
Maher Hajbi
Africa-Press – Djibouti. Nouvelles acquisitions, nouveaux projets et une stratégie coordonnée: le mastodonte français des hydrocarbures mise sur le développement de gisements « à faible coût et à faibles émissions carbone » pour doper ses activités sur le continent.
À la tête de la branche exploration et production (E&P) de TotalEnergies au sud du Sahara, Mike Sangster est un élément clé du géant français du pétrole et du gaz, dirigé par Patrick Pouyanné. Après avoir enchaîné les missions en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, et réalisé son baptême de feu sur le continent au Nigeria (2019-2023), le successeur de Henri-Max Ndong-Nzue pilote avec enthousiasme la stratégie africaine du groupe depuis septembre 2023.
Alors que le rythme de production et de commercialisation des hydrocarbures du groupe en Afrique subsaharienne a marqué le pas entre 2020 (629 000 barils équivalent pétrole par jour, bep/j) et 2022 (474 000 bep/j), Mike Sangster se donne les moyens pour booster la relance des activités extractives du groupe. Malgré les enjeux sécuritaires, le retrait des partenaires financiers à l’égard des projets fossiles et les critiques sur les bombes climatiques, le patron Afrique de TotalEnergies E&P enchaîne les projets dans les fiefs historiques du groupe et garde un œil attentif en dehors de ses bases. Rencontre.
Depuis votre arrivée à la tête de la direction Afrique de TotalEnergies E&P, le groupe multiplie les transactions sur le continent. Quel est votre plan d’action ?
Mike Sangster: TotalEnergies produit près de 500 000 barils équivalent pétrole par jour sur le continent (hors Afrique du Nord), soit près de 20 % de la production mondiale du groupe. Malgré des variations, liées notamment à des arrêts de maintenance, nos équipes au Nigeria, en Angola, au Congo et au Gabon œuvrent à maintenir ce niveau de production avec le développement de nouveaux projets pour compenser le déclin naturel de certains gisements dans nos bases historiques.
Nous sommes d’ailleurs très heureux d’avoir officialisé, le 20 mai, avec nos partenaires, le groupe pétrolier malaisien Petronas (40 %) et la compagnie pétrolière angolaise Sonangol (20 %), la décision finale d’investissement pour le projet en eaux profondes Kaminho, situé au large de l’Angola, à 1 700 mètres de profondeur. Tous les contrats ont été signés et la future mise en service de ce gisement ajoutera 70 000 bep/j à notre portefeuille en Angola d’ici à 2028.
Au Nigeria, nous avons lancé le champ Akpo West, en février, sur le bloc PML2, où nous produisons 124 000 bep/j. Notre objectif est de produire 14 000 barils de condensats additionnels par jour au premier semestre 2024, puis jusqu’à 4 millions de mètres cubes de gaz par jour à l’horizon 2028. Nous avons, dans ce pays clé pour la compagnie, un portefeuille de projets qui pourrait représenter plus de 6 milliards de dollars d’investissements dans les prochaines années.
Au Congo, nous avons fait le choix de nous concentrer sur les actifs en eaux profondes avec l’augmentation de notre participation dans le permis Moho et la cession du permis Nkossa, en eaux peu profondes car l’offshore profond est notre marque de fabrique et reste un levier majeur de croissance pour TotalEnergies. Nous démarrons aussi le forage du puits d’exploration de Niamou sur le permis de Marine XX.
Qu’en est-il du Gabon où vous êtes en retrait ?
Certes, nous avons procédé à une rationalisation de notre portefeuille au Gabon au cours des dernières années et la compagnie a aujourd’hui une présence beaucoup plus réduite dans le pays, mais nous continuons de produire près de 20 000 bep/j. Nous y avons également un programme important de gestion forestière associant la production durable de bois, la préservation de la biodiversité et la séquestration pérenne du carbone.
Comment définissez-vous les priorités entre vos projets ?
Nous avons un certain nombre de critères économiques, commerciaux et techniques à respecter. Avec une ligne directrice claire: nous n’investissons que dans des projets à faible coût et à faibles émissions carbone.
Nous produisons des barils à moins de 20 dollars, c’est-à-dire que si vous additionnez tous les Capex [dépenses d’investissement] et tous les Opex [dépenses d’exploitation], et que vous les divisez par la production, le baril doit être inférieur à 20 dollars pour que le projet soit approuvé. Ou alors, avoir un point mort, soit notre seuil de rentabilité, sous les 30 dollars le baril.
