Partenariat Footballistique de la RDC et Ses Pertes

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Africa-Press – Congo Kinshasa. Le drapeau congolais s’affiche désormais dans les tribunes de l’AS Monaco, de l’AC Milan et du FC Barcelone. L’on pourrait croire à une victoire diplomatique, à un sursaut de prestige, voire à un souffle nouveau dans la stratégie de positionnement international de la République Démocratique du Congo. Pourtant, derrière cette vitrine tapageuse, une autre réalité, bien plus brutale, se dessine: celle d’un peuple abandonné aux urgences du quotidien pendant que ses dirigeants investissent dans le symbole plutôt que dans le concret.

En effet, près de 98 millions de dollars ont été engagés par l’État congolais pour signer des contrats publicitaires avec ces trois clubs européens: 14,4 millions d’euros pour l’AS Monaco, 42 millions pour l’AC Milan et 43 millions pour le FC Barcelone. Présentées comme une opération de « nation branding », ces dépenses prétendent redorer l’image de la RDC sur la scène internationale. Mais au fond, que signifie polir une image quand le fond même du pays est en décomposition sociale? Quel sens peut avoir une visibilité étrangère quand plus de 27 millions de Congolais sont piégés dans une insécurité alimentaire aiguë, que les écoles croulent sous la surcharge, que les femmes accouchent sans assistance médicale, et que des enfants grandissent sans eau, sans lumière, sans avenir?

Pourtant, les chiffres parlent avec une clarté que même les campagnes publicitaires les mieux ficelées ne peuvent étouffer. Avec cette même enveloppe de 97,88 millions de dollars, la République aurait pu ériger près de 500 terrains de sport municipaux en pelouse naturelle ou 244 en pelouse synthétique, favorisant l’épanouissement de la jeunesse et renforçant le tissu social à travers toutes les provinces. Elle aurait pu construire 98 kilomètres de routes asphaltées ou 489 kilomètres de routes améliorées, désenclavant des zones rurales entières et libérant l’économie locale du carcan de l’inaccessibilité.

Sur le front de l’éducation, ce montant représentait l’équivalent de 978 écoles primaires de six classes, dotées de bureaux administratifs, de latrines et d’équipements de base. Autant de lieux où des générations entières auraient pu apprendre, grandir, s’émanciper. En matière de santé publique, on aurait pu bâtir entre 326 et 652 centres de santé standardisés, garantissant une couverture minimale dans des zones trop souvent livrées à elles-mêmes, où la maladie rime avec fatalité. Et que dire de l’énergie? Cinq mini-centrales hydroélectriques comme celle de Matebe auraient pu voir le jour, apportant l’électricité propre et durable à une quinzaine de localités, libérant l’artisanat, les écoles, les hôpitaux et les foyers de l’obscurité chronique.

Ce ne sont là que quelques illustrations tangibles, quantifiables, indiscutables. Elles démontrent l’ampleur du sacrifice consenti pour quelques centimètres carrés de logo sur des maillots européens. Pendant que les enfants apprennent à la lumière des bougies, que les femmes accouchent sur des bancs de fortune, que les routes s’effondrent sous la pluie, l’État congolais dépense des millions dans des stades étrangers où aucun Congolais ordinaire ne mettra jamais les pieds.

Ce choix budgétaire n’est pas seulement discutable ; il est indéfendable. Car le véritable prestige d’une nation ne réside pas dans les écrans LED de Barcelone, dans les gradins de San Siro ou sur les panneaux du Stade Louis II. Il réside dans la dignité de son peuple, dans la santé de ses enfants, dans la scolarité de ses filles, dans l’autonomie de ses producteurs, dans la sécurité de ses villages. Une nation se construit de l’intérieur ; elle s’honore par les actes, non par les apparences.

Qu’un pays cherche à améliorer son image n’est pas en soi blâmable. Le soft power est un levier réel, une arme d’influence dans le concert des nations. Mais encore faut-il que cette ambition soit adossée à une base solide. On ne repeint pas la façade d’une maison dont les fondations s’effondrent. Et lorsqu’il s’agit de 100 millions de dollars, dans un pays où chaque dollar peut sauver une vie, l’erreur devient faute, et la faute, trahison.

Il aurait fallu, au minimum, que ces campagnes soient accompagnées d’un plan structuré, d’un retour mesurable sur investissement, d’une articulation claire avec une politique de développement intérieur. Il aurait fallu que le peuple, avant d’être montré, soit servi ; qu’il soit nourri avant d’être brandi ; qu’il soit fier de ce qu’il vit, avant de servir de slogan à l’étranger.

Car le respect du monde ne se gagne pas dans les salons feutrés de l’Europe, mais dans les actes concrets posés sur le territoire national. Et le patriotisme, le vrai, ne consiste pas à acheter une place dans les gradins internationaux, mais à bâtir une nation où chaque citoyen trouve sa place, dans la dignité et la sécurité.

En période de pauvreté aiguë et d’urgence humanitaire, chaque choix budgétaire devient un acte moral. Il ne s’agit plus de dépenses, mais de sacrifices. Dépenser 97,88 millions de dollars pour flatter l’ego d’un État en déroute, c’est détourner la main tendue de millions de Congolais qui attendent encore un puits, une route, une école ou un centre de santé.

Faire le choix inverse, c’est choisir la vie contre l’image, le service contre le symbole, le peuple contre l’apparence. C’est faire preuve, tout simplement, de bon sens patriotique.

Idi Ndarabu est diplômé en économie monétaire de l’Université de Kinshasa. Il est également analyste des questions politiques et sociales. Les opinions exprimées dans cet article lui sont propres et ne reflètent en aucun cas la position des institutions auxquelles il est associé.

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