Africa-Press – Djibouti. Un scandale évolutif ! » Ainsi réagit en souriant Alexandra Magro, chercheuse au laboratoire Évolution et diversité biologique du CNRS, lorsqu’elle évoque la parthénogenèse. Car ce mode de reproduction asexuée, que l’on a longtemps cru réservée aux plantes et à certains insectes, n’est en fait pas si rare chez les vertébrés. Les découvertes se sont multipliées ces dernières années. Plus de 80 cas de parthénogenèse ont été recensés chez des espèces différentes de vertébrés. La majorité sont des poissons et des lézards.
Mais ce phénomène a également été observé chez des vertébrés plus complexes, tels les dragons de Komodo. En 2006, au zoo de Chester en Angleterre, une femelle nommée Flora donnait des œufs viables sans avoir été en contact avec un mâle. Aujourd’hui, les chercheurs pensent que le fait est loin d’être rare chez cette espèce.
En 2017, c’est une femelle requin-zèbre prénommée Léonie qui défrayait la chronique en Australie. Seule dans son aquarium, elle avait alors mis au monde trois petits. Si les observations précédentes concernaient des individus qui ne s’étaient jamais reproduits sexuellement, Léonie, elle, avait déjà donné naissance à une vingtaine de requineaux après s’être accouplée avec un mâle ! Quelques années plus tard, un nouveau cas de parthénogenèse était observé dans un aquarium de Sardaigne, chez une femelle requin, émissole cette fois. En milieu naturel, des analyses génétiques peuvent révéler des individus issus de parthénogenèse au sein d’espèces sexuées. C’est le cas chez la raie léopard ou encore les condors de Californie, comme l’ont découvert des chercheurs du zoo de San Diego (États-Unis) en octobre 2021.
Deux formes de reproduction asexuée
Dans la reproduction sexuée, un ovule et un spermatozoïde apportent, chacun, du matériel génétique. À l’intérieur de la cellule œuf, les chromosomes vont par paire ; chaque parent apporte un chromosome de la paire. On dit que la cellule est diploïde. Mais d’où viennent les chromosomes supplémentaires lorsque la femelle se reproduit par parthénogenèse ? « Il existe différents mécanismes qui aboutissent à une naissance vierge « , souligne Tanja Schwander, chercheuse au département Écologie et évolution de l’Université de Lausanne (Suisse).
Pour la majorité des vertébrés asexués, comme certains lézards et geckos, s’opère une duplication supplémentaire de leur set de chromosomes. On appelle ce phénomène l’endoduplication. Autre possibilité, l’automixie : deux cellules reproductrices fusionnent. C’est le cas chez certains requins. Lors de la fabrication des cellules reproductrices – la méiose – se forment une grande cellule reproductrice et trois petites cellules nommées « corps polaires ». Chacune est haploïde, c’est-à-dire qu’elle dispose d’un seul jeu de chromosomes. En temps normal, les corps polaires dégénèrent et c’est la cellule reproductrice qui est fertilisée. Chez certaines espèces, un des corps polaires fusionne avec la cellule reproductrice. Il existe enfin un cas encore plus étonnant : la parthénogenèse peut être induite par une bactérie, comme chez certaines guêpes. Lorsque les femelles sont infectées par la bactérie Wolbachia , elles se reproduisent seules et transmettent la bactérie à leurs progénitures par les œufs. L’infection peut entraîner une endoduplication ou une automixie. Dans les deux cas, la diploïdie est restaurée.
Une première expérimentale chez la souris
Devant tant d’exemples, la question se pose : est-ce que la parthénogenèse, pourrait exister aussi chez les mammifères ? Aucun exemple n’a été observé dans la nature jusqu’à présent. Mais des chercheurs de l’Université de Shanghai (Chine) ont montré en 2022 que cela est possible, du moins chez les souris. En modifiant génétiquement les ovocytes d’une femelle, ils ont réussi à ce que des embryons se développent sans fécondation. Un souriceau femelle est né de cette expérience et s’est même reproduit (sexuellement) par la suite.
« Il y a tellement d’avantages à l’asexualité qu’une des grandes questions qui nous anime en tant que chercheurs est : pourquoi la majorité des animaux continuent d’avoir des rapports sexuels pour se reproduire ? « , s’étonne Tanja Schwander, chercheuse au département Écologie et évolution de l’Université de Lausanne (Suisse). L’asexualité simplifie la reproduction. Obsolète, la parade nuptiale. Pas besoin, non plus, de trouver de partenaire sur des territoires parfois immenses. Les maladies sexuellement transmissibles disparaissent… Et ce n’est pas tout : le taux de croissance des populations est beaucoup plus élevé.
