Africa-Press – CentrAfricaine. L’Afrique accélère sa transformation numérique grâce à l’essor d’Internet. Les gouvernements investissent, les start-up se multiplient, et les populations adoptent de plus en plus les services en ligne. Mais cette révolution repose sur un socle invisible: une connectivité internationale de qualité.
Le 18 juin 2025, le Tchad et le Niger ont amorcé des discussions en vue de leur interconnexion par fibre optique dans le cadre du projet de Dorsale transsaharienne à fibre optique (DTS). Pour ces deux pays enclavés, cette initiative s’inscrit dans une stratégie plus large visant à surmonter leur isolement numérique en se connectant aux câbles sous-marins via des États voisins côtiers. Comme eux, 14 autres pays africains sont confrontés aux contraintes de l’enclavement géographique, qui limitent leur accès direct à la connectivité internationale.
La DTS vise à interconnecter six pays, dont trois disposent d’un accès direct à des câbles sous-marins. L’Algérie est reliée à six câbles, avec deux nouveaux sites d’atterrissement attendus d’ici 2026. Le Nigeria, plus grand hub de connectivité d’Afrique de l’Ouest, en compte huit, tandis que la Mauritanie en possède un seul, avec un deuxième prévu à l’horizon 2028. Le Tchad, pour sa part, dépend actuellement uniquement de sa liaison avec le Cameroun. Un second lien existait avec le Soudan, mais il n’est plus fonctionnel en raison de l’instabilité sécuritaire dans ce pays.
Pourquoi les câbles sous-marins sont essentiels à la connectivité mondiale
Les câbles sous-marins forment l’ossature invisible mais vitale d’Internet à l’échelle mondiale. Enfouis au fond des océans, ces câbles en fibre optique assurent aujourd’hui plus de 95 % du trafic international de données, loin devant les satellites. Ils transportent quotidiennement des milliards de communications, de vidéos, de transactions financières ou de données cloud, à des vitesses très élevées et à des coûts bien moindres.
Ces infrastructures offrent une bande passante abondante, une faible latence — c’est-à-dire un temps de réponse minimal entre l’envoi et la réception des données — et une grande fiabilité. Pour les opérateurs télécoms, les fournisseurs de contenus (comme Google, Meta ou Netflix) ou les gouvernements, ces câbles représentent un levier stratégique pour faire baisser les coûts de connectivité, attirer les investissements numériques, développer les centres de données et stimuler l’innovation.
En Afrique, leur déploiement s’est accéléré au cours des deux dernières décennies. Des systèmes comme SAT-3, WACS, ACE, EASSy, ou plus récemment 2Africa et Equiano, visent à renforcer l’accès du continent à la bande passante internationale. Ces câbles atterrissent dans les pays côtiers, souvent à plusieurs endroits, leur permettant de diversifier leurs sources d’approvisionnement, de négocier de meilleurs prix d’achat de capacité et de garantir une plus grande résilience de leur réseau.
Comment les pays enclavés accèdent à la connectivité internationale
Privés d’accès direct à ces câbles, les pays enclavés doivent passer par les réseaux de leurs voisins côtiers. Cela nécessite la construction de corridors de fibre optique transfrontaliers, accompagnée d’accords d’interconnexion entre opérateurs nationaux ou privés. Des projets d’envergure comme la DTS ou le Central African Backbone (CAB) visent justement à établir ces connexions régionales.
Certains groupes privés comme Bayobab (filiale d’infrastructure de MTN), Paratus, WIOCC ou Liquid Intelligent Technologies opèrent également des réseaux de fibre régionaux facilitant le transit international. Par ailleurs, des programmes d’intégration numérique portés par la Banque mondiale, comme WARDIP en Afrique de l’Ouest et EARDIP en Afrique de l’Est, accompagnent les pays dans la mise en place d’un marché unique du numérique, notamment via la connectivité régionale.
