RDC : face au M23, Félix Tshisekedi « chef de guerre » malgré lui

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RDC : face au M23, Félix Tshisekedi « chef de guerre » malgré lui
RDC : face au M23, Félix Tshisekedi « chef de guerre » malgré lui

Africa-Press – Congo Kinshasa. Jusqu’au dernier moment, le sujet aura divisé l’entourage de Félix Tshisekedi. Ce 20 septembre, à New York, le chef de l’État congolais est attendu à la tribune des Nations unies. Dans les coulisses, ses proches conseillers mettent la touche finale aux treize pages du discours qu’il s’apprête à prononcer devant l’Assemblée générale. Dans les salons du siège de l’ONU, qui donnent sur l’East River, plusieurs questions doivent encore être tranchées : quelle part réserver à la guerre en cours dans l’Est ? Et aux accusations formulées contre le Rwanda à propos de son soutien présumé aux rebelles du M23 ? Quelles critiques adresser à la communauté internationale, dont on trouve, à Kinshasa, qu’elle se montre décidément trop prudente ?

Ton offensif

La crise que traverse la RDC provoque des remous jusqu’au sommet de l’État. D’un côté, les partisans d’un discours ferme vis-à-vis de Kigali. De l’autre, ceux qui plaident pour un propos moins accusateur. Moins nombreux, ces derniers n’ont pas obtenu gain de cause : la version finalement retenue a été préparée par Christophe Lutundula, le ministre des Affaires étrangères, et par Serge Tshibangu, le mandataire spécial du chef de l’État. Le ton offensif adopté depuis plusieurs mois est maintenu.

Face à l’Assemblée, Félix Tshisekedi affirme donc que « l’implication du Rwanda et sa responsabilité dans la tragédie que vivent [son] pays et [ses] compatriotes des zones occupées par l’armée rwandaise et ses alliés du M23 ne sont plus contestables ». Il appelle donc « les Nations unies, l’Union africaine, les communautés régionales africaines et les partenaires de la RDC à ne plus se fier aux dénégations éhontées des autorités rwandaises ». Imaginait-il, il y a un an, tenir un jour de tels propos ?

Aux portes de Goma

À l’époque, en sa qualité de président en exercice de l’UA et à cette même tribune, il avait défendu le bilan de l’état de siège – une mesure d’exception en vigueur dans deux provinces de l’Est depuis le mois de mai précédent. Il avait aussi souligné la nécessité de doter la Monusco de moyens supplémentaires et de définir une stratégie mondiale contre le terrorisme. Quelques semaines plus tard, le 7 novembre 2021, le M23 repassait à l’attaque. Se sont succédé affrontements sporadiques et offensives fulgurantes.

Un an plus tard, les rebelles sont de nouveau aux portes de Goma, dix ans presque jour pour jour après la chute de ce chef-lieu du Nord-Kivu, tombé aux mains des hommes du colonel Sultani Makenga. Après la ville-carrefour de Bunagana, en juin, de nombreuses localités ont été conquises, forçant Félix Tshisekedi à endosser un nouveau costume : celui de président en guerre.

Ce statut, son entourage ne l’assume qu’à demi-mot. « Le président a dit que l’on faisait le choix de la diplomatie, pas celui de la guerre. En réalité, nous sommes déjà en état de guerre », résume Patrick Muyaya, le ministre de la Communication.

Le conflit a aussi mis en lumière les dysfonctionnements d’une armée avec laquelle Félix Tshisekedi ne s’est jamais réellement senti à l’aise et au sein de laquelle il a longtemps manqué de réseaux. Il a jusque-là agi par petites touches, écartant ici et là quelques généraux encombrants, à l’image de John Numbi, personnalité incontournable du temps de la présidence de Joseph Kabila. Mais ces ajustements, aussi significatifs soient-ils, n’ont jamais suffi à rassurer pleinement Tshisekedi.

Dans les rangs du pouvoir, la méfiance règne vis-à-vis d’un appareil militaire jugé imprévisible

Est-ce pour cela qu’il a procédé, le 3 octobre, à un vaste remaniement du commandement de l’armée ? Il a en tout cas intégralement balayé l’état-major des FARDC [Forces armées de la RD Congo]. Exit le général Célestin Mbala. Le chef de l’État a confié les clés de l’armée au général trois étoiles Christian Tshiwewe Songesha. Patron de la Garde républicaine (et pasteur lorsqu’il ne porte pas l’uniforme), cet officier originaire du Lualaba, envoyé en formation au Soudan à la fin des années 1990 sur ordre d’Eddy Kapend – à l’époque aide de camp de Laurent-Désiré Kabila –, jouit de la confiance du clan présidentiel.

