Africa-Press – Djibouti. Une enquête menée par l’association CLCV (Consommation, logement et cadre de vie), publiée en octobre, révèle que près d’un tiers des aliments pour nourrissons contient des niveaux excessifs de sucre, tandis que 38% d’entre eux incluent des additifs dans leur recette, et un tiers renferme des arômes. Sciences et Avenir a interviewé Lisa Faulet, responsable scientifique de ce travail : elle nous explique comment éviter ces produits sans intérêt nutritionnel pour les tout-petits.
Sciences et Avenir : Dans votre enquête, vous révélez que 85% des produits laitiers (yaourts, crèmes…) pour les tout-petits sont très riches en sucre, 77% contiennent des arômes et 94% des additifs. Quels produits laitiers recommandez-vous, compte tenu de ces résultats alarmants?
Lisa Faulet, responsable scientifique au CLVC : Nous recommandons aux parents d’opter pour les yaourts, petits-suisses et fromages blancs nature des rayons frais classiques, car ils présentent souvent une qualité nutritionnelle équivalente à ceux destinés aux tout-petits et une liste d’ingrédients parfois plus courte.
Par exemple, lors de notre enquête, nous avons comparé un yaourt brassé nature pour bébés à un yaourt classique : celui pour nourrissons était moins riche en calcium, contenait six additifs et un arôme.
Il n’est donc absolument pas nécessaire d’acheter des produits laitiers (sauf le lait) spécialement conçus pour les tout-petits, ceux-là coûtant a fortiori plus cher. Les bébés peuvent bien sûr consommer ces produits de temps en temps, mais il est préférable de les intégrer à leur alimentation de manière occasionnelle.
La méthodologie de l’enquête
L’enquête, réalisée en juin et juillet 2023, a ciblé sept familles de produits conçus pour les plus jeunes (du nourrisson à l’enfant de 3 ans), englobant une large variété d’aliments, des boissons aux repas salés, en passant par les confiseries.
Au total, 207 références d’aliments pour bébés en provenance de neuf enseignes différentes, parmi lesquelles Auchan, Carrefour, Lidl, Monoprix, Bio c’ Bon et Leclerc, ont été examinées.
Les critères d’analyse étaient assez exhaustifs, incluant la liste complète des ingrédients, la présence d’additifs et d’arômes, les informations nutritionnelles déclarées sur les emballages, ainsi que les allégations faites sur les produits. L’ensemble de ces données a été comparé aux recommandations émises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) concernant les produits alimentaires destinés aux tout-petits.
Les préparations à base de céréales destinées aux bébés n’ont pas besoin d’être aromatisées
Les compotes et les purées de fruits constituent des desserts très appréciés des bébés et sont plébiscitées par les parents en raison de leur aspect sain. Cependant, votre enquête révèle qu’ils sont souvent riches en sucre, représentant parfois plus de 50% de l’apport calorique. Faut-il en limiter la consommation ? Dans ce cas, quelles recommandations pouvez-vous donner aux parents à ce sujet ?
Selon l’OMS, il est préférable de favoriser les plats salés plutôt que les plats sucrés, dans la diversification alimentaire des tout-petits.
Si les parents souhaitent néanmoins donner des compotes à leur enfant, voici quelques conseils : privilégiez celles sans sucres ajoutés, c’est-à-dire celles dont la liste des ingrédients ne mentionne pas de sucre ; optez également pour des compotes à base de fruits moins sucrés, comme les pommes, les poires ou les fruits rouges, plutôt que celles à base de bananes ou de fruits exotiques qui ont tendance à être plus sucrées.
Il n’est pas nécessaire d’acheter ces purées de fruits dans les rayons spécialisés pour nourrissons. En revanche, achetez ces produits avec la mention AB, car dans le cas des préparations pour bébés, le règlement européen fixe des limites strictes pour les résidus de pesticides ; une garantie que vous pouvez aussi trouver dans les produits labellisés bio. Enfin, pour réaliser plus d’économies et offrir aux nourrissons une portion de compote adaptée à leur appétit, les pots familiaux sont une option pratique à considérer.
