelques millimètres à plusieurs centimètres, voire mètres, dans toutes les parties du corps possibles et imaginables », mais ce sont pour la plupart des maladies inconnues du grand public et négligées par la recherche. Les affections dues à des ténias sont devenues relativement rares en France métropolitaine, mais il suffirait d’une défaillance du système de surveillance de la chaîne alimentaire pour assister à une augmentation de leur fréquence.

Le ténia du porc (Taenia solium), et du bœuf (T. saginata) appartenant à la famille des cestodes, sont tous deux pathogènes pour l’humain, leur hôte définitif, et induisent sous leur forme adulte chez lui un téniasis. La contamination advient par l’ingestion d’une viande infestée. Taenia solium, le ténia du porc, peut atteindre une longueur de 2 à 8 mètres dans notre intestin et T. saginata jusqu’à 10 mètres.

Le ténia du porc, trois types de contaminations chez l’humain

Mais il arrive que les choses se corsent avec T. solium. Tout comme T. saginata, il est censé accomplir la première partie de son cycle de vie chez un animal, hôte intermédiaire. Mais il peut également se retrouver par migration erratique dans d’autres tissus. Nous pouvons être également les hôtes intermédiaires d’un parasite qui aurait préféré atterrir dans notre ventre ! Cette forme particulière de la maladie a pour nom « cysticercose », et voit se localiser les larves enkystées de T. solium – appelées des cysticerques – dans nos muscles et plusieurs de nos organes, dont les yeux et le cerveau…

« A ce stade larvaire, [le cysticerque] se love dans un cocon de chair que l’hôte forme en réaction à [sa] présence », raconte Pierre Kerner, l’auteur d’un livre paru en 2018 (Moi, parasite, Belin) où il présente le cycle de vie emberlificoté et effrayant de T. solium. La découverte des larves se fait de manière fortuite aux rayons X: des corps opaques en forme de grains de riz disséminés notamment dans les tissus musculaires apparaissent sur les clichés radiologiques. Quand ces cysticerques investissent le système nerveux central, autrement dit le cerveau, elles peuvent provoquer des symptômes neurologiques, dont des crises d’épilepsie, on parle alors d’une neurocysticercose.

Vous suivez ?

Suprême raffinement, deux modes de contaminations sont possibles pour déclencher une cysticercose humaine. Des œufs du parasite ingérés via de l’eau ou des légumes infectés par de la matière fécale contamineront de manière exogène l’être humain en traversant les muqueuses digestives, pour se retrouver dans le sang et déboucher dans des tissus musculaires et le système nerveux central. L’autre voie de contamination menant à cette cysticercose chez l’humain est endogène, fait remarquer Florent Morio. « Les œufs d’un ténia adulte présent dans l’intestin grêle d’un malade peuvent remonter le tube digestif et se retrouver dans l’estomac. Après leur éclosion, ils atteindront le système sanguin… » et aller s’installer en de multiples places de choix. On se retrouve à la fois avec un téniasis associé à une cysticercose, voire une neurocysticercose.

Aspect macroscopique de larves cysticerques de Taenia solium. Crédit: Association française des enseignants et praticiens hospitaliers titulaires de parasitologie et mycologie médicales – ANOFEL

Ténia du porc, du bœuf ou… plutôt humain ?

Nous les appelons communément ténia du porc ou du bœuf, mais ces parasites sont bien à nous, humains ! Le but ultime de leur épopée éprouvante est notre intestin. Et non le sol hostile sur lequel ils se retrouvent mêlés à nos fèces, ou encore dormants dans les muscles d’un animal domestique sous forme de cysticerques. Arrivés à bon port, l’intestin grêle humain, ils peuvent enfin devenir des vers adultes, succession d’anneaux plats et blancs à la longueur variable prêts à se reproduire. Nous sommes ce que les parasitologues appellent des « hôtes définitifs ».

A propos des hôtes intermédiaires

Les formes juvéniles, embryonnaires puis larvaires de T. solium et T. saginata, visent les tissus et organes les plus irrigués des hôtes intermédiaires, porc et bœuf. Leur chair, servie crue ou peu cuite, entraîne la contamination humaine. Les larves, quand elles ont investi cet hôte intermédiaire, peuvent patienter ainsi « des jours, des mois, voire des années ! », explique Pierre Kerner. Ces animaux domestiques se sont infectés en rencontrant sur leur chemin des fèces humaines infectées.

Le porc est un animal coprophage. Dans un système d’élevage traditionnel et en l’absence de toilettes, de système de séparation des eaux sales, l’animal peut rencontrer Taenia solium dans les matières fourragées salies par des déjections humaines. Le ténia y est au stade de l’œuf et a commencé à se transformer en embryon dits hexacanthe, car muni de 6 crochets, protégés par une coquille-carapace. Les crochets lui permettent de s’arrimer aux parois du tube digestif de l’animal une fois ingérés par ce dernier. La coquille se dissout sous l’action des sucs digestifs et de la bile.

L’embryon traverse la paroi intestinale pour entrer dans le flux de la circulation sanguine. Il se transforme alors en larve cysticerque, « une petite queue cylindrique à l’intérieur d’un cylindre », détaille Pierre Kerner, s’installant dans les muscles striés et divers organes de l’animal. La bête infectée était désignée par le terme de « porc ladre », atteinte de « ladrerie » ou de cysticercose porcine. Dans les campagnes françaises existait un métier aujourd’hui disparu et remplacé par les vétérinaires: le langueyeur, qui vérifiait la santé des suidés lors des transactions sur les marchés à bestiaux en examinant le revers de la langue des bêtes. Il y recherchait la présence des cysticerques. Le savoir-faire de ce métier résidait entre autres dans la capacité à retourner l’animal et à repérer les excroissances sous sa langue, surtout lorsque le propriétaire avait tenté de les dissimuler en les perçant.

