Africa-Press – Cameroun. Les dogmes en médecine ont la vie dure. Ainsi, « nous avons longtemps cru qu’un poumon sain était forcément stérile « , reconnaît le Pr Geneviève Héry-Arnaud, bactériologue spécialiste du microbiote pulmonaire au CHU de Brest. Pourtant, en 1899, des travaux étaient venus contredire ce qui allait devenir un dogme. Une étude sur 23 cadavres exempts de maladie pulmonaire avait révélé la présence de bactéries dans les voies respiratoires. « La seule erreur de cette étude par ailleurs originale fut de conclure que les bactéries étaient pathogènes », indique-t-elle. Alors qu’il s’agissait de bactéries commensales, qui vivent en harmonie avec le sujet.
Il faudra attendre le début des années 2000 et l’avènement des techniques de séquençage de l’ADN pour accepter ce que l’on pensait inconcevable: la flore pulmonaire existe bel et bien. Pour la première fois, en 2010, des chercheurs de l’Imperial College de Londres (Royaume-Uni) concluent que « l’arbre bronchique contient un microbiote caractéristique « .
Un rôle primordial pour notre immunité
Si cette croyance a tenu aussi longtemps, ce n’est pas un hasard. En effet, les quelque 100 m2 de surface pulmonaire, avec leurs bronches, bronchioles et autres alvéoles, sont dotés de puissants mécanismes de défense pour maintenir une faible charge microbienne et empêcher les infections. Les voies respiratoires sont constamment nettoyées par les cils qui déplacent le mucus vers la gorge, et des cellules immunitaires comme les macrophages éliminent rapidement les bactéries.
De plus, l’exploration de ce microbiote exige des méthodes nettement plus invasives que pour le microbiote intestinal. « Nous avons recours à des lavages broncho-alvéolaires [introduction d’un liquide stérile dans une partie des poumons puis récupération de ce liquide pour analyse] ou à des brossages bronchiques [utilisation d’une petite brosse pour collecter des échantillons directement sur les voies respiratoires supérieures ou inférieures], explique Geneviève Héry-Arnaud. Évidemment, cela ne se pratique pas sur des sujets sains. » Quant aux expectorations, elles permettent certes de collecter du mucus de façon plus douce, mais les sécrétions sont parfois contaminées par le microbiote salivaire. Et la quantité de micro-organismes venus des voies aériennes supérieures qui passent dans le poumon demeure un mystère.
Rien d’étonnant donc à ce que la renommée du microbiote respiratoire n’arrive pas à la cheville de son homologue intestinal. Cependant, « le nombre de publications scientifiques consacrées à ce microbiote a beaucoup augmenté ces dix dernières années, souligne le Pr Jean-François Timsit, chercheur à l’Inserm. Et même si elles ne disent pas toutes la même chose, nous avons tout de même quelques éléments. » Premier constat: la population microbienne dans les poumons est de l’ordre de 105, contre 1011 dans nos intestins. Deuxième constat: l’essentiel des micro-organismes se trouve dans les bronches.
« Dans le tissu pulmonaire, du signal bactérien a bien été trouvé mais nous n’avons pas la preuve que ces bactéries sont vivantes « , précise Geneviève Héry-Arnaud. Toutes les familles de micro-organismes sont malgré tout présentes dans ce microbiote: bactéries, virus, champignons et archées. Il se distingue aussi par sa forte biodiversité. Mais, le plus surprenant est qu’environ la moitié des espèces bactériennes présentes sont anaérobies [elles se développent en l’absence d’oxygène]. Si de telles bactéries se nichent dans l’organe de la respiration, cela prouve que les poumons peuvent être colonisés par des micro-organismes provenant notamment d’autres microbiotes (oropharyngé et intestinal).
Troisième certitude: le microbiote pulmonaire joue un rôle primordial dans notre immunité. À l’instar de la flore intestinale, il stimule et éduque les cellules immunitaires. Les micro-organismes commensaux occupent l’espace, produisent des substances antimicrobiennes et empêchent les pathogènes de s’installer. De plus, il module la réponse immunitaire pour éviter une inflammation excessive, par exemple lorsque les voies respiratoires sont exposées à des allergènes. « Quelques études ont également montré que ce microbiote influence l’architecture des poumons, le nombre d’alvéoles et donc la capacité respiratoire « , précise Geneviève Héry-Arnaud.
L’arbre bronchique contient un microbiote spécifique, composé de plusieurs familles de micro-organismes, et des mécanismes de défense pour empêcher l’infection bactérienne. Crédit: BRUNO BOURGEOIS – SOURCE: NATURE
Les risques d’un microbiote pulmonaire déséquilibré
Enfin, comme n’importe quel microbiote, il peut se retrouver en dysbiose. À l’origine de ce déséquilibre, on peut trouver plusieurs facteurs. Des facteurs environnementaux tout d’abord, tels que le tabac, qui altère la composition et la diversité de la flore, irrite les voies respiratoires et réduit l’efficacité des mécanismes de défense pulmonaires. Mais aussi la pollution de l’air, qui risque d’affecter l’intégrité de la barrière pulmonaire. Un usage important et précoce des antibiotiques « fait aussi des dégâts « , ajoute-t-elle. Les infections respiratoires, comme la grippe, modifient également la composition du microbiote en éliminant les bactéries bénéfiques et en permettant aux micro-organismes pathogènes de se multiplier, ce qui peut aggraver l’inflammation. D’ailleurs, « il existe une relation entre la gravité d’une pneumonie et la diversité du microbiote « , souligne Jean-François Timsit.
