Comment DP World est devenu la vitrine du soft power dubaïote en Afrique

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Comment DP World est devenu la vitrine du soft power dubaïote en Afrique
Comment DP World est devenu la vitrine du soft power dubaïote en Afrique

Julian Pecquet

Africa-Press – Djibouti. Tout a commencé il y a un demi-siècle par la gestion de deux grues à Port Rashid, à Dubaï. Aujourd’hui, DP World emploie plus de 20 000 personnes sur le continent africain et exploite des ports et des centres logistiques dans neuf pays: l’Algérie, l’Angola, Djibouti (où sa présence est contestée par l’État), l’Égypte, le Mozambique, le Nigeria, le Rwanda, le Sénégal et l’Afrique du Sud – ainsi que dans l’État autoproclamé du Somaliland.

« Catalyseur de prospérité partagée »

Devenu puissance logistique mondiale, ainsi qu’outil central des ambitions géopolitiques croissantes des Émirats arabes unis, DP World concentre ses objectifs commerciaux et stratégiques sur le continent. « L’Afrique se trouve à un moment crucial », estime Sultan Ahmed bin Sulayem, PDG du groupe. « Elle est jeune, riche en ressources et en marchés en plein essor. Cependant, pour libérer ce potentiel, nous devons tous considérer le commerce comme une force de transformation, un catalyseur de prospérité partagée. »

Le service des relations publiques de DP présente l’incursion de la compagnie en Afrique comme une progression naturelle de siècles de liens géographiques et culturels étroits. « Les corridors commerciaux entre la péninsule arabique et l’Afrique de l’Est, en particulier, ne sont pas nouveaux », explique Daniel Van Otterdijk, directeur de la communication. « Nous ne pouvons pas prétendre avoir développé tout cela. » La société les a simplement transformés au fil du temps « en voies commerciales plus modernes, avec des installations plus modernes, des navires et des infrastructures portuaires plus modernes ».

Daniel Van Otterdijk insiste pour souligner que DP n’est pas un bras armé du gouvernement émirati. « Nous sommes une entreprise privée indépendante », affirme-t-il. « Nous avons des investisseurs britanniques, australiens et émiratis. Aucun membre du gouvernement des Émirats arabes unis ne siège à notre conseil d’administration. »

Pourtant, le groupe appartient à la famille régnante de Dubaï par l’intermédiaire de sa société mère, Dubai World. Cette société d’investissement, présidée par l’émir Mohammed bin Rashid Al Maktoum, joue un rôle clé dans l’orientation de l’économie dubaïote. Son homologue émirati, AD Ports Group, est encore plus étroitement lié au gouvernement du fait de son appartenance au fonds souverain d’Abu Dhabi. Déjà présent en Égypte, AD Ports s’étend désormais en RDC et en Tanzanie.

Comme Gazprom, sans corruption ni inefficacité

Kenneth Katzman, ancien expert du Moyen-Orient au Congressional Research Service à Washington, compare DP à la société russe Gazprom, mais sans la corruption et l’inefficacité qui y règnent. « Il s’agit d’une entreprise, mais elle a des connotations politiques en ce sens qu’elle signale les intentions et la stratégie [du gouvernement] en ce qui concerne les domaines dans lesquels elle intervient et les types de contrats qu’elle conclut », explique l’analyste aujourd’hui chercheur au Centre Soufan, un groupe de réflexion sur la politique étrangère situé à New York. « Ce n’est pas nécessairement une agence gouvernementale en soi, mais c’est une sentinelle: elle vous dit ce que le gouvernement pense, ce qu’il a l’intention de faire, avec qui il traite et comment, où il est intéressé à jouer. »

Malgré tout, l’expansion mondiale de DP ne s’est pas toujours déroulée simplement. En 2006, son offre d’exploitation de six grands ports maritimes américains suscite des inquiétudes en matière de sécurité nationale après les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Malgré le soutien de principe du président George W. Bush, l’opposition des démocrates et des républicains au Congrès pousse DP à abandonner son projet et à le confier à American International Group.

L’Afrique, elle aussi, apporte son lot de casse-tête. En mars 2022, DP World s’est retrouvé au cœur de la bataille électorale au Kenya avec la publication de son offre de gestion des ports de Mombasa, Lamu et Kisumu. La coalition Kenya Kwanza de William Ruto a accusé le leader de l’époque, Uhuru Kenyatta, de vendre des actifs nationaux en secret. Là encore, l’accord a échoué. L’année dernière, c’était au tour de la Tanzanie d’être secouée par des manifestations et des actions en justice contre la proposition du gouvernement de la présidente Samia Suluhu Hassan de confier à DP World la gestion des ports maritimes et intérieurs. « L’accord était choquant car il comportait des clauses manifestement unilatérales en faveur du gouvernement de Dubaï et de son entreprise publique Dubaï Port World », selon l’activiste Maria Tsehai.

