Africa-Press – Djibouti. Commençons par une évidence : sans Soleil, pas de vie sur Terre. Le monde vivant peut en effet se résumer à un gigantesque réseau de transfert de l’énergie issue des rayons solaires : grâce à la photosynthèse, celle-ci est transformée par les végétaux, dont se repaissent les herbivores, qui à leur tour nourrissent les carnivores. Mais notre étoile est utile aux animaux à bien d’autres égards. « Le Soleil est une boussole, sûrement la plus utilisée dans le monde animal », explique Francesco Bonadonna, du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, à Montpellier. Ce directeur de recherche au CNRS étudie notamment l’orientation et la navigation des oiseaux, qui tous semblent prendre notre étoile comme point de repère. « Que ce soit pour une grande migration ou de petits déplacements quotidiens, ils s’orientent principalement grâce au soleil. Ce n’est que lorsqu’il n’est pas visible, par exemple quand des nuages le cachent, que les oiseaux utilisent d’autres boussoles pour s’orienter, comme les champs magnétiques. »
Ce rôle du Soleil dans l’orientation a été démontré dès 1911, non pas chez les oiseaux, mais chez les fourmis. L’entomologiste suisse Félix Santschi décrivit comment il parvenait à détourner des ouvrières du chemin de leur fourmilière en utilisant un simple miroir, « décalant » artificiellement le Soleil du point de vue de l’insecte. Quelques décennies plus tard, d’autres chercheurs arrivaient au même résultat sans même que le Soleil soit visible par la fourmi, au moyen de filtres polarisés sur un coin de ciel bleu. « Les ondes lumineuses vibrent sur un axe différent selon la zone du ciel que l’on regarde, formant comme des cercles concentriques partant du Soleil. Or, les yeux de la plupart des insectes sont capables de détecter cet axe de polarisation, et donc de déduire où se trouve le Soleil même s’il n’est pas directement visible », décrypte le spécialiste de l’orientation des fourmis Antoine Wystrach, du Centre de recherches sur la cognition animale, à Toulouse.
Apparent ou non, le Soleil se déplace au cours de la journée, obligeant fourmis ou abeilles à corriger leur cap en permanence. Mais comment ? « Les insectes ont, comme nous, un rythme circadien d’environ 24 heures, donc une estimation du temps qui passe, ainsi qu’une notion de l’arc du Soleil au cours de la journée, reprend Antoine Wystrach. Ils ont donc à tout moment une idée de la direction dans laquelle doit se trouver le Soleil. » Cette prouesse a inspiré plusieurs expériences impliquant des oiseaux migrateurs : placés sous une lumière artificielle décalant leur rythme circadien de quelques heures, les volatiles prenaient leur envol vers un mauvais cap. « Cette correspondance entre heure de la journée et position du soleil nécessite un certain apprentissage, qui s’opère dès les premières semaines de vie de l’oiseau », souligne Francesco Bonadonna.
Dans le cas des migrations animales, notre étoile ne fait pas uniquement office de boussole : elle indique aussi le bon moment pour partir, selon le nombre d’heures d’ensoleillement, appelé photopériode. Celle-ci varie au fil des saisons, surtout lorsqu’on s’éloigne de l’équateur, rythmant les cycles de vie de presque tous les animaux : départ de migration, donc, mais aussi entrée en hibernation, changement de couleur ou d’épaisseur du pelage, recherche de partenaire… Jusqu’à produire des effets des plus surprenants. En janvier 2023, une équipe française de l’Inrae montrait par exemple que des cailles évoluant sous une photopériode courte (8 heures de luminosité par jour) présentaient des réactions émotionnelles et des capacités cognitives notablement différentes de celles d’oiseaux soumis deux fois plus longtemps à une lumière artificielle. Ces cailles « jours courts » se révélaient plus craintives, moins agressives et moins habiles à se repérer dans l’espace que leurs congénères « jours longs ».
Parmi la myriade d’impacts de la photopériode sur les animaux, l’effet le plus répandu concerne la reproduction. Sous nos latitudes, un grand nombre d’espèces ne donnent naissance qu’au moment de l’année le plus favorable – généralement le printemps, aux températures clémentes et à la nourriture abondante. « La période de gestation étant globalement fixe pour chaque espèce, la photopériode joue sur le pic d’activité sexuelle, notamment via la sécrétion de mélatonine, qui a un effet stimulateur ou inhibiteur selon l’espèce », décrypte Philippe Chemineau, directeur de recherche émérite à l’Inrae. La biche par exemple, dont la gestation dure environ huit mois, s’accouplera à l’automne, tandis que les castors, avec trois mois de gestation, se reproduiront en plein hiver. Pour finalement arriver au même résultat : des petits naissant dans la douceur du printemps.