Quelle relation précisément ? Quels micro-organismes sont sur le banc des accusés ? L’analyse du microbiote permettrait-elle de prédire l’efficacité des traitements ? Toutes ces questions agitent la communauté scientifique. Une étude parue en 2020 dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine, menée chez 91 patients admis en soins intensifs pour toutes sortes de pathologies, a par exemple mis en évidence que les malades avec une charge bactérienne pulmonaire plus élevée passaient plus de jours sous ventilation mécanique. La présence de bactéries intestinales dans les poumons était en outre de mauvais pronostic. Bien que préliminaires, ces résultats donnent de l’espoir aux auteurs de l’étude, pour qui « les différences dans les bactéries pulmonaires aident à expliquer qui se rétablit et qui ne se rétablit pas. Et si nous ne pouvons pas modifier les gènes de nos patients, nous pouvons réguler leur microbiote. »
Au-delà du pronostic, d’autres perspectives d’application émergent. Au CHU de Brest, en collaboration avec une équipe Inserm de l’université de Bretagne occidentale, un biomarqueur du microbiote pulmonaire permettant de prédire le risque d’infection pulmonaire chez les malades atteints de mucoviscidose a été identifié. « Nous avons déposé un brevet et espérons valider ce test pour la fin 2026, à l’issue d’une vaste étude clinique qui est en cours, déclare Geneviève Héry-Arnaud. Les enfants à risque pourraient alors bénéficier d’une thérapie ciblée de manière précoce. »
Enfin, une cartographie très précise du microbiote pulmonaire pourrait aussi, à terme, offrir des pistes de traitement, notamment pour les pneumonies bactériennes. L’enjeu est de taille, car du fait de la résistance aux antibiotiques, un tiers des 500.000 cas traités chaque année à l’hôpital aboutissent à un échec thérapeutique. Et les infections à pneumocoques présentent un taux de mortalité de 10 à 30 % selon les études. L’issue pourrait-elle venir du microbiote pulmonaire ?
Des pneumonies liées à une baisse de certaines bactéries
Des travaux publiés en 2023 dans Nature medicine par une équipe du CHU de Nantes ont déjà montré que la réduction de l’abondance de quatre types de bactéries était liée à des pneumonies graves nécessitant une assistance respiratoire. « Maintenant que nous avons identifié ces espèces, nous allons étudier les fonctions métaboliques qu’elles assurent et la façon dont elles fluctuent avec le devenir clinique du patient « , explique Jean-François Timsit, qui a cofondé en 2023 ce projet nommé Phenomenon.
En janvier, les inclusions de quelque 600 patients souffrant de pneumonies légères ou sévères vont commencer. À partir des échantillons prélevés, les chercheurs vont décrire en détail le contenu et les propriétés des gènes de résistance dans le microbiote des patients et évaluer la possibilité que ces gènes présents dans les bactéries du microbiote pulmonaire soient transmis aux bactéries pathogènes. Ce qui expliquerait les échecs de traitement.
Ensuite, ces bactéries commensales naturellement résistantes aux antibiotiques pourraient être utilisées comme probiotique. La stratégie peut paraître contre-intuitive mais lors d’une antibiothérapie, le traitement détruit non seulement les bactéries pathogènes mais aussi celles qui protègent le microbiote. En introduisant ces bactéries commensales, il serait alors possible de protéger le microbiote tout en traitant l’infection.
Les grands espoirs du poumon miniature
Les animaux de laboratoire ne sont pas d’une grande aide pour étudier les poumons. En effet, les modèles actuels ne reflètent pas bien les poumons humains, qui ont une structure complexe et qui fonctionnent dans un environnement où l’air et le liquide interagissent. Des chercheurs de l’Inserm ont donc créé un modèle de poumon miniature en 3D, appelé bronchioïde.
Il ressemble aux bronches humaines: « Le grand défi était de parvenir à générer une structure cylindrique tubulaire pour que les organoïdes pulmonaires commencent à ressembler à des bronchioles « , explique Isabelle Dupin, professeure de physiologie au Centre de recherche cardiothoracique de Bordeaux. Ce petit bijou contient des cellules pulmonaires humaines ciliées et productrices de mucus dans lequel on peut introduire de l’air, du liquide ou des virus pour reproduire des maladies comme la bronchopneumopathie chronique (BPCO). Et, à terme, tester de nouveaux médicaments.
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