LK-99 : « Un supraconducteur à température et pression ambiantes, c’est la promesse de révolutionner le transport de l’énergie »

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LK-99 : "Un supraconducteur à température et pression ambiantes, c'est la promesse de révolutionner le transport de l'énergie"

Africa-Press – Djibouti. Sciences et Avenir : le LK-99 pourrait être un matériau supraconducteur à température et à pression ambiantes. Depuis l’annonce de sa découverte par des scientifiques sud-coréens, de nombreux médias évoquent, enthousiastes, un « Graal de la physique ». Cette formule est-elle excessive ?

Brigitte Leridon : Non, elle ne l’est pas. Il y a bien lieu de parler d’un « Graal de la physique » parce que découvrir un supraconducteur à température et pression ambiantes peut avoir des conséquences révolutionnaires.

De quelles façons ?

Un supraconducteur conduit le courant électrique sans aucune perte. À l’heure actuelle, pour acheminer l’énergie à partir des réacteurs des centrales nucléaires productrices d’électricité vers les lieux où elle est utilisée, énormément d’énergie est dissipée par échauffement : cette énergie électrique est convertie en chaleur, c’est le célèbre « effet Joule ». Il y a quelques réacteurs en France qui servent juste à compenser cette perte ! Donc la perspective d’avoir un supraconducteur à température ambiante est extrêmement importante : sous réserve qu’on puisse en faire des câbles – ce qui nécessite encore un long chemin -, cela permettrait dans un premier temps d’acheminer l’énergie sans perte.

« Les matériaux supraconducteurs sont des matériaux quantiques »
Les supraconducteurs permettent aussi de produire des champs magnétiques intenses…

Quand vous passez une IRM, on vous met dans une bobine : elle est faite d’un supraconducteur refroidi à l’hélium liquide, puisque ceux d’aujourd’hui ne fonctionnent qu’à très basse température. La perspective d’un supraconducteur à température et pression ambiantes permet d’imaginer faire des champs intenses sans avoir tous les inconvénients de la cryogénie, qui est quand même un casse-tête pour les physiciens. Ces nouveaux matériaux permettraient aussi de faire des accélérateurs de particules : un réacteur à fusion comme Iter serait ainsi extrêmement plus facile à fabriquer.

Ces innovations pourraient-elles accompagner la transition énergétique ?

Oui : acheminer le courant sans perte, ce serait déjà une énorme économie d’énergie. La fusion nucléaire que je viens d’évoquer offrirait la possibilité de produire de l’énergie sans avoir les inconvénients de la fission nucléaire, celles des centrales classiques, génératrices de déchets radioactifs.

Des progrès dans les supraconducteurs pourraient aussi avoir des incidences sur l’informatique quantique…

Les matériaux supraconducteurs sont effectivement des matériaux quantiques. Or il y a trois grands candidats pour concevoir un ordinateur quantique : la version optique, la version « atomes froids » et puis la version supraconducteur. Alors, c’est sûr, il y a d’autres défis à relever dans l’ordinateur quantique que juste la cryogénie. Mais supprimer déjà ce problème-là avec des supraconducteurs à température et pression ambiantes pourrait être très important.

Et la lévitation dans tout ça ?

Il y a déjà des trains à sustentation magnétique qui utilisent des supraconducteurs. Mais c’est quand même une niche. Voir un matériau supraconducteur flotter au-dessus d’un aimant est néanmoins l’image emblématique de la supraconductivité. C’est extrêmement frappant et cela constitue l’une des rares façons de voir, dans notre univers de tous les jours, un phénomène quantique à l’œuvre ! Toutes les possibilités de la lévitation n’ont par ailleurs pas encore été explorées. Un certain nombre d’applications pourraient émerger, comme remplacer des tapis qui transportent les usagers du métro par des systèmes à lévitation, ou dans des hôpitaux, faire léviter les lits pour éviter d’avoir des microbes qui se mettent sous les pieds… Il y a des choses à imaginer, mais la lévitation n’est pas l’application principale de la supraconductivité. La révolution viendra du transport de l’énergie sans perte ; c’est cela dont l’humanité a le plus besoin.

« Des annonces de superconducteurs à température et pression ambiantes surviennent régulièrement… et sont démenties peu après »
L’engouement déclenché par la découverte du LK-99 est allé bien au-delà des cercles scientifiques.

Au final, ce qui me frappe avec cette annonce, c’est qu’elle s’inscrit dans un nouvel essor des matériaux quantiques. Les physiciens spécialisés dans cette discipline en sont de plus conscients : il faut utiliser les propriétés quantiques des matériaux pour avoir des innovations de rupture afin de résoudre les défis technologiques en particulier liés à la transition énergétique.