La bataille de l’Afrique de l’Est

La bataille commerciale n’a jamais été aussi âpre qu’à Djibouti. En 2006, la société émiratie y a obtenu un contrat de 30 ans et a entrepris de construire le terminal à conteneurs de Doraleh dans le golfe de Tadjoura. Six ans plus tard, Djibouti a accusé DP d’avoir corrompu le chef de l’autorité portuaire et a procédé à la nationalisation de Doraleh et à sa cession à un rival chinois. Depuis lors, DP a accumulé les victoires en justice à Londres, Hong Kong et Washington. « Je pense que la corruption du gouvernement djiboutien et l’illégalité de la suppression de notre concession sont désormais bien documentées », commente Daniel Van Otterdijk. « La Cour internationale d’arbitrage de Londres s’est prononcée cinq fois en notre faveur, exigeant que les autorités djiboutiennes rétablissent DP World. »

Pour Kenneth Katzman, la fortune de DP World est intrinsèquement liée à la géopolitique émiratie. Dans le cas de Doraleh, par exemple, la crise a atteint le point de rupture après que les Émirats arabes unis ont renforcé leurs liens sécuritaires avec le Somaliland en 2016, tandis que DP World signait un accord pour moderniser le port de Berbera dans la région séparatiste, dynamisant ainsi un rival en devenir aux portes de Djibouti. « DP est considéré comme un instrument de la pensée des dirigeants des Émirats arabes unis », explique-t-il. « Il est impossible qu’un dirigeant africain sépare les Émirats arabes unis de DP World, en rompant les liens avec les Émirats arabes unis mais en maintenant DP World dans le giron de l’entreprise. Cela ne tient pas la route. » De l’avis général, les dirigeants des Émirats arabes unis – et DP – jouent un jeu à long terme en Afrique de l’Est.

À court terme, l’investissement dans Berbera a propulsé l’opérateur portuaire au cœur d’un maelström géopolitique. Après la signature par l’Éthiopie et la Somalie, au début de l’année, d’un protocole d’accord qui accorderait à Addis-Abeba l’accès à une bande côtière de 12 miles pendant 50 ans en échange de la reconnaissance de l’indépendance du Somaliland, la Somalie a dénoncé un acte d’« agression » et obtenu le soutien de tous, de l’Égypte et de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) aux États-Unis, à l’Union européenne et au G7, pour défendre son intégrité territoriale.

Pourtant, les retombées potentielles sont évidentes. Pour les Émirats arabes unis, contenir le grand rival iranien est au cœur de leurs calculs régionaux. Cela se vérifie dans tous les domaines, du soutien émirati au chef de guerre soudanais Mohamed Hamdan Dagalo à la présence militaire à Berbera pour lutter contre les Houthis soutenus par l’Iran au Yémen. « Ce qu’ils essaient de faire, c’est d’empêcher tout concurrent ou adversaire de contrôler la mer Rouge », explique Katzman. « L’Éthiopie est sans aucun doute une proie de choix. »

Deuxième pays le plus peuplé d’Afrique avec 115 millions d’habitants, l’Éthiopie devrait compter près de 300 millions d’habitants d’ici la fin du siècle. Enclavée depuis la sécession de l’Érythrée en 1993, son accès à la mer a été décrit comme une question existentielle par le Premier ministre Abiy Ahmed. « Tout ne peut pas passer par Djibouti, ce n’est pas possible. Il faudra donc passer par Berbera », explique Peter Pham, un ancien diplomate américain qui a de nombreuses relations en Afrique et au Moyen-Orient. « Si vous avez le luxe d’investir à long terme, c’est une évidence. Cela rapportera des dividendes géopolitiques au fil du temps, et économiques dès le premier jour ».

Investissement dans le personnel et les compétences

Le Daniel Van Otterdijk est bien conscient du risque politique auquel s’expose toute entreprise étrangère faisant des affaires en Afrique. Lorsqu’il décrit les investissements de DP, il établit une distinction avec les concurrents étrangers – notamment les Chinois – pour affirmer que la société basée à Dubaï est dévouée au continent, depuis sa pratique d’embauche de la quasi-totalité du personnel local jusqu’aux millions de dollars investis dans des douzaines d’investissements sociaux à travers le continent.

Au Sénégal, où DP réalise son plus gros investissement en Afrique avec la construction du port en eau profonde de Ndayane, à 80 km au sud de Dakar, pour un montant de 1,1 milliard de dollars, ces investissements comprennent un partenariat avec l’organisation non gouvernementale Barefoot College International pour former des femmes des zones rurales au métier d’ingénieur en énergie solaire. L’objectif est d’apporter l’électricité et le développement économique à la région. « C’est une chose de construire un port », explique Van Otterdijk. « Mais si vous n’avez pas d’employés qui vivent dans les environs, vous vous retrouvez face à un énorme défi ».

DP reproduit cet investissement dans le personnel et les compétences sur l’ensemble du continent, jetant les bases logistiques pour tirer pleinement parti d’un marché panafricain que son porte-parole qualifie de « dernier grand bastion de merveilleuses opportunités ». « Il faut construire des infrastructures, c’est la clé de tout. Routes, chemins de fer, aéroports, ports… C’est comme ça qu’on débloquera la prospérité », explique le directeur de la communication. « Nous pensons qu’au cours des trois prochaines décennies, l’Afrique pourrait devenir l’une des puissances économiques du monde. »

Source: JeuneAfrique

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