Africa-Press – Djibouti. Le LK-99 a surgit dans l’actualité au coeur de l’été. S’il a mis le web en ébullition, c’est parce que ce matériau est présenté comme le premier supraconducteur fonctionnant à la fois à température et pression ambiantes. « Ce serait assez révolutionnaire », commente le docteur en physique et spécialiste en supraconductivité Nicolas Auvray (enseignant dans le secondaire, il a été finaliste en 2019 du concours « Ma thèse en 180 secondes »). « Si cela est avéré, c’est un objectif que poursuivent les chercheurs depuis plus d’un siècle ».
Si cela est avéré ? Une précaution nécessaire, car il y a bel et bien des doutes sur la réelle efficacité de ce matériau. Mais avant de développer la face cachée de ce succès estival, rappelons les bases, et ce qu’est la supraconductivité. « Il s’agit d’un état de la matière où la résistance électrique disparaît », résume Nicolas Auvray. Normalement, quand on fait passer un courant dans un fil électrique, il y a une production de chaleur – c’est l’effet Joule – qui traduit une perte d’énergie. Or cette dissipation thermique n’existe pas dans un matériau supraconducteur, qui permet au contraire de transporter de l’énergie sans perte. « De là, peuvent découler des applications secondaires, comme stocker de l’énergie en la faisant passer dans un fil : une boucle de matériau supraconducteur où le courant circule à l’intérieur sans perdre en intensité. Cette solution de batterie est une perspective très importante pour l’avenir ».
L’effet Meissner, quand les supraconducteurs expulsent un champ magnétique
Et puis il y a la question des champs magnétiques. Le fait de pouvoir faire passer des gros courants dans un fil sans échauffement – très concrètement, sans que le fil se mette à fondre -, cela permet de générer des champs magnétiques intenses, comme ceux dont on a besoin dans les appareils à IRM. Cette caractéristique nous amène à la lévitation, un autre effet caractéristique de la supraconductivité. « C’est l’effet Meissner, le fait que les supraconducteurs expulsent le champ magnétique. Ainsi, dans certains cas, vous pouvez provoquer un phénomène de lévitation : un matériau supraconducteur va se placer à une distance précise de l’aimant et demeurer bloqué à cette distance », continue Nicolas Auvray. La lévitation offre une perpective pour de potentielles applications ludiques de la supraconductivité. Visuellement, c’est bluffant ! Mais c’est aussi une façon d’obtenir de la sustentation magnétique pour le transport, avec des trains flottant au-dessus de rails supraconducteurs. Des tests, avec des appareils de type Maglev, sont par exemple en test au Japon. Problème : les rails doivent être maintenus à très basse température, c’est-à-dire proche du zéro absolu (−273,15 °C), car c’est la température à laquelle fonctionnent les matériaux supraconducteurs actuellement identifiés. On comprend qu’un matériaux comme le LK-99 qui serait supraconducteur à température et pression ambiantes est de nature à être bien plus facilement employé !
Il y a donc de quoi s’emballer. Pourtant, il faut calmer le jeu. D’abord parce que les experts sont surpris que le sésame tant recherché puisse être obtenu avec un matériau comme le LK-99. « C’est la première fois qu’on parle de supraconductivité dans cette famille de matériaux », confirme Nicolas Auvray. Il s’agit d’une sorte de céramique, que l’on appelle l’apatite. Ce que l’on en sait, c’est qu’il s’agit d’une apatite très particulière que les concepteur du LK-99 ont dopé au cuivre : c’est cela apparemment qui donne au matériau son caractère de supraconducteur. Dopé au cuivre ? « Normalement, dans le matériau de base qui constitue cette apatite, il y a des atomes de plomb. Par un processus de synthèse particulier, il est possible de faire en sorte que certains de ces atomes de plomb soient remplacés par des atomes de cuivre », explique Nicolas Auvray. L’apatite est un type de matériau connu depuis longtemps, mais il n’avait jamais été utilisé dans le cadre de la supraconductivité. Comment les deux chercheurs sud-coréens qui sont derrière le LK-99 ont-il eu l’idée de l’utiliser ? Sukbae Lee et Ji-Hoon Kim, par ailleurs inconnus dans la communauté des spécialistes de la supraconduction, n’en disent rien dans les deux articles scientifiques qu’ils signent, directement publiés sur arXiv, un site où les chercheurs déposent librement leurs articles scientifiques. « S’il est confirmé que ce matériau est bien supraconducteur, on sera face à une nouvelle branche de l’étude de la supraconductivité », reprend l’enseignant.
