Africa-Press – Cameroun. À la veille de l’indépendance du Cameroun, deux visions s’opposaient quant au chemin à emprunter pour accéder à la souveraineté. D’un côté, celle d’Ahmadou Ahidjo, favorable à une indépendance rapide, soutenue par la France ; de l’autre, celle d’André-Marie Mbida, alors Premier ministre du Cameroun autonome, qui plaidait pour une indépendance différée, mûrement préparée et réellement souveraine.
André-Marie Mbida estimait que le Cameroun, en 1959, ne disposait pas encore des cadres nationaux suffisamment formés pour assumer pleinement les responsabilités d’un État indépendant: enseignants à tous les niveaux, médecins, militaires, ingénieurs… Pour lui, une indépendance précipitée équivalait à une indépendance de façade — une autonomie politique sans autonomie technique ni administrative. Dans ses propos transparaît une lucidité patriotique: donner l’illusion de la liberté sans en avoir les moyens revenait à mettre « la charrue avant les bœufs ».
Cette position, pourtant visionnaire, déplaisait fortement à la France, qui, fidèle à l’esprit de la Conférence de Brazzaville, considérait les colonies africaines avant tout comme des pourvoyeuses de ressources. Le refus d’André-Marie Mbida de se soumettre aux injonctions françaises, notamment en ce qui concerne la signature des « accords de coopération », précipita sa chute. Le haut-commissaire français Jean Ramadier orchestra une crise gouvernementale, provoquant la démission en bloc des ministres du Nord et, par conséquent, celle de Mbida lui-même. Il fut remplacé par Ahmadou Ahidjo, plus accommodant envers les intérêts français.
Ahidjo, en effet, signa avec Michel Debré, six jours avant la proclamation de l’indépendance, les fameux « accords de coopération » qui, sous couvert d’assistance, maintenaient le Cameroun dans une dépendance structurelle à l’égard de la France. Mbida, qui refusa toujours de ratifier ces accords, incarna alors une forme de résistance patriotique. Son refus, analysé aujourd’hui comme un acte de courage politique, lui valut d’être évincé du pouvoir, puis contraint à l’exil.
La stratégie de temporisation de Mbida, souvent raillée à l’époque, prend aujourd’hui des allures prophétiques. Elle traduisait la volonté de construire une indépendance véritable, capable de garantir au Cameroun une maîtrise souveraine de ses ressources, de ses institutions et de son destin. On pourrait à juste titre lui attribuer le surnom de Mbida Cunctator, le Temporisateur, à l’image de Fabius Maximus à Rome, qui préférait retarder l’affrontement plutôt que de perdre la guerre.
C’est cette même ligne de pensée, peut-être, que le président Paul Biya adopta en 2020 lorsqu’il mit fin à ces accords de coopération, fermant ainsi une parenthèse de plus de 60 ans de sujétion postcoloniale. Cette rupture historique résonne comme un hommage lointain à la vision de Mbida, visionnaire isolé dans un contexte où le rapport de forces penchait fortement en faveur de la puissance coloniale.
Aujourd’hui, revisiter la pensée d’André-Marie Mbida, c’est reconnaître en lui non pas un frein à l’indépendance, mais un patriote prudent, lucide, et profondément engagé pour une souveraineté véritable, débarrassée de toute tutelle étrangère.
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