Pour le bœuf, le mode de contamination est similaire: l’herbivore peut entrer en contact avec des fèces humaines par le biais d’herbages ou d’eau contaminés ou encore d’insectes coprophages. A noter que T. saginata peut élire aussi comme hôtes intermédiaires caribous, lamas, antilopes, gnous, girafes, lémurs, gazelles, chameaux et moutons, donc des animaux au-delà de la famille des bovidés.

Quels symptômes pour un téniasis ?

Que ressent-on quand on a un ver adulte de plusieurs mètres dans nos intestins ? Les symptômes provoqués par T. solium et saginata sont difficiles à repérer. Le Dr Lavergne liste des signes qui ne sont pas effectivement spécifiques à cette maladie: une modification du comportement alimentaire (perte d’appétit ou boulimie), des douleurs abdominales, des ballonnements, une perte de poids, un amaigrissement, de la diarrhée, de la constipation, des manifestations d’allergie cutanée. « Ce ne sont pas aux signes cliniques que l’on devinera qu’il y a présence d’un ver », la confirmation viendra plutôt de la présence de segments issus du ver locataire de nos intestins dans les selles ou encore les sous-vêtements, Ces segments blancs et plats sont appelés proglottis et visibles à l’œil nu. Dans le cas de T. saginata, ils sont parfois… mobiles. Pour soigner un téniasis, on recourt à des traitements antiparasitaires.

Cysticercose humaine, accidentelle et pénible

Petit rappel dans cette histoire compliquée de parasitose: le destin de Taenia saginata est de trouver son chemin vers nos intestins pour y devenir tranquillement adulte, ou pas. La cysticercose humaine évoquée plus haut est le seul fait du ténia du porc, Taenia solium. La symptomatologie est plus ou moins pénible pour le patient « en fonction de l’état des cysticerques, encore vivants ou en voie de calcification et selon leur emplacement dans les tissus », explique Rose-Anne Lavergne. Les cysticerques dégénérant, provoquent une inflammation et la libération d’antigènes. Dans le cas d’une localisation dans l’œil (ou cysticercose oculaire), elle entraîne des troubles de la vision, voire une perte de vue soudaine ou progressive. Selon la localisation, le nombre et le stade de développement de ces cysticerques sont administrés des antiparasitaires associés à d’autres médicaments et dans certains cas de la chirurgie.

Neurocysticercose, une symptomatologie encore plus problématique

Larves cysticerques de Taenia solium visibles sur les lobes d’un cerveau. Crédit Association française des enseignants et praticiens hospitaliers titulaires de parasitologie et mycologie médicales – ANOFEL

Les larves dans le système nerveux central peuvent causer un ensemble de symptômes: des maux de tête, de l’hypertension intracrânienne, une hydrocéphalie obstructive, de l’épilepsie, des hémiplégies transitoires, une encéphalite, un accident vasculaire cérébral, des troubles cognitifs, des troubles de santé mentale… Pour Rose-Anne Lavergne et Florent Morio, c’est l’épilepsie qui est à retenir, près de 30% des cas d’épilepsies dans le monde sont liés à une neurocysticercose d’après l’OMS, soit 2,56 à 8,30 millions de cas.

Quelle est la prévalence du téniasis et de la cysticercose en France ?

Il est difficile de se faire une image exacte du nombre de cas car cette infection ne fait pas partie des maladies à déclaration obligatoire auprès des autorités de santé.

Taenia solium est aujourd’hui extrêmement rarissime en France, y compris dans les territoires ultramarins (il existait un foyer à la Réunion dans les années 1980). Lorsque l’on tombe sur un cas, il s’agit le plus souvent d’un patient qui l’a contracté à l’étranger, ce que confirment Rose-Anne Lavergne et Florent Morio. L’Anses précise que le niveau d’hygiène des viandes porcines est lié à l’essor de l’élevage hors-sol, qui a introduit « une rupture du cycle parasitaire entre l’animal et l’environnement ». Le parasite est endémique dans les pays en voie de développement à faible niveau d’hygiène, de nombreuses régions du monde sont concernées: « la cysticercose est présente sur tous les continents, à l’exception de l’Australie, avec des zones de forte prévalence en Amérique centrale et du sud, en Inde, en Afrique, dans l’Océan Indien », indique l’Anses sur sa fiche de synthèse.

Taenia saginata est plus courant en France métropolitaine. Il y avait 500.000 cas par an selon un article du Quotidien du médecin datant de 2010, et selon l’Anses, dans un document de 2012 la prévalence de la cysticercose bovine variait probablement entre 0,007 % et 6,8 %. Les cas fleuriront en fonction des habitudes alimentaires constatées dans chaque pays. Pour éviter un téniasis, il est donc important de bien cuire ses viandes.

Peu de données et peu de recherche sur ces « maladies négligées »

Il existe peu de données et peu de recherche sur ces maladies parasitaires pourtant prévalentes dans le monde. La surveillance défaillante de l’alimentation dans le monde est un vrai problème pour Rose-Anne Lavergne et Florent Morio. « A notre connaissance, il n’y a pas de recherche en France sur les cysticercoses et les téniasis. Néanmoins, l’inscription par l’OMS de l’infection à T. solium sur la liste des maladies négligées permet d’attirer l’attention, et souligne l’importance de programmes de recherche scientifique à mettre en place. Il suffit de penser aux 30% de cas d’épilepsies dans le monde qui sont la conséquence de neurocysticercoses. Et par ailleurs, l’OMS estime que près de 50 millions de personnes sont infectés par T. solium dans le monde, presque la population d’un pays comme la France ! »

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