Quand l’Univers s’est éclairé

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Quand l'Univers s'est éclairé
Quand l'Univers s'est éclairé

Africa-Press – Cameroun. Face au spectacle d’un ciel étoilé, comment imaginer qu’à une époque suivant le Big Bang (il y a 13,8 milliards d’années), l’Univers était plongé dans les ténèbres. Aucune source de lumière ne déchirait la nuit. Puis la première génération d’étoiles est apparue. Quand l’aube du cosmos a-t-elle commencé à poindre? On l’ignore encore mais, inlassablement, les astrophysiciens remontent toujours plus loin dans le temps en quête de ces mythiques premières étoiles, hébergées au sein d’embryons de galaxies.

Ainsi, en octobre 2025, l’équipe d’Hakim Atek (Institut d’astrophysique de Paris) a confirmé, grâce au télescope spatial James Webb, la détection de MoM-z14, une galaxie repérée à peine 280 millions d’années après le Big Bang. « C’est la plus lointaine jamais confirmée grâce à l’analyse très fine de sa lumière « , note le chercheur. Une prouesse technique, mais surtout une énigme: à une époque où l’Univers n’avait que 1,4 % de son âge actuel, cette petite tache de lumière apparaît déjà étonnamment brillante, riche en atomes « lourds » tels que de l’oxygène, de l’azote, du carbone, comme si des générations d’étoiles avaient eu le temps d’y naître et de mourir.

Si les premières étoiles n’ont toujours pas été observées, leur portrait-robot est connu car il est fort simple. « Elles se sont formées à partir d’un gaz primordial issu du Big Bang, composé uniquement d’hydrogène et d’hélium, détaille Nicolas Laporte, astrophysicien au Laboratoire d’astrophysique de Marseille. Ces tout premiers nuages se sont effondrés sous leur propre gravité, sans rien pour les freiner. La matière s’est donc accumulée jusqu’à des masses colossales, de 500 à 1000 fois celle du Soleil, avant que la fusion nucléaire ne s’enclenche.  » Une fois « allumées », on estime que ces premières étoiles pouvaient atteindre 100.000 °C en surface, et briller chacune comme 10 milliards de soleils !

Les premières étoiles ont eu une existence fulgurante

Mais ces astres ont payé leurs caractéristiques hors norme au prix d’une existence fulgurante. « Elles n’ont vécu qu’entre deux et trois millions d’années « , estime Nicolas Laporte à partir de simulations numériques. Vraiment bien court en comparaison des 10 milliards d’années d’espérance de vie de notre « petit » Soleil. En effet, plus une étoile est massive, plus son cœur atteint rapidement des températures extrêmes, et plus la fusion nucléaire dont elle tire son énergie est efficace. Ces géantes ont donc brûlé leur hydrogène à un rythme effréné, avant d’exploser en supernovae titanesques, dispersant dans le milieu environnant les premiers éléments lourds – carbone, oxygène, azote – à partir desquels naîtront les générations suivantes d’étoiles. Si les premières étoiles semblent bel et bien à la portée du James Webb, leur observation reste donc extrêmement difficile, du fait de leur vie brève.

En revanche, les générations suivantes d’étoiles abondent dans les débuts de l’Univers. Presque trop, d’ailleurs. « On trouve beaucoup plus de galaxies brillantes qu’attendu à des époques très reculées, constate Hakim Atek. Et cela pose un problème aux modèles actuels de formation des galaxies.  » Ainsi, l’aube du cosmos ressemble plus à un formidable feu d’artifice d’étoiles qu’à une lente montée en régime. En quelques centaines de millions d’années à peine, l’Univers s’est peuplé d’astres massifs et de galaxies déjà structurées.

Pour tenter d’expliquer ces galaxies si précoces, les chercheurs ajustent leurs modèles de formation stellaire. « On peut augmenter l’efficacité de formation des étoiles, c’est-à-dire la fraction du gaz transformée en étoiles, mais cela a des conséquences par ailleurs, souligne Hakim Atek. Si on forme trop d’étoiles trop tôt, on se retrouve ensuite avec trop de galaxies massives plus tard dans l’histoire du cosmos, par rapport à ce que l’on observe réellement. Ces ajustements sont donc à réaliser avec prudence.  »

Autre surprise: la présence, dans ces jeunes galaxies, de trous noirs supermassifs déjà bien installés. Dans le scénario classique, un trou noir naît de l’effondrement d’une étoile massive en fin de vie. Il faut ensuite des milliards d’années pour qu’un tel astre, en engloutissant de la matière ou en fusionnant avec d’autres, atteigne les masses colossales – de plusieurs millions à plusieurs milliards de soleils – caractéristiques de ceux qui peuplent le cœur des galaxies.

Or, les observations du James Webb bousculent cette chronologie: à peine 600 ou 700 millions d’années après le Big Bang, on découvre déjà des trous noirs de plusieurs millions de masses solaires au centre de galaxies minuscules. « Avant le James Webb, on pensait qu’ils étaient rarissimes à ces époques reculées, rappelle Nicolas Laporte. Or, entre 20 et 30 % des galaxies du premier milliard d’années de l’Univers abritaient déjà un trou noir central. Nous n’avons aucun scénario satisfaisant pour expliquer des formations aussi précoces.  »

Le problème se complique encore avec la détection en 2024 d’un de ces trous noirs massifs, Abell 2744-QSO1, entouré d’un gaz dépourvu d’atomes lourds issus d’étoiles précédentes. « Pour créer un trou noir, il faut d’abord qu’une étoile ait vécu et explosé, donc qu’elle ait produit des atomes comme du carbone, de l’oxygène, de l’azote. S’il n’y en a pas autour, c’est étrange, souligne Hakim Atek. Une hypothèse, encore spéculative, serait qu’il s’agisse d’un trou noir primordial.  »

Une nouvelle chronologie de l’émergence de la lumière

Ces trous noirs primordiaux sont au moins aussi mythiques que la première génération d’étoiles pour les astrophysiciens. L’idée n’est pas nouvelle: certains modèles cosmologiques prédisent qu’au tout début de l’Univers, lorsque les densités d’énergie et de matière du plasma primordial fluctuaient violemment sous l’effet de l’inflation cosmique, certaines régions auraient pu s’effondrer sur elles-mêmes pour former directement un trou noir. Ces objets seraient donc nés bien avant les étoiles. Mais leur existence reste hypothétique.

