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Ils sont là, installés comme chez eux. Ils dorment sur les tables-bancs. Ils mangent dans les salles de classe. Ils laissent leurs armes appuyées contre les tableaux noirs où, il y a quelques mois encore, des enfants apprenaient à lire et à écrire. Ces rebelles, sortis de la brousse pour un désarmement qui ne viendra jamais, ont trouvé le confort dans une école de Sam-Ouandja. Pendant ce temps, plus de mille enfants errent dans les rues. Leurs parents pleurent. Leurs enseignants se sentent impuissants. Et à Bangui, dans les bureaux délabrés du ministère de l’Éducation Nationale, personne ne lève le petit doigt. Personne ne trouve anormal qu’une école entière soit transformée en caserne improvisée. Personne ne pense qu’il serait peut-être urgent de trouver un autre local pour ces hommes armés. Non. On les laisse là. Confortablement. Pendant que l’avenir de toute une génération part en fumée. Bienvenue à Sam-Ouandja, cette ville du nord-est où l’éducation est devenue le dernier des soucis. Bienvenue dans la Centrafrique de Touadéra, où un rebelle vaut plus qu’un écolier.
Sam-Ouandja, c’est une petite ville de la Vakaga coupée en deux par une rivière qu’on appelle Jardin. Il y a un pont qui relie les deux rives. D’un côté, les habitants ont baptisé leur quartier administratif “Bangui”. De l’autre, ils l’appellent “Zaïre”. Cette géographie simple structure toute la vie locale, y compris l’école. Du côté Bangui, il y a une école. Du côté Zaïre, il y en a une autre, peut-être même plus importante, avec trois gros bâtiments qui abritent six salles de classe. C’est dans cette école de Zaïre que tout s’est effondré.
Il y a trois ou quatre mois, des rebelles sont sortis de leur maquis. Ils ont dit qu’ils venaient se désarmer. Ils étaient nombreux. Trop nombreux pour qu’on les ignore. Alors quelqu’un, quelque part, a décidé de les installer dans l’école. Pas dans un hangar. Pas dans un ancien bâtiment administratif. Pas dans un camp provisoire construit à la va-vite. Non. Dans l’école. Celle où des centaines d’enfants venaient chaque jour apprendre à lire, à écrire, à compter. Celle où des enseignants, souvent bénévoles, se battaient pour offrir un semblant d’éducation dans une région oubliée de tous.
Et depuis, les rebelles y sont. Ils occupent les trois bâtiments. Les six salles de classe. Ils y dorment, y mangent, y vivent. Pendant ce temps, les enfants ne vont plus à l’école. Enfin, pas vraiment. Parce que les enseignants ont trouvé une solution de fortune. Une solution qui ressemble plus à un naufrage qu’à une réponse éducative.
Les élèves de l’école de Zaïre traversent maintenant la rivière Jardin tous les matins. Avec leurs maîtres. À pied. Sous le soleil qui tape. Sous la pluie qui trempe. Ils marchent jusqu’au pont, le traversent, et continuent jusqu’à l’école de Bangui. L’autre école. Celle qui, elle aussi, était déjà pleine à craquer avant que cette catastrophe ne commence.
Imaginez un peu la scène. L’école de Bangui avait déjà ses propres élèves. Des effectifs énormes. À Sam-Ouandja, comme partout dans les provinces oubliées de ce pays, les classes débordent. Pour un seul niveau, on divise en deux groupes. CP1A et CP1B. CP2A et CP2B. CE1, CE2, CM1, CM2, tout est dédoublé. Et pour que tout le monde puisse entrer, on fonctionne en double vacation. Le matin, un groupe vient et termine à midi. L’après-midi, l’autre groupe arrive et termine vers 17h30. C’est serré, c’est difficile, mais ça permettait au moins à tous les enfants d’avoir leur chance.
Mais maintenant, il faut accueillir en plus tous les élèves de l’école de Zaïre. Alors on les entasse. On regroupe CP1A et CP1B dans une seule salle. On fait pareil pour toutes les classes. Et on abandonne le système de double vacation parce qu’il n’y a plus assez de place. Résultat: dans chaque salle de classe, il y a maintenant peut-être 200, 220, 250 élèves. Entassés comme des sardines. Certains n’ont pas de table-banc. Ils s’assoient par terre. D’autres restent debout au fond de la classe. Ceux du dernier rang ne voient même pas le tableau. Ceux de devant s’écrasent les uns contre les autres.