Par ailleurs, si une femelle se reproduit, c’est qu’elle détient une bonne combinaison de gènes. La meilleure stratégie, d’un point de vue évolutif, serait donc de garder cette combinaison et de la transmettre de génération en génération. C’est justement ce qui se produit lors de la reproduction par parthénogenèse. « Si on jouait au poker sans pouvoir bluffer, alors le gagnant serait celui qui a la meilleure combinaison de cartes, illustre Tanja Schwander. Dès lors, si au tour suivant, on peut choisir entre le set de cartes qui vient de gagner ou un set de cartes aléatoire dans la pile, les chances de l’emporter seront toujours plus élevées en gardant le set précédent. L’asexualité conserve les mêmes combinaisons de gènes, qui ont été favorisées par la sélection, alors que la reproduction sexuée mélange tout et recommence à zéro. » Ni plus ni moins un scandale évolutif en effet !
De quoi expliquer que la parthénogenèse est très fréquente chez les insectes. « Des espèces entières se reproduisent uniquement de cette manière « , rappelle Alexandra Magro. On les appelle espèces « parthénogénétiques ». Leur particularité : elles ne comptent plus aucun mâle. Parmi elles, des insectes, comme des guêpes et des coléoptères, mais aussi des lézards… À titre d’exemple, Aspidoscelis uniparens est une espèce de lézards qui ne compte plus que des femelles parthénogénétiques. Elles se mordent entre elles pour déclencher la parthénogenèse. Un rituel partagé avec d’autres espèces de la même famille, qui se reproduisent sexuellement. Le mâle mord la femelle, ce qui a pour effet de stimuler l’ovulation.
Une solution pour recoloniser rapidement des milieux
« Souvent, une espèce parthénogénétique est une espèce dite hybride « , précise Alexandra Magro. Les ancêtres de cette population sont deux espèces sexuées et il y a eu accouplement entre un mâle et une femelle de chacun de ces deux groupes. De ce croisement peut naître une femelle hybride parthénogénétique. Celle-ci donne alors naissance uniquement à des femelles, à qui elle transmet la capacité de se reproduire toutes seules. « De temps en temps, un mâle spontané peut apparaître, mais il n’a pas d’incidence pour l’évolution de l’espèce : les individus ne se mettent pas à pratiquer la reproduction sexuée pour autant. Le mâle finit simplement par mourir « , explique Tanja Schwander.
Revers de la médaille : la variabilité génétique des espèces asexuées est bien moins grande que chez les espèces qui se reproduisent sexuellement. Elles sont donc également plus sensibles que les espèces sexuées aux changements écologiques, aux parasites, aux maladies, etc. Pour autant, « ce ne sont pas des clones, insiste la chercheuse. Des mutations spontanées se produisent et les individus à l’origine de la population parthénogénétique arrivent avec un matériel génétique différent. Cela apporte de la diversité au sein de la population par la suite, même si ce n’est pas comparable à la diversité au sein des espèces sexuées. »
Dans les écosystèmes fragiles où les feux de forêts peuvent faire disparaître des populations entières, la parthénogenèse apparaît comme une solution pour recoloniser rapidement le milieu à partir d’une poignée d’individus ou encore pour repeupler des espèces en voie d’extinction. C’est le cas des condors de Californie, dont des chercheurs ont découvert qu’ils étaient issus de parthénogenèses. Alors même que les femelles avaient accès à des mâles, les échantillons ADN des deux oiseaux ne présentaient aucune trace d’un père. C’est ce qu’on appelle la parthénogenèse facultative : les femelles ont recours à la parthénogenèse ponctuellement, et se reproduisent sexuellement le reste du temps.
Chez l’humain, les barrières génétiques sont nombreuses
Puisqu’elle est si fréquente et théoriquement possible chez la souris, impossible de se demander si, en cas de crise, elle pourrait se produire chez l’humain ? « En théorie on pourrait imaginer une parthénogenèse chez l’humain, admet Tanja Schwander, qui tempère immédiatement : on pense néanmoins qu’une partie du développement embryonnaire des mammifères n’est possible qu’après une fécondation. Aussi, de nombreuses mutations seraient nécessaires. »
En effet, le matériel génétique des deux parents est nécessaire pour que l’embryon se développe. Et la naissance d’un garçon par parthénogenèse serait exclue, à moins d’une mutation ou d’une translation de certains gènes du chromosome Y vers le chromosome X. Par ailleurs, chez l’être humain, l’entrée du spermatozoïde dans l’ovule détermine la place de la tête. Autant de preuves que la reproduction sexuée est le résultat de nombreuses adaptations qui sont devenues autant de barrières à l’asexualité.
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