Concernant les faibles émissions, nous examinons chaque année l’empreinte carbone moyenne de nos activités. En 2023, chaque baril de pétrole produit a généré environ 19 kilogrammes (kg) de carbone. Désormais, tout nouveau projet que nous approuvons en 2024 doit avoir une intensité carbone inférieure. C’est un cercle vertueux: nous voulons améliorer notre portefeuille pour atteindre une intensité carbone moyenne inférieure à 13 kg par baril produit à l’horizon 2028. Et l’économie du projet est analysée en considérant un prix du CO2 à 100 dollars/t.
Et les enjeux sécuritaires ?
Il y a plusieurs défis à relever en matière de sécurité sur le continent et nous travaillons avec les gouvernements africains pour nous assurer que toutes nos installations restent protégées et sécurisées.
Ces défis semblent difficiles à relever au Mozambique… Après sa réunion avec le président Nyusi, Patrick Pouyanné a-t-il réussi à désamorcer la crise ?
Au Mozambique, nous avons été choqués par ce qui s’est passé en avril 2021, avec l’insurrection islamique dans la partie nord de Cabo Delgado et nous exprimons notre solidarité au peuple mozambicain. Assurer la sécurité du pays, y compris les zones dans lesquelles nous opérons, relève de la responsabilité de l’État.
Nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités mozambicaines afin de nous assurer que les conditions nécessaires au redémarrage du projet puissent être réunies. C’est au gouvernement qu’il appartient de mettre en place les conditions nécessaires à la levée de la force majeure. Contrairement à 2021, la situation a évolué et nous surveillons continuellement la situation et les conditions de sécurité avec le gouvernement du Mozambique pour redémarrer le projet lorsque la force majeure sera levée.
À l’inverse de la situation au Mozambique, TotalEnergies accélère sur Vénus, le gisement en or au large de la Namibie…
En ce moment, la Namibie représente le nouveau point chaud de l’exploration pétrolière, avec beaucoup d’entreprises qui s’y impliquent. Heureusement, nous étions là assez tôt pour réaliser la découverte de Vénus, où nous avons également foré deux puits d’appréciation. Désormais, nous disposons de beaucoup de données.
Pourriez-vous préciser le potentiel de vos découvertes en Namibie à ce stade ?
Nous préférons ne pas communiquer sur ces données pour l’instant. Mais nous pensons que le champ de Vénus pourrait être développé avec un FPSO [une unité flottante de production, de stockage et de déchargement]. Après l’interprétation des données sismiques et l’évaluation des opérations de forage, nous examinerons le plan de développement pour pouvoir approuver le projet d’ici à la fin 2025.
Initialement annoncée pour 2025, la mise en service d’EACOP/Tilenga est reportée à 2026. Où en êtes-vous avec ce projet controversé ?
Dans quel continent ce projet est-il controversé ? En Afrique ou en Europe ? Nous avons rencontré ce que nous appelons les personnes affectées par le projet, et la perception générale est positive. Les informations relayées par la presse au sujet de 100 000 personnes déplacées sont erronées. Il existe environ 19 000 foyers qui sont touchés, 99 % d’entre eux ont signé les accords de compensation. Parmi ces foyers, 775 avaient leur résidence principale sur les terrains nécessaires aux projets Tilenga-EACOP. Ils ont largement choisi une nouvelle maison plutôt qu’une compensation financière. Et la totalité de ces maisons sont désormais livrées.
Sur le terrain, le projet se déroule très bien et la première production devrait avoir lieu en 2026. Nous avons actuellement trois plateformes de forage dans le champ de Tilenga. Les conduites entre les puits et l’usine de traitement sont en train d’être posées. L’usine centrale de traitement est en construction. Concernant EACOP, nous avançons sur les travaux d’isolation des sections du pipeline avant qu’il ne soit posé. L’opération se fera dans les prochaines semaines et le projet devrait être opérationnel d’ici à 2026. Sur la phase de construction dans les deux pays, près de 14 000 emplois directs ont été créés.
Où en êtes-vous avec les financements de ce méga-projet, à l’heure où les banques européennes ont décidé de lever le pied sur les investissements dans les énergies fossiles en Afrique ?
TotalEnergies finance la plupart de ces projets par des fonds propres. Nous générons des flux de trésorerie à partir de nos projets en Angola, au Nigeria, au Congo, ou encore au Gabon, que nous réinvestissons dans d’autres projets sur le continent. Le groupe investit entre 16 à 18 milliards de dollars par an de Capex, dont un tiers est consacré à de nouveaux projets pétroliers et gaziers, comme Mozambique GNL ou EACOP/Tilenga, un deuxième tiers au maintien de la production de certains de nos projets existants, que ce soit en amont ou en aval, et le dernier tiers, d’un montant de 5 milliards de dollars, est dédié aux énergies renouvelables.
