Quand L’Ia Fait Baisser L’Expertise des Médecins

1
Quand L'Ia Fait Baisser L'Expertise des Médecins
Quand L'Ia Fait Baisser L'Expertise des Médecins

Africa-Press – Congo Kinshasa. C’est une étude qui, à l’heure de la fascination pour l’intelligence artificielle (IA) et à celle de sa mise en place dans la stratégie nationale en santé prévue d’ici 2030 dans l’Hexagone, relance le débat sur ses effets sur notre cerveau. Tout juste publiée dans la revue The Lancet Gastroenterology & Hepatology, elle démontre pour la première fois que le recours à l’IA rend les médecins moins performants, l’aptitude des expérimentateurs, pourtant ici chevronnés, baissant très vite, en six mois seulement.

Les auteurs de cette étude ont voulu savoir si l’IA modifiait le comportement des utilisateurs, ici des endoscopistes digestifs réalisant des coloscopies, l’examen de repérage des polypes précancéreux, dits adénomes. Pour rappel, si ces lésions sont découvertes à un stade précoce, l’examen permet leur retrait, ce qui revient à prévenir l’apparition d’un cancer colorectal.

Depuis déjà quelques années, les plateaux techniques d’endoscopie digestive s’équipent progressivement d’endoscopes comprenant des algorithmes d’IA pour, à la fois mieux détecter, mais aussi mieux caractériser les lésions découvertes au cours de l’examen. Ce qui se traduit en pratique pour cette aide au diagnostic radiologique, par une alerte sonore ou visuelle survenant pendant le déroulement de la coloscopie, afin d’attirer l’attention du radiologue sur une zone éventuellement critique.

Ici, l’objectif des chercheurs polonais était d’analyser l’impact de l’introduction de l’IA dans la pratique d’un groupe de 19 endoscopistes aguerris, chacun ayant plus de 2000 examens à son actif. L’originalité de ce travail, le premier du genre, a donc été de comparer leurs performances diagnostiques, soit leur taux de détection des adénomes à l’œil nu sans IA, avant son arrivée mais aussi trois mois après.

« Quand une technologie vous assiste, le cerveau se met à fonctionner différemment »

Menée dans quatre centres en Pologne, cette étude observationnelle et dite rétrospective, a été menée de fin 2021 à début 2022, période de mise en place de l’IA dans ces structures. Les observations ont duré six mois pendant lesquels les chercheurs ont comparé la qualité de 1443 coloscopies toutes réalisées sans IA, 795 ayant été réalisées avant son déploiement, 648 autres après. Et les résultats sont les suivants: en six mois, le taux de détection des adénomes est passé de 28,4 % à 22,4 %, ce qui correspond à une différence absolue de -6 %, soit une baisse de l’expertise humaine et donc des performances des radiologues à identifier les lésions.

Un résultat qui laisse entrevoir que ce n’est pas l’outil lui-même qui est en cause, mais plutôt son usage, via la perte de vigilance qu’il induit, et ce par le biais d’automatisation qu’il génère. « Je ne suis pas vraiment étonné par ces chiffres, réagit le Pr Geoffroy Vanbiervliet, gastroentérologue au CHU de Nice et secrétaire général de la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED). Quand une technologie vous assiste, le cerveau se met à fonctionner différemment, un peu comme depuis l’arrivée des téléphones portables, nous ne faisons plus d’efforts pour apprendre les numéros par cœur. Mais ce qui importe surtout, c’est de savoir si le recours à l’IA est bénéfique ou pas pour le patient, et cela, on ne le sait pas encore ».

Et le spécialiste de poursuivre: « Si différentes études ont bien démontré que l’IA en endoscopie permettait d’augmenter d’environ 10% en temps réel le taux de détection des polypes, cela concerne en fait surtout l’identification des petits polypes bénins, ceux qui n’auraient de toute manière pas dégénéré ou que d’autres examens auraient finalement retrouvé plus tard. En revanche, l’impact de l’IA sur la diminution d’incidence du cancer colorectal reste elle à démontrer ».

Un subtil dosage à trouver

Aujourd’hui en France, difficile aussi de savoir à quoi ressemblent les pratiques, les outils d’IA proposés par les industriels variant considérablement selon les modèles et marques d’endoscopes, sans étude comparative conduite entre eux, comme d’ailleurs avec les médicaments.

Dans son éditorial paru dans le même numéro que l’étude, la revue britannique précise que « si la prudence doit être de mise, un moratoire général risquerait de freiner l’innovation bénéfique, en particulier lorsque des vies sont en jeu. Il est donc plutôt nécessaire d’adopter une approche rigoureuse, conciliant innovation et sécurité. Une surveillance rigoureuse, ainsi qu’une formation et une évaluation continues par les cliniciens, les patients et les développeurs, peuvent contribuer à faire de l’IA un outil précieux pour la santé ».

« Pour nous à la SFED, l’enjeu aujourd’hui est d’associer pédagogie et qualité dans nos programmes de formation continue et d’entraînement des radiologues, le recours à l’IA restant toujours sous contrôle humain », insiste le Pr Vanbervielt. Bref, un subtil dosage entre aide technologique, savoir-faire, sécurité et bénéfice pour le patient.

En attendant, n’oubliez pas le dépistage du cancer du colon. Deux tiers des personnes concernées, les plus de 50 ans, ne le font pas et chaque année, 45.000 nouveaux cas sont identifiés et 17.000 décèdent.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Congo Kinshasa, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here