Comment voulez-vous qu’un enfant apprenne dans ces conditions? Comment voulez-vous qu’un maître enseigne à 250 élèves en même temps? C’est mission impossible. L’enseignant crie pour couvrir le bruit. Les élèves bavardent parce qu’ils sont trop nombreux pour qu’on les surveille tous. Ceux qui veulent vraiment écouter n’entendent rien. Ceux qui veulent écrire n’ont pas de place. Ceux qui ont des questions ne peuvent pas les poser parce qu’il y a trop de monde.
L’année scolaire est foutue pour ces enfants. Plus de mille enfants qui vont perdre une année. Qui ne vont rien apprendre. Qui vont peut-être se décourager et abandonner l’école. Qui vont peut-être traîner dans les rues. Qui vont peut-être, dans quelques années, rejoindre un groupe armé parce qu’ils n’auront rien d’autre à faire de leur vie.
Parce que c’est ça, la vérité que personne ne veut voir. Quand on prive les enfants d’éducation, on prépare les rebelles de demain, comme l’a si bien dit le cardinal Nzapalaïnga. Quand on laisse une génération entière pourrir sans formation, sans perspectives, sans espoir, on crée les conditions de la prochaine guerre. C’est mathématique. C’est inéluctable. Et pourtant, le gouvernement regarde ailleurs.
Qu’est-ce qui empêche le ministère de l’Éducation Nationale de réagir? Pourquoi personne ne cherche un autre local pour ces rebelles? À Sam-Ouandja, il y a forcément d’autres bâtiments. Des hangars. Des anciens bureaux administratifs. Des locaux vides. Même s’ils ne sont pas parfaits, même s’ils nécessitent quelques aménagements, c’est mieux que de condamner plus de mille enfants à une année blanche.
Mais personne ne bouge. Le ministre de l’Éducation Nationale ne se déplace pas. Les inspecteurs ne font pas de rapport. Le sous-préfet ne proteste pas. Le préfet ne réagit pas. Et à Bangui, dans les bureaux du gouvernement central, on fait comme si Sam-Ouandja n’existait pas.
Parce qu’au fond, ils s’en fichent. Ces enfants ne comptent pas. Ce sont des enfants de province. Des enfants pauvres. Des enfants dont les parents n’ont aucun poids politique. Alors on peut les sacrifier sans problème. Personne ne viendra manifester devant le ministère pour eux. Personne ne fera de pétition. Personne ne parlera d’eux dans les médias de la capitale.
Le président Touadéra dit dans tous ses discours que la priorité, c’est la jeunesse. Que l’éducation est l’avenir du pays. Que les enfants sont notre richesse. Mais à Sam-Ouandja, pendant qu’il prononce ces belles paroles dans des cérémonies officielles à Bangui, les rebelles dorment dans les salles de classe et les enfants pourrissent dehors.
C’est ça, la réalité de la Centrafrique de Touadéra. Des discours magnifiques. Des promesses creuses. Et sur le terrain, le néant. L’abandon. L’indifférence.
Ceux qui vivent à Bangui ne le savent pas. Ils ne voient pas ce qui se passe dans les provinces. Ils crient pour leurs propres problèmes. Ils manifestent pour leurs propres revendications. Mais ils ne savent pas qu’à Sam-Ouandja, à des centaines de kilomètres de la capitale, plus de mille enfants sont privés d’école depuis des mois. Ils ne savent pas que des rebelles squattent les salles de classe pendant que les enseignants se débrouillent comme ils peuvent. Ils ne savent pas que l’avenir de toute une génération est en train de partir en fumée dans l’indifférence générale.
Heureusement que Corbeau News Centrafrique est là. Dans tous les coins du pays. Dans toutes les provinces oubliées. Dans toutes les villes où personne d’autre ne va. CNC vous raconte ce que les autres médias ignorent. CNC vous montre la réalité que le gouvernement veut cacher. CNC donne la parole à ceux que personne n’écoute.
Le gouvernement sait très bien que ce que nous révélons ici est vrai. Ils savent que les rebelles occupent l’école de Sam-Ouandja. Ils savent que plus de mille élèves sont entassés dans des conditions impossibles. Ils savent que la situation est catastrophique. Mais ils ne feront rien. Parce qu’ils s’en fichent. Parce que Sam-Ouandja est trop loin. Parce que ces enfants ne votent pas. Parce que ces parents n’ont aucun pouvoir.
Alors les rebelles continueront à dormir confortablement dans les salles de classe. Les enfants continueront à s’entasser à 150 par classe. Les enseignants continueront à faire semblant d’enseigner dans des conditions inhumaines. Et à Bangui, dans les bureaux climatisés, on continuera à parler de “priorité à la jeunesse” en sirotant du café.
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