Généraux Du Carburant Et Mafia: Partage Du Butin

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Généraux Du Carburant Et Mafia: Partage Du Butin
Généraux Du Carburant Et Mafia: Partage Du Butin

Africa-Press – CentrAfricaine. Derrière la façade des stations-service confisquées à TAMOIL se cache un système de pillage organisé qui enrichit les cadres militaires et les dirigeants du Mouvement Cœurs Unis. L’enquête de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime expose un mécanisme bien connu où l’argent du carburant finance directement le parti du président Touadéra, le MCU.

Le dispositif repose sur un circuit simple mais efficace. Des agences publiques liées au ministère de l’Énergie délivrent des bons d’essence officiels, soi-disant destinés aux besoins opérationnels des forces de sécurité. Ces bons sont ensuite échangés contre de l’argent liquide dans les stations-service confisquées. Selon plusieurs fonctionnaires et opérateurs économiques qui connaissent le système de l’intérieur, ces paiements en espèces sont redistribués à de hauts fonctionnaires, dont de nombreux membres du parti au pouvoir.

Les profits sont colossaux. Chaque camion-citerne de 35 000 litres revendu dans ces stations rapporte environ 14 millions de francs CFA, soit 25 000 dollars américains. Cette marge s’explique par les prix gonflés appliqués par Neptune Oil, auxquels s’ajoutent les taxes et droits d’importation non payés grâce aux exonérations frauduleuses. Si la moitié des importations de Neptune Oil en 2024 – soit environ 1 200 camions-citernes – a transité par les stations confisquées, les bénéfices excédentaires dépassent 30 millions de dollars américains.

Au cœur de ce système figure le général Zéphirin Mamadou, chef d’état-major des Forces armées centrafricaines. Son épouse Prisca Rosaline Mamadou contrôle quatre des dix stations-service confisquées, toutes situées à Bangui. Le général n’est pas qu’un simple bénéficiaire: il est identifié comme l’un des principaux bailleurs de fonds du MCU, le parti présidentiel. Son ascension au sein de l’appareil militaire s’accompagne d’une mainmise économique qui lie étroitement pouvoir militaire et intérêts financiers.

Le partage du butin s’inscrit dans un système pyramidal de rétrocommissions qui a rapporté entre 17,5 et 30 millions de dollars américains en 2024. Les services de sécurité figurent parmi les principaux bénéficiaires, aux côtés des acteurs politiques clés du MCU et des opérateurs économiques. Ce réseau fonctionne avec l’approbation tacite du sommet de l’État, transformant le secteur du carburant en machine à cash pour financer le parti au pouvoir.

Les six autres stations confisquées ont été attribuées à Souleymane Bassou, un ressortissant malien entretenant depuis des décennies des liens étroits avec les élites politiques et économiques de Bangui. Bassou est propriétaire d’Inter-Oil Centrafrique, une société qui ne dispose même pas de licence de commercialisation valide selon le registre du commerce centrafricain. Cette anomalie n’empêche nullement ses stations de fonctionner et de vendre du carburant au prix fort.

Le rapport de la GI-TOC révèle également que ces stations confisquées vendent du carburant provenant d’importateurs non agréés, en violation directe des directives gouvernementales. Le ministère de l’Énergie interdit explicitement l’intégration de ce carburant au réseau officiel de distribution, mais la règle ne s’applique manifestement pas aux protégés du régime.

Au-delà du réseau formel, le carburant circule aussi par des vendeurs non agréés et des dépôts clandestins apparus lors de la crise de 2022. Ces points de vente illégaux, identifiés à plusieurs endroits de Bangui, approvisionnent principalement les chauffeurs routiers et les vendeurs ambulants. Là encore, les bénéfices sont prélevés et redistribués sous forme de paiements en espèces aux autorités complices, selon plusieurs acteurs économiques du secteur interrogés par les enquêteurs.

Le comité anti-fraude du ministère de l’Énergie participe activement à ce système. Officiellement chargé de lutter contre l’importation frauduleuse de carburant, ce comité détourne en réalité une partie des fonds collectés. Les transporteurs d’autres marchandises qui emportent du carburant supplémentaire pour refaire le plein en cours de route versent régulièrement des pots-de-vin aux agents pour éviter des sanctions. Ces recettes extrabudgétaires servent à financer les opérations et les salaires du comité, et sont réparties de manière informelle entre les hauts fonctionnaires du ministère.

Le comité opère dans une zone grise sur le plan juridique malgré son rôle prépondérant. Sur ses 90 agents recensés, moins de la moitié sont effectivement actifs, et aucun n’est sous contrat officiel. Cette absence de transparence et de supervision permet au comité de devenir un maillon supplémentaire d’une économie du carburant où se mêlent légalité, pouvoir étatique et profit.

Prisca Rosaline Mamadou n’est pas une novice dans les cercles du pouvoir. Ancienne directrice du budget à la gendarmerie et ex-directrice financière au ministère de la Sécurité publique, elle connaît parfaitement les rouages de l’administration. Sa nomination à la tête des stations-service les plus rentables de la capitale confirme la fusion totale des sphères politique, militaire et économique sous le régime Touadéra.

Le ministre de l’Énergie Arthur Bertrand Piri, secrétaire exécutif adjoint du MCU, joue un rôle central dans ce dispositif. C’est lui qui a supervisé l’attribution des stations confisquées, justifiant la mesure par des dettes impayées et une mauvaise gestion de TAMOIL. Mais les faits montrent que cette réquisition visait surtout à renforcer la centralisation du contrôle du secteur entre les mains d’acteurs politiquement connectés.

Les forces de sécurité profitent directement du système grâce aux bons d’essence qui leur permettent de convertir le carburant en liquidités. Ce mécanisme garantit la loyauté de l’armée et des services de renseignement envers un régime qui les enrichit. Le carburant devient ainsi un outil de patronage politique, un moyen d’acheter les fidélités et de maintenir le pouvoir.

Le rapport estime que ce système a privé l’État centrafricain de recettes fiscales essentielles tout en remplissant les poches d’un cercle restreint de privilégiés. Les recettes gouvernementales issues du carburant sont passées de 41,6 millions de dollars américains en 2021 à seulement 29,5 millions de dollars en 2024, malgré une reprise quasi complète des volumes d’importation. Cette baisse préoccupante s’explique en grande partie par l’évasion fiscale sur le chiffre d’affaires et les exonérations dont bénéficie Neptune Oil, avec la complicité des hauts responsables.

Les Centrafricains paient le prix fort à la pompe pendant que les généraux et les cadres du MCU s’enrichissent. Le gazole coûte toujours 2,17 dollars américains le litre, un prix inabordable dans un pays où 70% de la population vit avec moins de 1,90 dollar par jour. Cette situation ne résulte pas d’une simple défaillance du marché, mais d’une captation délibérée de l’État par des réseaux criminels qui opèrent sous couvert de l’autorité publique.

Source: Corbeau News Centrafrique

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