Deux documents à télécharger pour des conseils nutritionnels complets destinés aux tout-petits
Élaborés par Santé publique France, ce livret complet (36 pages) et ces deux tableaux récapitulatifs constituent des ressources précieuses pour guider les parents et les professionnels de la petite enfance dans l’alimentation des enfants de moins de 3 ans.
Votre travail met également en lumière la présence d’arômes dans ces produits pour tout-petits. Vous prenez l’exemple des préparations à base de céréales destinées à être mélangées avec de l’eau ou du lait, parmi lesquelles 90% sont aromatisées. En quoi ces arômes peuvent-ils être problématiques pour la santé des plus jeunes ?
Les préparations à base de céréales n’ont pas besoin d’être aromatisées. Les petits savent les apprécier sans ces artifices.
Ajouter des arômes à des aliments qui n’en contiennent normalement pas influence les habitudes alimentaires des enfants, en les orientant vers des saveurs standardisées telles que la vanille, le chocolat ou la fraise.
L’OMS recommande fortement de réduire l’utilisation d’arômes dans les préparations pour bébés, afin de leur permettre d’apprendre de nouvelles saveurs et d’enrichir leurs découvertes alimentaires. Il existe des préparations de céréales sans arômes qui peuvent parfaitement convenir à leur alimentation.
Il faut éviter les produits pour bébés avec du sel dans la liste des ingrédients
Les plats salés tout prêts destinés aux bébés sont pratiques pour les parents qui rentrent fatigués le soir. Cependant, votre enquête révèle que 51% de ces produits dépassent les seuils de sel recommandés par l’OMS, et 42% sont trop sucrés. Existe-t-il un système comme le Nutri-Score qui pourrait aider les parents à faire des achats alimentaires pour les nourrissons, en toute connaissance de cause ?
L’algorithme du Nutri-Score ne s’applique pas aux plats cuisinés pour bébés car ils n’ont pas les mêmes besoins nutritionnels que les adultes. Adapté aux tout-petits, il serait un outil précieux pour les parents pressés, qui n’ont pas toujours le temps de préparer un repas le soir, ni de comparer les étiquettes nutritionnelles.
Cependant, il existe deux critères simples qui peuvent aider les parents à faire des choix plus éclairés.
Tout d’abord, il est préférable de choisir des produits qui ne contiennent pas de sel dans la liste des ingrédients, car le sel est uniquement un exhausteur de goût : il n’apporte rien du point de vue de la qualité nutritionnelle. Autre critère à prendre en compte, le type de légumes : préférer les plats à base de légumes verts plutôt que ceux à base de courges ou de potiron, car ils sont généralement moins sucrés.
Dans cette étude, vous exprimez votre préoccupation quant au développement d’une gamme de produits destinés aux tout-petits, incluant des biscuits, des snacks sucrés et salés, dont 65% excèdent les seuils recommandés en sucre, et 73% contiennent des additifs. Quelles sont les raisons qui motivent cette inquiétude ?
Ce qui nous préoccupe particulièrement, c’est le développement de ce choix de produits destinés aux plus jeunes. Ces biscuits, des snacks sucrés et salés, ne sont pas du tout nécessaires dans l’alimentation des tout-petits.
En encourageant la consommation précoce de ces aliments, on normalise le grignotage et on habitue les enfants à des goûters et des desserts très sucrés. Cela va à l’encontre des recommandations nutritionnelles, surtout dans un pays comme la France, où environ 30% des enfants de 2 à 4 ans sont en surpoids ou obèses.
Le retard d’une réglementation européenne sur les aliments pour bébés
Parmi les produits pour bébés que vous avez analysés, 38% contiennent des additifs. Cependant, tous les additifs ne sont pas nécessairement nocifs pour la santé. Pouvez-vous préciser quels sont ceux à éviter, et dans quelles catégories de produits les trouve-t-on généralement ?