« Ce remaniement est moins une réponse au[x agissements] du M23 qu’un signe de la méfiance qui règne dans les cercles du pouvoir à l’égard d’un appareil militaire jugé imprévisible », analyse une source sécuritaire active dans la région.

Crainte récurrente

Cette défiance, exacerbée par la résurgence du M23 (défait militairement en 2013), s’est encore accrue avec l’arrestation, en février dernier, de François Beya. Jugé depuis le 3 juin pour « complot contre le chef de l’État », le très influent conseiller de Tshisekedi – qui, lui, se dit victime d’une guerre de palais – était une pièce maîtresse du dispositif sécuritaire congolais.

Sa mise à l’écart prive donc Félix Tshisekedi d’un intermédiaire bien introduit à Kigali. Elle intervient en outre au moment où une partie de l’entourage présidentiel insiste, de manière récurrente, sur le risque d’une déstabilisation de l’État.

C’est d’ailleurs sur la base de soupçons de « haute trahison » qu’une autre figure de l’appareil sécuritaire, le général Philémon Yav, a été arrêtée en septembre. Aux dires du chef de l’État lui-même, cet officier chevronné, chef d’une zone de défense d’importance stratégique (la troisième) et réputé proche de Joseph Kabila, est suspecté d’avoir collaboré avec le Rwanda pour aider le M23 à s’emparer de Goma. Mais cette version suscite, encore aujourd’hui, de nombreuses interrogations.

« Yav a fait toute sa carrière dans la région. Il a appris à composer à la fois avec des mouvements comme les FDLR [Forces démocratiques de libération du Rwanda] et avec des officiers supérieurs rwandais, affirme une source diplomatique installée à Goma depuis de nombreuses années. Une rivalité entre commandants ou un règlement de comptes lié à des histoires d’argent sont tout aussi probables. »

Les militaires ont du mal à comprendre à qui ils doivent obéir

Pour gérer cette armée dont il se méfie, Tshisekedi s’appuie notamment sur Franck Ntumba, le chef de la maison militaire, que plusieurs sources présentent comme l’une des têtes pensantes du dernier remaniement. L’influence et les méthodes que certains officiers prêtent à cet homme suscitent toutefois des crispations. « Son poste ne lui donne pas le droit de donner des instructions à la troupe », s’agace un haut gradé à Goma. « Aujourd’hui, les militaires ont du mal à comprendre à qui ils doivent obéir », concède une source sécuritaire dans le Nord-Kivu.

Cette absence de centralisation du commandement s’est fait sentir ces derniers mois, dans l’Est. Au début de juillet, quelques semaines avant son arrestation, Philémon Yav avait remplacé le général Constant Ndima Kongba, gouverneur militaire de la province du Nord-Kivu, au commandement des opérations anti-M23.

Félix Tshisekedi a, depuis, placé le général Marcel Mbangu à la tête de la troisième zone de défense. Jusque-là en poste dans le Kasaï, ce dernier présente l’avantage de bien connaître la région, puisqu’il a dirigé pendant quatre ans le secteur opérationnel de Sokola 1, à Beni. Cette réorganisation, en pleine guerre, est révélatrice de l’instabilité qui règne au sein du commandement de l’armée.

L’armée congolaise doit par ailleurs relever un défi d’ordre matériel. Ces dernières semaines, la grogne des autorités s’est concentrée sur l’embargo sur les ventes d’armes imposé par les Nations unies. Certes, il ne s’applique qu’aux groupes armés. Ne subsiste, pour les fournisseurs, qu’une obligation de notification, et uniquement pour un certain type d’armes. Il n’empêche, les autorités continuent à se sentir pénalisées face au M23, et, au sein de l’armée, la frustration grandit. « Le Congo se bat comme une personne à qui on a lié les mains », peste un haut gradé installé à Goma.