Nous sommes concrètement en mesure d’investir dans divers projets en investissant des fonds propres et non en recourant au financement bancaire. Cependant, certains de nos interlocuteurs africains sont contrariés par l’approche adoptée par certaines des banques. Cela peut s’entendre: l’Europe a fait sa révolution industrielle grâce aux combustibles fossiles et l’Afrique est privée de financement pour exploiter ses réserves pétrolières et gazières. Dans le Global South, les combustibles fossiles restent une solution abordable pour fournir à des populations croissantes l’accès à l’énergie, dont elles ont besoin pour leur développement. Il faut donc trouver le bon rythme et il ne peut pas être le même partout. TotalEnergies d’ailleurs s’engage avec des actions très concrètes pour accompagner cette transition. En mai dernier, nous avons annoncé notre volonté de donner accès au clean cooking à 100 millions de personnes en Afrique et en Inde d’ici 2030.
En Europe, TotalEnergies est sévèrement critiquée pour « les bombes climatiques ». Comment comptez-vous y remédier ?
TotalEnergies est une grande entreprise en France, où il est facile de critiquer les opérateurs économiques, en particulier ceux qui réalisent de gros bénéfices. Cela attire toujours beaucoup d’attention. Mais notre groupe reste très engagé vis-à-vis de ses partenaires en termes de responsabilité sociétale dans tous les pays dans lesquels nous opérons. D’ailleurs, nous communiquons toutes les informations nécessaires à la compréhension des enjeux de nos projets, notamment en Ouganda et en Tanzanie par souci de transparence.
Les ONG évoquent l’urgence climatique… Cela peut freiner votre cadence en Afrique ?
La transition doit être progressive et équitable et cela prendra du temps. Avec 600 millions de personnes sans accès à l’électricité sur le continent, beaucoup de pays africains ont besoin de revenus supplémentaires provenant de l’exploitation de leurs ressources naturelles, qu’ils pourront utiliser dans le cadre de leur propre transition. Nous voulons continuer à investir dans le pétrole et le gaz dans des projets à faible coût et à faibles émissions. Les revenus tirés de ces projets financent nos investissements dans les énergies renouvelables car la transition des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables ne se fera pas du jour au lendemain. Maintenant, notre objectif est d’augmenter notre production d’énergie d’environ 4 % par an en moyenne pour les prochaines années. Cette énergie proviendra du pétrole, du gaz et de l’électricité, produits en partie en Afrique.
Vous avez obtenu un permis d’exploration en Afrique du Sud. Seriez-vous intéressé par de nouveaux projets en Afrique de l’Ouest, notamment en Côte d’Ivoire ou au Sénégal ?
Je ne peux vous donner plus de détails sur le sujet pour l’instant.
Le Sénégal a annoncé son intention de renégocier les contrats pétroliers et gaziers. C’est une perspective qui peut vous inquiéter sur vos marchés ?
La stabilité fiscale est un élément primordial dans la négociation des contrats pétroliers à travers le monde. Prenons l’exemple de nos activités en Namibie: si vous faites une découverte en 2022 et que vous l’approuveriez en 2025, l’exploitation pourrait commencer en 2028 voire 2029. Nous sommes une industrie du temps long, nous investissons sur des projets pour vingt-cinq ou trente ans. Il est fondamental que vous sachiez quels sont les termes et les conditions dès le départ. Toute tentative de modification des clauses ou des conditions initiales par les gouvernements est un mauvais signal pour les investisseurs.
Loin des hydrocarbures, le développement des projets renouvelables en Afrique peine à décoller. Pourquoi ?
Certes, le potentiel solaire est indéniable en Afrique, où nous avons signé des protocoles d’accord avec certains pays pour développer des projets d’énergie renouvelable à grande échelle, mais le continent reste peu attractif pour les investisseurs et les banques impliqués dans le financement de ces projets. Certains États africains ne disposent pas de garantie de paiement. Selon les pays, les conditions des sociétés locales et de distribution d’électricité, il n’est pas toujours possible d’obtenir une garantie financière. C’est pourquoi il est parfois difficile de lancer les projets renouvelables.
Néanmoins, nous avons actuellement quatre projets solaires en opération en Ouganda, en Égypte, au Burkina Faso et en Afrique du Sud, deux en construction, et une dizaine en cours de développement, mais aussi 2 projets éoliens en Afrique du Sud et en Zambie, un projet hydroélectrique au Mozambique… Clairement, nos équipes sont mobilisées, via notre réseau de « renewables explorers », nos têtes chercheuses de projets. C’est une priorité pour la compagnie: chaque filiale étudie donc les opportunités de développement. C’est comme cela que les projets pourront voir le jour et que TotalEnergies accompagne les pays producteurs dans leur transition.
Source: JeuneAfrique
Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press