D’autres labos essaient de reproduire le LK-99 pour vérifier s’il est effectivement supraconducteur à température et pression ambiantes
Le fait que les papiers de Lee et Kim aient été postés directement sur ArXiv n’est pas une surprise en soi, cette pratique est désormais totalement répandue dans la recherche. Mais l’absence d’une publication dans une revue « classique », à comité de lecture, fait que les travaux des Sud-coréens ne sont pas encore passés par le filtre de la validation par les pairs. Autrement dit, les résultats présentés peuvent être faux. La vidéo associée à ces papiers, où l’on voit un morceau du matériau supraconducteur flotter au-dessus d’un aimant, a fait florès sur les réseaux sociaux. « Mais cela n’est qu’une illustration, en aucun cas une preuve », continue Nicolas Auvray. On redoute aussi un effet d’annonce, car les auteurs ont adopté une approche plus proche du monde des start-up que de celui de la recherche. Ils ont par exemple breveté le matériau, « LK-99 » étant un nom commercial, formé par les initiales des noms des scientifiques.
Bref, si ce matériaux censément supraconducteur à température et pression ambiante fait monter la température, il faut garder la tête froide. Et attendre que ces résultats soient confirmés par d’autres scientifiques, des chercheurs qui referont les mêmes expérimentations pour arriver, on l’espère, aux mêmes résultats. Et évidemment, en moins d’une semaine, les blouses blanches se sont retroussées les manches. « Ce qui a l’air de se dégager dans les articles qui rapportent des tentatives de synthèses du LK-99, c’est que le dopage au cuivre se fait mal. Il y a en effet dans la structure de cette apatite deux types d’atomes de plomb. L’un doit être remplacé par le cuivre pour obtenir la supraconductivité, mais celui qui est chimiquement favorisé pour être remplacé par cet élément, c’est l’autre type d’atome de plomb ! Il est donc difficile d’avoir un matériau qui corresponde à la structure décrite, celui-là même qui serait supraconducteur ».
Des chercheurs indiens seraient parvenus à synthétiser du LK-99, supraconducteur à température et pression ambiante.
Si la mise en pratique coince, les évaluations théoriques sont davantage prometteuses. Dans un calcul théorique publié en pré-print (également sur arXiv), un chercheur à l’Université de Berkeley, en Californie, a fait une modélisation informatique de la structure idéale de l’apatite dopée au cuivre, avec les bons atomes de plomb substitués par le cuivre. Il montre que les propriétés théoriques de ce matériau sembleraient correspondre à ce qu’annoncent Lee et Kim. Autrement dit, si on arrivait à synthétiser parfaitement ce matériau selon la « recette » des Sud-coréens, la théorie dit qu’on devrait y observer des comportements électroniques caractéristiques déjà observés dans d’autres supraconducteurs à haute température.
Pourtant, même si ça marche, le LK-99 ne devrait pas être le Saint-Graal des physiciens. En effet les auteurs sud-coréens stipulent bien que le courant maximum qui passe dans le supraconducteur est assez faible. Cela s’explique par le fait que ce fameux matériau n’est pas un supraconducteurs tout d’un bloc, il s’agit plutôt de petites inclusions supraconductrices dans de l’apatite. « Il y a de quoi probablement trouver plein d’applications très intéressantes, mais ça ne va pas changer la face du monde », estime Nicolas Auvray. Impossible par exemple d’utiliser le LK-99 pour remplacer les fils électriques, voire le supra A15 (notamment les alliages de niobium NbTi et Nb3Sn) qui équipe des appareils à IRM… La révolution supraconductrice aura peut-être lieu, mais pas tout de suite.
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