Africa-Press – Congo Kinshasa. Vingt-cinq ans après l’horreur de Kisangani, la mémoire refait surface. Non pas pour raviver les douleurs, mais pour panser les plaies.
Jeudi soir dans la salle de spectacles Showbuzz à Kinshasa, le rideau s’est levé sur une avant-première très attendue: celle du documentaire « Genocost », un film-choc produit et réalisé par l’agence Divo, qui a retracé la guerre des Six Jours de cette ville. Le ministère de la Justice, maître d’œuvre de cette soirée mémorielle, a voulu, à travers cet événement, honorer les victimes d’un conflit sanglant resté trop longtemps dans l’oubli, tout en ouvrant la voie à une justice encore trop lente à se dessiner.
Un quart de siècle après les bombardements aveugles entre les armées rwandaise et ougandaise en pleine ville, la douleur des survivants est restée intacte. Ce film s’est voulu un cri visuel, un outil de mémoire mais aussi un acte politique fort dans une République démocratique du Congo qui continue à panser ses plaies.
L’histoire convoquée pour éclairer l’avenir
Selon le coordonnateur du Fonds spécial de réparation et d’indemnisation aux victimes des activités illicites de l’Ouganda (FRIVAO), l’histoire tragique entre le 5 et le 10 juin 2000, restait une plaie ouverte. Chancard Bolukola a évoqué les violations massives des droits humains perpétrées lors des affrontements entre les troupes ougandaises et rwandaises sur le sol congolais, qui avaient laissé derrière elles des milliers de morts, des blessures morales profondes et des infrastructures en ruines.
Il a expliqué que ce film documentaire n’était pas une œuvre parmi d’autres, mais un geste profondément réfléchi. Le FRIVAO, a-t-il soutenu, avait voulu ce projet, l’avait porté et réalisé avec la conviction que la mémoire pouvait être un ferment de paix.
Une œuvre pour réparer l’irréparable
Le responsable du FRIVAO a déclaré que l’objectif de ce film allait bien au-delà de la simple commémoration. Il l’a présenté comme une tentative de « réparer l’irréparable », de « penser l’invisible », de « redonner un nom aux anonymes » et « une voix aux oubliés ». Pour lui, cette production représentait une leçon d’histoire, un hymne à la justice et un plaidoyer pour la dignité humaine. D’ailleurs, il a affirmé que cette œuvre appelait chacun à sortir de l’indifférence, à se confronter à ce que beaucoup avaient préféré oublier, et à assumer collectivement le devoir de mémoire.
La République, les yeux ouverts
M. Bolukola a souligné que la projection du film symbolisait l’engagement renouvelé de l’État à reconnaître ses responsabilités et à rendre hommage aux survivants. Il a rappelé que ce soir-là, la République ne fermait pas les yeux, mais qu’au contraire, elle les ouvrait grands sur son passé, pour mieux comprendre le présent et construire l’avenir. Il a fait savoir que ce moment ne devait pas se limiter à une séance de projection, mais qu’il constituait un véritable engagement en faveur de la justice, de la vérité et de la paix.
L’appel à la jeunesse
S’adressant à la jeunesse congolaise, le numéro 1 du FRIVAO l’a invitée à se souvenir, non pour se venger, mais pour construire. A haute voix, il a invité à l’action plutôt qu’à la plainte, à la compréhension plutôt qu’à la haine, insistant sur le fait que la mémoire devait conduire à des transformations concrètes. Pour conclure, le dirigeant a indiqué que ce documentaire devait être perçu comme un acte fondateur, une pierre blanche sur le chemin d’une nation qui refusait désormais de fuir son passé. Il est temps, estime-t-il, que la douleur se transforme en dignité, que la mémoire débouche sur l’action, et que l’histoire inscrive enfin sa parole dans le marbre de la justice. Créé par décret présidentiel en décembre 2019, FRIVAO a pour mission de redistribuer des indemnisations tant individuelles que collectives, en faveur des victimes de l’occupation militaire ougandaise, conformément aux standards du droit international et aux lois nationales en vigueur.
Blessures ouvertes
Cette rencontre s’est déroulée dans un climat chargé par la mémoire nationale. Ce même jour, Amnesty International publiait un rapport poignant intitulé « Le Congo, ça n’émeut personne? », ce document ravive les douleurs d’un conflit meurtrier opposant les armées ougandaise et rwandaise sur le sol congolais entre le 5 et le 10 juin 2000.
L’ONG dénonce l’absence totale de justice, le silence des institutions, et une gestion opaque des réparations. Des récits glaçants d’enfants mutilés, de familles décimées, et de survivants abandonnés dans l’oubli. Une fillette de sept ans mutilée après avoir été atteinte par un éclat de bombe. Un père retrouvant sa femme et ses enfants morts dans leur maison détruite. Un militant de la société civile résumant six jours d’enfer par cette phrase: « Il n’y avait que de bombes. On ne savait pas si on allait survivre ».
L’organisation appelle à des enquêtes immédiates, à des procès crédibles, et à une réelle écoute des victimes. La Cour pénale internationale, incompétente pour les crimes commis avant 2002, n’a pu intervenir. Et les survivants, eux, continuent de crier dans le désert.
Selon l’organisation, cette impunité a nourri un cycle de violences qui se poursuit jusqu’à ce jour. Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et australe, dénonce une situation inacceptable: « Pas une seule personne n’a été tenue responsable. Cela alimente l’idée que l’on peut tuer en toute impunité en RDC ».
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press