Les mirusvirus, ces surprenants cousins des herpès virus qui vivent dans nos océans

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Les mirusvirus, ces surprenants cousins des herpès virus qui vivent dans nos océans
Les mirusvirus, ces surprenants cousins des herpès virus qui vivent dans nos océans

Africa-Press – Djibouti. L’espère humaine a au moins un point commun avec le plancton. Tous deux sont massivement infectés par des virus apparentés : l’herpès chez l’humain, et une toute nouvelle famille appelée mirusvirus pour le plancton. Jusque-là inconnus, les mirusvirus abondent de l’équateur jusqu’aux pôles, révèlent des chercheurs du CNRS et du CEA dans des travaux publiés dans Nature.

Nous sommes en 2009 lorsque la goélette Tara, rentrée d’une exploration des glaces polaires, part sillonner les mers et les océans pendant trois ans. A son bord, une équipe de scientifiques parcourt 125.000 kilomètres et récupère 35.000 échantillons de vie marine qui sont depuis analysés. Car la biodiversité marine nous est en grande partie inconnue, et en particulier celle, invisible, que constituent le plancton unicellulaire, les algues, les virus et les bactéries.

Un signal évolutif inhabituel issu de virus inconnus

“En 2019, notre équipe de recherche a observé un signal évolutif inhabituel dans le tsunami de données de séquençage de Tara Océans”, raconte Tom Delmont, expert en écologie microbienne au CNRS, qui a dirigé ces nouveaux travaux. “Les données de Tara, c’est une botte de foin gigantesque. Nous avons donc utilisé des marqueurs d’une protéine universelle, l’ARN polymérase, pour construire un arbre évolutif de l’ensemble des données et se focaliser sur ce qui ne correspondait pas à ce qu’on connaissait”, explique le premier auteur Morgan Gaïa, microbiologiste spécialisé dans l’évolution des virus. L’équipe découvre alors une centaine de génomes différents appartenant à une famille de virus jusqu’alors inconnue ! Des virus sont pourtant très abondants dans les planctons marins, puisqu’ils sont présents dans les échantillons de 131 des 143 sites parcourus par Tara.

Les mirusvirus, littéralement les “virus étonnants”

La plupart des gènes de ces virus sont similaires à ceux du groupe des virus géants, dont la complexité intrigue les scientifiques depuis leur découverte en 2003. Mais quelque chose ne colle pas. “Il manquait complètement l’ensemble de gènes nécessaire à la structure des particules virales des virus géants”, se rappelle Morgan Gaïa. A la place, les chercheurs trouvent l’ensemble des cinq à six gènes caractéristiques de la structure des herpès virus, de la capside (la “coque” extérieure du virus) aux protéines nécessaires à la maturation des virions (répliques du virus produits pendant l’infection). Un métissage inattendu tant les gènes sont rarement partagés par groupes fonctionnels entiers entre les familles de virus. “C’est plus souvent un gène qui est échangé, rarement tout le module”, s’étonne Morgan Gaïa. “Mais là, aucun gène de la capside des virus géants n’est présent chez les mirusvirus, qui ont à la place tous ceux d’un groupe viral complètement distinct. C’est un degré de chimérisme (lorsque plusieurs matériels génétiques distincts coexistent dans un même organisme, ndlr) qui n’a jamais été montré chez des virus.”

La découverte est si surprenante que les chercheurs baptisent cette nouvelle famille “mirusvirus”, du terme latin “mirus” signifiant “étrange, étonnant”. La parenté avec les virus géants elle-même intrigue les chercheurs, tant cette famille soulève des questions depuis leur découverte en 2003. Il faut dire que du fait de leur génome de plusieurs dizaines de fois plus long que celui des autres virus à ADN, jusqu’à dépasser celui de certaines bactéries, les virus géants ont longtemps été confondus avec ces dernières. “En ouvrant une fenêtre sur le passé, les virus géants ont bouleversé tout ce que l’on savait, ou croyait savoir, sur les virus”, expliquait Morgan Gaïa en 2020. Au point d’avoir potentiellement façonné la vie telle que nous la connaissons.

Les mirusvirus seraient cousins des herpès virus

Les chercheurs sont d’autant plus étonnés que si les virus géants abondent dans les océans et ont un très large panel d’hôtes, ils n’avaient jusque-là aucun lien connu avec ceux de l’herpès, dont les hôtes se limitent à l’animal. Et notamment les humains, dont il infecte la moitié de la population. Les herpès virus font d’ailleurs partie du règne Duplodnaviria, tout à fait distinct des Varidnaviria qui comprend les virus géants. Ces deux règnes sont si éloignés qu’ils sont suspectés d’être les descendants de virus infectant LUCA (acronyme de Last Universal Common Ancestor), l’ancêtre commun de toutes les formes de vie, qui aurait existé il y a 3,8 milliards d’années. Ce qui signifie que s’il fallait expliquer l’existence des mirusvirus par un ancêtre commun entre ces deux règnes, il serait excessivement ancien. Mais ce n’est pas l’hypothèse que privilégient les chercheurs. “La plus forte ressemblance avec les virus géants laisse penser que les mirusvirus ont eu des échanges plus récents entre eux, même si l’on parle encore ici de millions d’années ou plus, et que c’est plutôt avec les herpès virus qu’ils partagent un ancêtre commun”, explique Morgan Gaïa. “Ces observations suggèrent que les herpès virus, dont l’origine reste énigmatique, auraient un ancêtre qui infectait les eucaryotes (organismes dont les cellules possèdent un noyau, ndlr) marins et qui ressemblaient peut-être plus aux mirus”, raisonne le chercheur. Un ancêtre qui remonterait probablement à “plusieurs centaines de millions d’années”, précise-t-il.

Pour en savoir plus, il faudra déjà isoler, cultiver et observer les mirusvirus, et quelles espèces ils infectent, au sein des planctons eucaryotes et au-delà. Des questions qui peuvent paraitre loin des problématiques de société, et pourtant. “Les virus jouent un rôle essentiel dans l’écosystème marin, certains sont impliqués dans le mécanisme de pompe du carbone atmosphérique par exemple, et donc dans le changement climatique”, explique Morgan Gaïa. “C’est critique de les inclure et de mieux les comprendre”.

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