Africa-Press – Djibouti. Alors que s’ouvre le One Forest Summit, événement coorganisé par la France et le Gabon, où en est le pays dans ses efforts de conservation et de protection ?
C’est le « deuxième poumon forestier » de la planète, après l’Amazonie. La forêt du bassin du fleuve Congo couvre une superficie d’environ 2 millions de kilomètres carrés sur plusieurs pays, dont plus de 60 % en RDC, et le reste dans les pays voisins entre le Gabon, le Congo, le Cameroun et la Centrafrique. Comme l’Amazonie, ces forêts absorbent des tonnes de CO2 dans leurs arbres et tourbières. Elles sont des sanctuaires d’espèces en voie de disparition, tels que les éléphants des forêts ou les grands singes. Mais, elles sont constamment menacées par la surexploitation agricole, industrielle et parfois pétrolière. Leur protection représente donc un enjeu capital pour le monde entier.
La sixième édition du One Forest Summit, qui s’ouvre ce mercredi 1er mars, à Libreville, au Gabon, en présence du président français Emmanuel Macron et de son homologue gabonais Ali Bongo, va consacrer une grande partie de ses débats aux efforts à mener pour trouver des solutions dans la préservation des bassins forestiers du Congo, mais aussi ceux d’Amazonie et d’Asie du Sud-Est. L’Élysée milite depuis plusieurs années pour que cet événement se tienne au plus près du terrain, Brazzaville, au Congo avait été avancé il y a encore un an pour organiser la rencontre. Le choix s’est finalement porté sur Libreville à l’occasion de la COP27 qui s’est tenue à Charm el-Cheikh, en novembre dernier. « Ce sommet sera un moment clé pour avancer sur l’action climatique et la préservation de la biodiversité », avance l’Élysée.
« À qui profite le business climatique qui consiste à multiplier les sommets sur le climat pour aborder les mêmes questions ? » interroge, d’emblée, Marc Ona Essangui, au bout du fil depuis Libreville. On continue à faire du greenwashing, du bluewashing, sans jamais ni afficher de bilan, ni résoudre les vrais problèmes climatiques, qui sont l’érosion, la déforestation, les problèmes d’exploitation des ressources naturelles, comme le pétrole, les mines, etc. À qui tout cela profite-t-il ? Peut-être aux lobbys, parce qu, concrètement, je ne vois pas les résultats », pointe-t-il.
Le défenseur de l’environnement à la tête de l’ONG, Brainforest, fondé il y a plus de vingt ,ans est vent debout contre l’organisation sur le sol gabonais du One forest Summit. « Le véritable souci, c’est le timing, car nous sommes en pleine année électorale et nous sortons de la COP27 et de la COP15. Ce que l’on retient, c’est la venue d’Emmanuel Macron qui vient adouber Ali Bongo », poursuit-il. Ce qui inquiète encore plus le militant prodémocratie c’est le fait que « personne au Quai d’Orsay [ministère français des Affaires étrangères] ou à l’Élysée n’a prévenu que ce timing risquerait de poser problème et surtout sans prendre en compte l’opinion des Gabonais ». D’autant que le Gabon est entré en 2022 dans l’organisation du Commonwealth et que, ces dix dernières années, il s’est largement tourné vers de nouveaux partenaires, Chine et Inde en tête.
Dans six mois aura lieu l’élection présidentielle au Gabon. Plusieurs candidats sont déjà annoncés, mais pas l’actuel chef de l’État, Ali Bongo Ondimba, en poste depuis 2009 et réélu en 2016. « Personne ne peut ignorer que la venue du chef de l’État français aux côtés d’Ali Bongo va susciter des interprétations. Stratégiquement, ce dernier n’a pas voulu se déclarer avant l’organisation de ce sommet et il se réfugie derrière ce fait tout comme l’Élysée », regrette Marc Ona Essangui, dont l’ONG dispose d’une solide expertise sur les questions forestières.
« Des craintes existent au sein de l’opinion sur la transparence des prochaines élections et l’hypothèse d’un nouveau recours à la force du régime pour s’imposer même s’il échoue à rassembler la majorité des suffrages dans les urnes, comme ce fut le cas en 2016, pointe l’économiste et analyste gabonais Mays Mouissi. À ce titre, la visite du président Emmanuel Macron sera observée d’une façon particulière par les Gabonais qui attendent de la France qu’elle respecte le choix qu’ils auront exprimé dans les urnes et qu’elle défende les principes démocratiques auxquels elle dit être attachée. Toute autre attitude du président Macron aura pour effet d’exacerber le sentiment antifrançais qu’on sent monter au sein d’une partie de l’opinion », avertit cet expert. « En raison de la dégradation de son environnement des affaires, le Gabon est devenu moins attractif, y compris pour les investisseurs français. Au cours des 14 dernières années, le nombre de Français installés au Gabon a baissé de 30 %, passant de 10 994 à 7790. En comparaison, au cours de la même période, le nombre de Français installés en Côte d’Ivoire s’est accru de 44 %. »
Le succès de ce sommet et les résultats obtenus seraient pourtant des plus bénéfiques pour le Gabon. Libreville est souvent saluée, à juste titre, par la communauté internationale pour son combat « exemplaire » pour préserver sa biodiversité et lutter contre le réchauffement climatique. Le pays a même été, en juin 2021, le premier pays africain à être rétribué par des fonds internationaux pour sa contribution à l’absorption du CO2 dans le monde grâce à ses programmes de préservation de sa forêt, dont sont recouverts 90 % de son territoire. Et Libreville plaide pour l’instauration dans le monde de « crédits biodiversité » sur le modèle des crédits carbone.