« La photopériode régule généralement cette activité sexuelle chez les deux sexes, en provoquant l’ovulation de la femelle tout en accentuant la libido du mâle, reprend le biologiste. Avec des effets parfois très concrets : le poids des testicules d’un bouc fait plus que doubler en pleine saison de reproduction ! Et une espèce comme le chevreuil ne produit aucun spermatozoïde le reste de l’année. » De quoi même poser quelques problèmes : chez le chevreuil, la date de mise bas est dictée si fondamentalement par la photopériode qu’elle est restée inchangée ces dernières décennies, alors que l’explosion de la végétation au printemps se fait de plus en plus précoce à l’heure du changement climatique. Un décalage qui ne cesse de se creuser, avec un impact négatif sur la survie des petits qui arrivent après le pic de ressources alimentaires.
Enfin, impossible de parler de l’influence du Soleil sans évoquer la chaleur qu’il prodigue aux êtres vivants. En matière de température interne, le monde animal semble se diviser en deux grandes catégories. D’un côté, les espèces endothermes, improprement appelées à « sang chaud » (mammifères et oiseaux), capables de réguler elles-mêmes leur température indépendamment des conditions extérieures. De l’autre, les espèces ectothermes (reptiles, amphibiens, insectes…), qui doivent pour se réchauffer compter sur leur environnement… et en premier lieu sur les rayons du Soleil. Si les premiers tirent de leur alimentation les – considérables – ressources nécessaires au maintien de leur température, les seconds sont dépendants des conditions météorologiques, parfois immobilisés durant de longues heures, à la merci des prédateurs.
Des bains de Soleil pour faire le plein d’énergie
Cette distinction entre endothermes et ectothermes trouve en réalité vite ses limites. De très nombreux mammifères et au moins cinquante familles d’oiseaux se prélassent en effet régulièrement au Soleil pour augmenter leur température interne. Une activité particulièrement observée chez les animaux sortant de leur torpeur. Cet état, caractérisé par une baisse de la température interne et un métabolisme tournant au ralenti, peut durer de quelques heures, en cas de coup de froid par exemple, jusqu’à plusieurs mois chez les animaux en hibernation. Lorsque marmottes, souris marsupiales ou bouquetins se réchauffent au soleil au sortir de leur torpeur, ils dépensent alors 65 à 85 % moins d’énergie pour revenir à leur température interne normale. Certains petits rongeurs africains ont même été surpris à adapter la durée de leurs bains de Soleil en fonction de la disponibilité en nourriture, choisissant selon les saisons entre un gain d’énergie passive (soleil) ou active (alimentation).
Mais l’attirance pour l’exposition au Soleil, très répandue même chez les organismes endothermes, pourrait aussi avoir une autre explication. En 1993, deux biologistes américains ont publié les résultats d’une étrange expérience : lorsqu’ils pulvérisaient un insecticide sur le plumage d’hirondelles, celles-ci se prélassaient vingt fois moins souvent au Soleil que leurs voisines non traitées. Une exposition prolongée permettrait en effet de lutter efficacement contre les poux, acariens et autres petits parasites, à la fois sensibles à la dessiccation et aux rayons UV.
Notre étoile s’avère également un précieux auxiliaire dans la lutte contre les micro-organismes pathogènes. Chez les espèces endothermes comme l’être humain, la fièvre provoquée par un virus ou une bactérie permet de lutter contre l’infection : la hausse de la température corporelle limite le développement du pathogène tout en renforçant l’efficacité du système immunitaire. Il en est de même pour les ecto-thermes, qui parviennent à provoquer une fièvre en s’exposant volontairement à une source de chaleur. Cette stratégie, appelée fièvre comportementale, a été découverte dans les années 1970 chez un iguane du désert. Depuis, elle a été observée chez un grand nombre de reptiles, amphibiens, poissons et même insectes. La démonstration suit toujours sensiblement le même protocole : placé dans un espace présentant un gradient de température, l’animal se déplacera vers des zones plus chaudes après une injection d’un virus ou d’une bactérie. Chez la mouche, la zone choisie – et donc l’intensité de la fièvre provoquée – semble même directement proportionnelle à l’intensité de l’infection.
