Africa-Press – Congo Kinshasa. L’ouverture ce vendredi 25 juillet du procès de Joseph Kabila devant la Haute Cour militaire relance les débats sur la justice et la paix en République démocratique du Congo. Alors que l’ancien président est accusé de financer le M23 pour l’occupation d’une partie de l’Est du pays, cette procédure intervient à contre-courant des efforts de pacification menés à Doha et à Washington. À l’heure où les accords de paix peinent à produire des résultats concrets, cette initiative judiciaire suscite autant d’espoir que d’inquiétude, dans un climat où rien ne semble acquis.
L’annonce de l’ouverture, ce vendredi 25 juillet 2025, du procès de Joseph Kabila Kabange, ancien président de la République démocratique du Congo et sénateur à vie, devant la Haute Cour militaire suscite à la fois surprise, inquiétude et scepticisme. Cette procédure judiciaire, initiée après la levée de ses immunités parlementaires par le Sénat, intervient dans un climat extrêmement tendu, marqué par l’insécurité persistante à l’Est, la montée des contestations politiques et les efforts fragiles de pacification menés notamment à Doha et Washington.
Un procès historique aux implications incalculables
C’est une première dans l’histoire politique du Congo indépendant: un ancien chef de l’État poursuivi devant la justice militaire pour des faits qui, selon certaines sources proches du dossier, concerneraient entre autres son implication présumée dans le financement du M23/AFC, groupe rebelle responsable de nombreuses exactions dans le Nord-Kivu.
Cette action judiciaire, à première vue salutaire pour l’instauration de l’État de droit, s’inscrit dans une dynamique de reddition des comptes exigée par une opinion publique de plus en plus consciente et exigeante. Elle pourrait être perçue comme un signal fort: désormais, nul n’est au-dessus des lois, même pas un ancien président.
Mais cette même décision soulève aussi de sérieuses interrogations sur le timing, les motivations réelles et les conséquences potentielles pour la stabilité du pays.
Un acte de justice… ou d’embrasement?
Il faut oser poser cette question dérangeante: poursuivre aujourd’hui Joseph Kabila, est-ce une décision de justice ou une provocation politique susceptible de raviver le feu sous la cendre?
En effet, l’ancien président reste une figure influente. Il conserve de solides réseaux dans l’armée, l’administration et certaines provinces stratégiques, notamment au Katanga. Au sein de son camp politique, le Front Commun pour le Congo (FCC), nombreux sont ceux qui perçoivent cette poursuite judiciaire comme un « acharnement » ou une tentative d’écarter définitivement un acteur politique gênant.
Pire encore, les accusations selon lesquelles Kabila serait le principal commanditaire du M23 – en lien avec des intérêts mafieux, militaires ou régionaux – sont explosives. Les évoquer dans un cadre judiciaire national, sans coordination préalable avec les processus diplomatiques de paix en cours, peut torpiller les efforts laborieusement engagés à Doha et par les États-Unis pour parvenir à une désescalade durable.
Les accords de Doha à l’épreuve
Le paradoxe est frappant. Alors que la déclaration de principes signée récemment à Doha mentionne la libération des personnes impliquées dans l’appui logistique, militaire ou financier au M23, la RDC ouvre en même temps un procès contre la figure que plusieurs sources (locales et étrangères) désignent – à mots couverts – comme le cerveau de cette rébellion.
On pourrait dès lors se poser la question: peut-on négocier la paix d’un côté, et juger le commanditaire de l’autre, sans compromettre la cohérence du processus?
À défaut de clarté, cette simultanéité renforce l’impression d’un double langage: justice sélective, paix conditionnelle, réconciliation à géométrie variable.
Théâtre politique ou justice en marche?
Une partie de l’opinion, notamment sur les réseaux sociaux, voit dans ce procès un théâtre politique visant à distraire l’attention de l’incapacité de l’État à sécuriser l’Est, à faire appliquer les résolutions issues des pourparlers de paix ou encore à engager des réformes économiques et sociales attendues par la population.
D’autres y lisent une manœuvre politique visant à neutraliser définitivement un potentiel adversaire électoral, à l’approche de futurs scrutins cruciaux, notamment les provinciales et locales.
Mais le danger est réel: en transformant ce procès en affrontement politique, on prend le risque de fracturer davantage la nation, de polariser l’armée, et de pousser certains cercles proches de Kabila dans une posture de résistance souterraine ou d’obstruction active à tout processus de stabilisation.
Pour une justice qui construit la paix, pas qui la compromet
Si l’objectif est réellement la justice, celle-ci doit être impartiale, transparente, cohérente et inscrite dans une vision plus large de vérité et de réconciliation. Sinon, elle ne sera qu’un instrument de règlements de comptes ou un catalyseur de nouvelles tensions.
Il est urgent de créer un cadre national de justice transitionnelle, incluant les victimes, les anciens combattants, les acteurs politiques et la société civile, qui permettrait d’établir la vérité sur les causes structurelles du conflit, de désigner les responsabilités sans esprit de vengeance, et d’enclencher un vrai processus de réparation collective.
La RDC a besoin de justice, oui. Mais elle a encore plus besoin de paix. Et la paix durable ne se construit pas uniquement dans les prétoires, mais dans les cœurs, les mémoires et les institutions.
En définitive, la question centrale n’est pas de savoir si Joseph Kabila est coupable ou non. Elle est de savoir si le moment est bien choisi, si le cadre est adapté, et si les conséquences de ce procès ont été pleinement mesurées dans un contexte où la moindre étincelle peut embraser tout un pays.
Le Congo est à la croisée des chemins. Et ceux qui prétendent le servir doivent choisir entre la vengeance et la reconstruction.
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