« L’exploitation forestière est, pourtant, la première menace de nos forêts, relève Marc Ona Essangui. Le Gabon n’est pas un modèle de conservation comme il le prétend, notamment concernant l’attribution des permis forestiers, poursuit-il. Quand on regarde le taux d’attribution de ces permis, on constate qu’il est très élevé et plus de 80 % du territoire est attribué à l’exploitation forestière. Ajoutez à cela les permis miniers et pétroliers, il n’y a plus d’espace pour la préservation », souligne-t-il. « Peut-on chercher à préserver la forêt et en même temps l’exploiter massivement ? » La crainte est grande d’après l’expert de voir ceux qui détiennent ces permis se lancer dans l’exploitation des forêts gabonaises et que, du coup, la déforestation s’accélère. Pour le militant environnementaliste, il faut agir sur plusieurs axes, comme la plantation d’arbres dans les zones de savanes qui permettrait de renforcer le couvert végétal et ainsi capter le carbone. En revanche, il regrette que des forêts primaires soient détruites pour planter des palmiers à huile ou des hévéas. Sur un autre volet de la problématique, Marc Ona Essangui met en cause directement « certains exploitants véreux, et très peu respectueux des lois ». « On doit faire de la lutte contre la corruption des agents publics une priorité », dit-il encore, constant dans ses combats, malgré les blocages de l’administration qu’il dénonce régulièrement.
L’un des enjeux du sommet de cette semaine est d’aider à trouver des sources de financement innovantes pour la restauration et la protection des forêts tropicales, souvent via l’achat par les entreprises de crédits carbone pour compenser leurs émissions de CO2. Le gouvernement français souhaite voir les entreprises privées plus impliquées et compte bien accompagner le Gabon dans cette dynamique. Or, argumente Marc Ona Essangui, « Libreville est loin du compte puisque le crédit qu’il propose sont des crédits dits “souverains”, car calculés et émis à l’échelle du pays, détaille-t-il. Dans ce contexte le prix est jugé trop cher par les grandes entreprises, qui préfèrent les crédits issus de projets de conservation des forêts. Les crédits doivent aussi être certifiés, par Verra, un organisme privé, ce que le Gabon refuse de faire, car il préfère passer par l’organisme de l’ONU. »
Des débats complexes, mais qui pourraient faire décoller le pays, car la forêt gabonaise constitue un potentiel de développement économique majeur, alors que le contexte politique et socio-économique reste tendu. « Sur le plan économique et social, la dépendance du Gabon au secteur primaire continue de caractériser son économie peu résiliente. Malgré le niveau important des ressources budgétaires qu’il en retire, le gouvernement du président Ali Bongo Ondimba ne parvient pas à assurer une juste redistribution aux populations », explique l’économiste et politiste gabonais Mays Mouissi. Le Gabon dépend encore largement du pétrole, qui couvre 80 % de ses exportations et 45 % de son PIB.
Cette politique environnementaliste volontariste a-t-elle permis de créer des emplois et quel impact a-t-elle sur les populations locales ? « D’après mes observations sur le terrain, ce sont les opérateurs, souvent des Chinois ou des Indiens, qui viennent exploiter nos forêts, qui sont les grands gagnants, car ils emploient une main-d’œuvre à moindre coût », réagit Marc Ona Essangui, tout de même fier des nombreux parcs nationaux que compte son pays, l’un des rares en Afrique a avoir su conserver son massif forestier, en raison de sa dépendance au pétrole.
Mays Mouissi pointe « la corruption endémique dans le secteur forestier et l’exploitation sauvage qui en résulte », deux facteurs « qui ont fini par susciter une fronde, dans l’arrière-pays », explique-t-il. « Des villageois voient régulièrement leurs plantations détruites par des pachydermes dont le milieu de vie se réduit en raison de l’activité forestière. Pour faire accepter aux populations les contraintes qui leur sont imposées dans le cadre de la préservation de la nature, il faut absolument qu’elles en tirent un bénéfice économique », constate-t-il. À ce titre, le gouvernement devrait adopter une approche plus inclusive dans la prise des décisions environnementales plutôt que l’approche top-down qu’il a privilégiée jusqu’à présent. »
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