Les carpes malades recherchent l’eau chaude
« La plupart des expériences sur la fièvre comportementale ont été réalisées en laboratoire. Dans la nature, cela se traduit probablement par des animaux qui se déplacent vers des zones plus chaudes, donc au Soleil », avance le professeur Alain Vanderplasschen, de l’Université de Liège, en Belgique. Avec ses collègues, il a montré en 2017 à quel point cette fièvre comportementale pouvait être efficace. L’équipe a étudié des carpes évoluant dans des aquariums chauffés à différentes températures (24, 28 et 32 °C), reliés ou non entre eux, avant d’introduire un virus dans l’eau. « Non seulement les carpes qui le pouvaient se sont toutes déplacées vers les eaux les plus chaudes, mais elles ont survécu sans exception, alors que celles maintenues dans un bassin à 24 °C sont toutes mortes de l’infection. » Dans la nature, les poissons infectés se seraient naturellement dirigés vers les zones exposées plus directement au Soleil. Sauf si lesdits poissons évoluent dans des bassins d’élevage à la température uniforme…
C’est peut-être la conclusion commune à toutes ces études décryptant l’influence de notre étoile sur le monde animal : perturber l’accès naturel à la lumière du Soleil entraîne une foule de conséquences délétères, évidentes ou étonnantes. De quoi pousser un oiseau à migrer dans la mauvaise direction ou faire naître un agneau en plein hiver.
Le coup de soleil, une plaie universelle
Le Soleil ne brûle pas uniquement les bipèdes en maillot de bain, mais aussi les chiens, les chats – en particulier sur les zones moins poilues, comme les oreilles, la truffe ou le ventre – et bien d’autres espèces. Les animaux les plus exposés ont développé tout un arsenal de stratégies pour se protéger du rayonnement solaire. Ainsi, éléphants, rhinocéros, buffles ou encore sangliers se roulent-ils dans la boue pour se recouvrir d’une couche protectrice bloquant les rayons lumineux. L’agame barbu, un lézard australien, change en quelques minutes la couleur de sa peau – et donc l’énergie solaire captée – en fonction de l’intensité lumineuse. Les baleines bleues, qui doivent régulièrement remonter à la surface pour respirer, voient leur peau bronzer au fil des saisons, l’augmentation de la mélanine offrant une meilleure protection face aux rayons ultraviolets. Et sous le soleil d’Afrique, la peau nue des hippopotames sécrète une substance rouge qui absorbe les UV tout en freinant la croissance de micro-organismes pathogènes. D’ailleurs, les micro-organismes eux-mêmes doivent se protéger du soleil.
Certaines algues, bactéries ou champignons microscopiques produisent ainsi leur propre « crème solaire » sous la forme de petites molécules absorbant les rayons UV. Les gènes impliqués dans la synthèse d’une de ces molécules protectrices, le gadusol, sont également présents chez plusieurs espèces de reptiles, de poissons et d’oiseaux. Par ailleurs, dans une étude parue fin 2021, des chercheurs de l’Institut Max-Planck d’ornithologie, en Allemagne, ont montré que plus une espèce migrait longtemps, plus son plumage tendait à être clair. De quoi mieux réfléchir les rayons du soleil durant les longs vols à haute altitude… et éviter la surchauffe.
Quand les agronomes jouent avec la lumière
Les éleveurs de vaches, poules, chevaux ou moutons ont bien compris l’importance de la durée du jour pour leurs bêtes. Quitte à remplacer le Soleil par toutes sortes de lumières artificielles afin d’augmenter leur production. Ainsi, rallonger de quelques heures l’exposition à la lumière d’une vache laitière permet d’obtenir jusqu’à 10 % de lait supplémentaire. Jouer avec la durée d’éclairage d’un poulailler offre une fréquence de ponte plus élevée, mais aussi plus homogène au cours de l’année. Plus étonnant, alterner de manière totalement artificielle un mois de jours courts et un mois de jours longs chez des béliers placés dans des bâtiments hermétiques à la lumière du jour leur permet de produire des spermatozoïdes toute l’année et en plus grande quantité.
Idéal pour réaliser des inséminations artificielles à n’importe quelle saison. « La modification de la photopériode est fréquemment utilisée chez les espèces saisonnières, confirme Philippe Chemineau, directeur de recherches émérite à l’Inrae. Certains éleveurs de moutons obtiennent ainsi trois gestations en deux ans au lieu de deux. Les producteurs de fromages de chèvre ou de brebis, de leur côté, s’attacheront plutôt à répartir les naissances toute l’année. » Afin de produire sainte-maure ou crottin de Chavignol en toute saison.
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