Le rôle des Russes

Dans ce contexte délétère, les diplomates occidentaux suivent avec attention l’activisme de Viktor Tokmakov, le chargé d’affaires de l’ambassade de Russie à Kinshasa. Et ce d’autant plus que le numéro deux de la représentation russe en RDC passe pour avoir été l’un des artisans de l’implantation du groupe Wagner en Centrafrique. Son CV et ses dîners en ville avec des officiers congolais suscitent la curiosité du microcosme kinois. Les manœuvres discrètes du secteur russe de l’armement sont également scrutées de près depuis la visite à Moscou de Gilbert Kabanda, le ministre congolais de la Défense, le 15 août.

Si Félix Tshisekedi ne semble pas, pour l’instant, avoir fait le choix de la Russie, l’échec de son offensive diplomatique visant à obtenir une condamnation du Rwanda l’a poussé à durcir sa position. Certain, tel Patrick Muyaya, n’hésitent pas à dénoncer « l’hypocrisie » de la communauté internationale. D’autres, comme Modeste Bahati Lukwebo, le président du Sénat, y voient « un complot international et total ».

Dans ce climat extrêmement tendu, le président joue les équilibristes. S’il maintient en public un discours très offensif, il poursuit, en coulisses, différentes médiations. Mais, qu’il s’agisse du processus de Luanda, de celui de Nairobi, ou de pourparlers ponctuels – comme ceux menés, en septembre, par les services de renseignements français –, aucune initiative n’a pour l’instant débouché sur une issue.

Listes d’officiers

Le retrait « inconditionnel » du M23 des positions qu’il occupe actuellement et l’arrêt de tout soutien de Kigali aux rebelles – soutien que Kigali nie leur apporter, contrairement aux conclusions d’un rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur la RDC, qui a fuité – demeurent autant de vœux pieux.

De son côté, le Rwanda persiste à accuser l’armée congolaise de collaborer avec les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), ce que nie Kinshasa. Plusieurs sources diplomatiques et sécuritaires ont cependant confirmé que des listes d’officiers soupçonnés de travailler avec les FDLR avaient été établies avec le concours de certaines chancelleries et de spécialistes de l’est de la RDC. Les individus concernés auraient même fait l’objet de discussions dans le cadre des médiations, l’objectif étant, selon deux sources impliquées dans le processus, de trouver des points de compromis pour débloquer la crise.

Un remake de 2012 ?

Désormais dans l’impasse, Félix Tshisekedi doit répondre à deux questions : faut-il dialoguer avec le M23 ? Et, si oui, à quelles conditions et, surtout, à quel prix ? Sur le terrain, le rapport des forces ne lui laisse que peu de marge de manœuvre. Son armée rencontre de réelles difficultés, et le front s’est rapproché de Goma, même si la guerre de communication à laquelle se livrent les FARDC et le M23 ne facilite pas la tâche des analystes.

Un remake du scénario de 2012 n’est pas exclu. L’engagement de contingents kényans, au sein de la force de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC, en anglais) et dans le secteur d’activité du M23, pourrait constituer une solution. Ceux-ci n’envisagent aucune intervention directe contre les rebelles, du moins pour le moment.

L’hypothèse d’un retour du M23 à la table des négociations fait son chemin

Leur présence pourrait-elle servir d’instrument de dissuasion ? « Avec l’arrivée de la force régionale et la reprise du dialogue à Nairobi, les rebelles tentent de se trouver en position de force et de rendre indispensable leur présence à la table des négociations », analyse une source sécuritaire régionale.

Selon nos informations, au début d’octobre, l’idée de reprendre langue avec le M23 avait fait son chemin dans une partie de l’entourage présidentiel. Un petit groupe de personnalités congolaises issues des milieux sécuritaire, politique et diplomatique avait même été approché. Objectif : rétablir la communication avec le M23. L’initiative, qui nous a été confirmée par deux membres de cette équipe, a finalement été abandonnée.

Reste que l’hypothèse d’un retour du M23 à la table des négociations est toujours d’actualité. Le président en exercice de l’EAC, le Burundais Évariste Ndayishimiye, plaide pour un dialogue « inclusif ». Depuis le début de son mandat, et avant que le M23 reprenne les armes, Félix Tshisekedi négociait avec les rebelles la reddition de leurs combattants. Mais aujourd’hui, face à un mouvement désormais qualifié de « terroriste », l’entourage du président se montre très réticent.

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