Il est important de noter que la réglementation européenne autorise seulement 65 additifs dans l’alimentation infantile, par rapport aux quelque 300 additifs autorisés dans l’alimentation générale.
Cette réglementation date de 2013, mais depuis, nos connaissances sur les additifs autorisés dans la nourriture pour nourrissons ont progressé, en particulier concernant une catégorie particulière : les émulsifiants. De plus en plus d’études démontrent que ce type d’additifs peut perturber le microbiote intestinal et être responsable d’inflammation intestinale.
Or, ces émulsifiants sont présents dans les préparations pour bébés et notamment dans les produits lactés. Je conseille donc aux parents, lorsqu’ils disposent d’un peu de temps, de jeter un coup d’œil à la liste des ingrédients des préparations infantiles, et de rester attentifs aux noms de substances qui leur sont inconnus, car il y a de fortes chances qu’ils s’agissent d’additifs.
Selon vos données, 80% des produits pour nourrissons affichent des allégations nutritionnelles ou de santé sur leur emballage. Comment les parents peuvent-ils s’y retrouver dans cette jungle alimentaire ? Existe-t-il des réglementations européennes visant à encadrer ces pratiques ?
Oui, un règlement européen encadre les assertions nutritionnelles pour l’ensemble des produits alimentaires.
Par exemple, l’allégation « réduit en sucre » signifie que le produit contient 30% de sucre en moins qu’une préparation alimentaire de la même gamme. Cependant, il est essentiel de se rappeler que le diable se cache dans les détails. Un aliment peut être qualifié de « riche en calcium » tout en étant très sucré ou très gras, ce qui le rend finalement peu intéressant sur le plan nutritionnel.
Il est donc urgent que la réglementation européenne évolue pour prendre en compte la qualité nutritionnelle globale des aliments, en fixant des seuils maximaux pour le sel, le sucre, etc., par famille de produits. Elle doit revoir la liste des additifs et limiter fortement les arômes. La mise en place de ces règles ne serait pas très fastidieuse car l’OMS a réalisé l’essentiel du travail.
La Commission européenne devait s’engager prochainement sur ces questions, mais le projet paraît actuellement en suspens. J’imagine qu’il y a de fortes pressions de la part des industriels pour qu’il soit régulièrement reporté. En attendant, les parents, qui ont déjà bien à faire, doivent s’orienter seuls dans cette jungle alimentaire.
Les recommandations alimentaires méconnues des jeunes parents
Pour élaborer et rédiger de nouvelles recommandations en matière de nutrition pour les bébés, Santé publique France a adopté une démarche participative en impliquant activement les parents. Au cours de ce processus, il est apparu que certains conseils étaient encore méconnus des parents.
En voici une liste non exhaustive :
La nécessité d’ajouter des matières grasses aux préparations « maison » ou aux petits pots pour bébés, lorsqu’ils en sont dépourvus.
Les risques microbiologiques liés à la consommation de miel et de produits laitiers à base de lait cru, qui sont fortement déconseillés chez les tout-petits avant un an.
Les scientifiques recommandent d’exposer les enfants à des produits allergènes entre 4 et 6 mois, pour améliorer leur tolérance à ces aliments.
L‘importance des légumes secs et des produits céréaliers complets dans l’alimentation des tout-petits. Souvent, ces aliments sont évités par crainte de problèmes digestifs pour les enfants. Cependant, leur inclusion dans les repas des tout-petits améliore la qualité nutritionnelle de leur alimentation, car ils sont riches en fibres et en protéines végétales.
La possibilité d’alterner le lait de croissance et le lait de vache entier UHT dès l’âge de 1 an.
Par ailleurs, les scientifiques constatent que les petits déjeûners et les goûters des bébés sont souvent trop sucrés, avec une forte présence de viennoiseries, de biscuits et de gâteaux. Cette recommandation, bien que fondamentale, est moins acceptée par les parents pour qui ces repas représentent des moments de plaisir.
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