L’enthousiasme n’empêche pas le doute… Des commentateurs s’étonnent par exemple que ce matériau ait pu être découvert par des chercheurs inconnus dans la communauté des surpraconducteurs

Pourtant, il pourrait très bien se produire que quelqu’un d’absolument inconnu dans le milieu découvre un supraconducteur à température ambiante. Ce n’est pas ça qui me dérange. Après tout, ils sont spécialisés dans un type de matériau, l’apatite, une sorte de céramique qui ne fait pas partie des sujets classiques de la supraconductivité. Ce qui est davantage surprenant, c’est l’implication d’une start-up, qui cosigne ces travaux. Des brevets ont déjà été pris sur le LK-99 ; cela montre l’intérêt de partenaires privés pour cette recherche sur les matériaux quantiques, en particulier sur les supraconducteurs. Là aussi, on peut parler d’une prise de conscience, de la part du secteur privé qui a compris que ce « Graal » ne concerne pas seulement la recherche fondamentale dans les laboratoires mais est la promesse d’applications concrètes derrière. Cela devient très concret. D’ailleurs toute l’excitation que vous évoquez a finalement assez peu concerné la communauté scientifique, restée très prudente, mais plutôt les milieux d’affaires, qui réalisent que les matériaux quantiques représentent le nouvel investissement d’avenir.

« Le champ critique du LK-99 me chiffonne… »
Alors qu’est-ce qui pose problème dans l’étude des Sud-Coréens ?

Des annonces de superconducteurs à température et pression ambiantes surviennent très régulièrement. Et elles sont démenties peu après. Cela explique la prudence de la communauté. Pour que ces résultats soient confirmés, il faut qu’ils soient reproduits par d’autres équipes. Plus concrètement, il y a quelque chose qui me chiffonne concernant le LK-99 : il s’agit du champ critique qui lui est associé.

De quoi s’agit-il ?

Le champ critique est le champ magnétique qui détruit la supraconductivité. Tout supraconducteur en a un. Si on lui applique un champ supérieur à ce « champ critique », il n’y a plus de supraconductivité (ce phénomène est réversible, ndlr). Or le rapport entre le champ critique à température nulle et la température critique (la température qui détruit la supraconductivité) est une constante. Certes, d’un supraconducteur à l’autre, il est possible de trouver des petits écarts à cette prédiction… Mais pour le LK-99, la valeur annoncée est mille fois trop petite ! Pourquoi ? Il faut nous l’expliquer. Par ailleurs, avec une valeur aussi faible, on est face à une contrainte rédhibitoire pour les applications : seuls les courants de faible intensité pourraient passer dans le LK-99, ce qui limite considérablement les possibilités d’applications.

Depuis 10 jours, d’autres labos essaient de reproduire les résultats de Sukbae Lee et Ji-Hoon Kim, les deux principaux signataires de l’article.

Il y a effectivement une équipe chinoise très connue dans la communauté des supraconducteurs qui a immédiatement synthétisé ce composé. Mais quand ils posent leur matériau sur un aimant très puissant, ils ne voient aucune lévitation.

Est-il possible que les Chinois aient mal synthétisé le LK-99 ?

Effectivement, ce pourrait être un problème de dopage : celui-ci consiste à remplacer des atomes de plomb contenus dans le matériau par des atomes de cuivre. Problème : les atomes de plomb occupent deux types d’emplacement différents dans la structure du LK-99. Peut-être que ce sont les mauvais qui ont été remplacés ? Ce qui montrerait la difficulté technique qu’il y a à remplacer les bons atomes de plomb… Un autre laboratoire, indien, a lui diffusé une vidéo où on voit une toute petite particule, qui serait du LK-99 fabriqué par eux, en train de léviter. Mais cela n’est pas suffisant pour caractériser un matériau supraconducteur ; il est possible de faire léviter des matériaux diamagnétiques, le bismuth ou le graphite, par exemple. Une chercheuse de Berkeley, en Californie, a abordé le problème du point de vue théorique en faisant un calcul très intéressant. Il montre que le matériau non dopé est un isolant, et qu’en dopant les bons sites de plomb avec du cuivre, le LK-99 devient conducteur. Là aussi, c’est encourageant, mais cela ne suffit pas. C’est comme si vous disiez : voilà, je veux démontrer que Camille est enceinte et en fait je démontre que Camille est une femme. C’est un premier pas., c’est encourageant… mais ça ne suffit pas.

Quelle est la prochaine étape ?

Il faut attendre que d’autres laboratoires indépendants arrivent aux résultats annoncés par les Sud-Coréens pour démontrer que le LK-99 est effectivement supraconducteur à température et pression ambiantes. Si cela prend trop de temps, il faudra que Sukbae Lee et Ji-Hoon Kim donnent éventuellement les informations qui manquent pour réussir ce dopage. Certes, ces chercheurs ont choisi de breveter le matériau. Donc peut-être vont-il choisir de ne pas convaincre la communauté scientifique et de conserver secret leur éventuel savoir-faire technique. Mais s’ils devaient faire ce choix-là, quelle serait alors leur motivation à publier leurs études scientifiques ? La probabilité que ce résultat ne soit jamais confirmé reste toutefois importante.

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