À l’échelle nationale, des efforts sont également engagés. En mai 2024, lors du 22e séminaire du Réseau des régulateurs africains à Abidjan, le Tchad a présenté une série d’initiatives pour renforcer son infrastructure numérique. Celles-ci comprennent des accords bilatéraux et multilatéraux visant à établir des liens de redondance avec la Libye, l’Algérie et le Nigeria — deux pays également concernés par la DTS.
Le Tchad a aussi engagé des discussions, en décembre 2024, avec l’Égypte, qui dispose d’une connectivité exceptionnelle, avec une quinzaine de câbles sous-marins et sept supplémentaires prévus d’ici 2027. « La proposition de connexion avec l’Égypte offre au Tchad une autre voie de désenclavement numérique. Le pays étant enclavé, ce projet renforcera et fera du Tchad un hub de l’interconnexion numérique en Afrique », indiquait alors le ministère tchadien des Postes et de l’Économie numérique.
D’autres pays enclavés suivent des trajectoires similaires. En juillet 2024, le Mali a signé un accord avec la Guinée, qui est reliée au câble Africa Coast to Europe (ACE). « L’interconnexion des fibres optiques entre la Guinée et le Mali permettra non seulement de réduire les coûts de connexion, mais aussi de sécuriser les communications internationales, créant ainsi un réseau plus résilient et redondant », a expliqué le ministère guinéen des Postes et Télécommunications.
L’accès à la capacité peut toutefois être limité par plusieurs défis
« Les pays enclavés ou ceux disposant d’infrastructures terrestres limitées peuvent tirer des bénéfices moindres en raison des coûts de transit plus élevés imposés par les nations intermédiaires. Les conditions géographiques, telles que la présence de barrières naturelles et l’éloignement des sites d’atterrissement des câbles sous-marins, peuvent affecter l’efficacité du routage des données et les bénéfices globaux tirés de l’augmentation de la bande passante », explique la FERDI (Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International).
La Banque mondiale précise pour sa part que la capacité des câbles sous-marins accessible à un pays enclavé dépend des liaisons terrestres transfrontalières disponibles, ainsi que de la capacité des câbles sous-marins dans les pays voisins, en particulier ceux disposant d’un accès à la mer.
Par ailleurs, ces pays sont vulnérables aux difficultés rencontrées par leurs fournisseurs de capacité, notamment sur les réseaux de transport. Ainsi, la guerre au Soudan a entraîné des pannes récurrentes, avant que la connexion avec le Tchad ne soit finalement interrompue. Du côté du Cameroun, des tensions sur les dorsales gérées par Camtel provoquent régulièrement des perturbations, parfois prolongées, du réseau.
Quelles sont les alternatives?
Face à ces défis, les pays enclavés explorent plusieurs pistes pour diversifier leurs sources de connectivité et renforcer la résilience de leurs réseaux. La première alternative est le satellite, qui revient en force avec l’émergence de nouvelles constellations en orbite basse. Des opérateurs comme Starlink, Eutelsat Konnect, OneWeb ou SES proposent des services à haut débit sans dépendre d’infrastructures terrestres.
Au Zimbabwe, le gouvernement envisage des partenariats avec plusieurs fournisseurs d’accès à Internet par satellite pour étendre les services dans le pays et réduire les coûts. « Nous sommes un pays enclavé, donc le simple fait d’acheminer des données depuis leur lieu d’origine engendre déjà des coûts. Ce que nous pouvons faire, c’est envisager d’autres moyens innovants. Si cela signifie que nous devons faire appel à des sociétés de satellites, cela ne peut pas concerner uniquement une société en particulier, à savoir Starlink », a déclaré Tatenda Mavetera, ministre des Technologies de l’Information et de la Communication, des Services postaux et de courrier.
D’autres solutions impliquent le renforcement du réseau avec des points d’échange Internet (IXP) et des centres de données locaux. Ces derniers permettent de stocker et d’acheminer les contenus numériques directement sur place, réduisant ainsi la dépendance aux connexions internationales. En localisant le trafic, ils améliorent la qualité de service, abaissent la latence et contribuent à faire baisser les coûts.
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