D’abord parce qu’ils naissent a priori minuscules, et leur petite taille les expose à une évaporation, selon une théorie avancée par Stephen Hawking en 1974… Toutefois, des scénarios prévoient qu’ils pourraient accréter rapidement du gaz en grande quantité. Non seulement ils ne s’évaporeraient pas, mais en plus ils pourraient donc croître jusqu’à former des trous noirs supermassifs. « C’est un résultat encore débattu, estime Nicolas Laporte. Pour l’instant, on n’a vu qu’un seul de ces objets – il faudrait en trouver d’autres pour être sûrs. »

Ces découvertes ne bouleversent pas seulement la chronologie de la formation des galaxies: elles réécrivent aussi celle de la lumière elle-même. Car lorsque les premières étoiles s’allument, l’Univers n’est pas encore transparent. Depuis le Big Bang, il baigne dans un brouillard d’hydrogène neutre, une véritable « purée de pois » qui emplit tout. Pour que la lumière circule librement, il a donc fallu dissiper ce gaz. Sous l’effet du rayonnement énergique des premières étoiles, les atomes d’hydrogène ont perdu leurs électrons et ont cessé de bloquer les photons…

C’est ce que les astrophysiciens nomment la réionisation, un processus qui aurait débuté environ 500 millions après le Big Bang. Enfin… C’est ce que l’on croyait jusque-là, en se fondant sur l’étude du fond diffus cosmologique, un rayonnement émis seulement 380.000 ans après le Big Bang et qui a donc forcément traversé aussi ce brouillard. Mais le James Webb révèle aujourd’hui que ce grand nettoyage cosmique a commencé bien plus tôt, peut-être seulement 300 millions d’années après le Big Bang. « Nos observations de la réionisation sont en désaccord avec celles réalisées sur le fond diffus. Il y a là une tension qu’il va falloir comprendre « , observe Hakim Atek.

Premier constat: ce processus de réionisation n’a pas été uniforme. Il a commencé autour des sources les plus brillantes, créant des zones déjà totalement ionisées. « On voit apparaître très tôt ces régions ionisées, des sortes de bulles autour des galaxies les plus lumineuses, explique Hakim Atek. À mesure que les galaxies se sont multipliées, ces bulles se sont agrandies puis rejointes, jusqu’à effacer presque totalement l’hydrogène neutre du milieu intergalactique.  »

De nouveaux instruments pour remonter le temps

La précocité du processus pourrait s’expliquer par une autre population de galaxies moins spectaculaires mais très nombreuses: les galaxies dites faibles, car pauvres en masse comme en éclat. Elles sont des milliers pour une seule galaxie brillante, et leur lumière cumulée aurait pu jouer un rôle bien plus important qu’on ne l’imaginait dans la levée du brouillard primitif. « On commence enfin à mesurer leur pouvoir ionisant, explique Hakim Atek. Et on trouve que c’est très élevé – suffisamment pour réioniser l’Univers très tôt.  »

Pour fouiller toujours plus loin vers les âges sombres de l’Univers, d’autres instruments viendront bientôt épauler le James Webb. Le premier d’entre eux sera l’ELT, le télescope géant de 40 mètres en construction au Chili. Grâce à son miroir colossal, il pourra explorer un champ de 12 ou 13 fois plus grand que le James Webb, qui ne peut voir en une fois qu’une surface 177 fois plus petite que la pleine Lune ! Or, plus on observe large, plus les chances de dénicher les fugaces premières étoiles augmentent.

Le second instrument décisif sera New Athena, futur observatoire européen des rayons X en orbite. « Avec lui, on va détecter les rayons X à très grande distance émis par les trous noirs. Quand la mission a été conçue, on ignorait qu’il y avait autant de trous noirs au début de l’Univers. Là, on s’attend à ce que l’Univers lointain scintille littéralement ! « , s’enthousiasme Nicolas Laporte. Ces deux géants – l’ELT attendu pour 2030, et New Athena prévu pour 2035 – scruteront le ciel aux côtés du James Webb, dans l’espoir de voir enfin poindre l’aube du cosmos.

Le premier cliché de l’Univers

La « vraie » première lumière, c’est elle. Émise 380.000 ans après le Big Bang, elle correspond à l’instant où les photons se sont libérés du brouillard dense d’hydrogène et d’électrons pour filer en ligne droite. Ce « fond diffus cosmologique » est comme une photographie de cet instant que l’on peut encore apercevoir, même s’il s’est considérablement refroidi depuis l’époque. Il apparaît ici en fausses couleurs, ses minuscules variations de température traduisent les toutes premières surdensités du cosmos. Ce sont les graines à partir desquelles se formeront, des centaines de millions d’années plus tard, les premières étoiles puis les galaxies. Le fond diffus demeure ainsi l’un des piliers de la cosmologie: en le scrutant, les astrophysiciens mesurent l’âge, la composition, la géométrie de l’Univers…

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