Muriel EDJO
Africa-Press – Djibouti. Malgré le caractère stratégique de l’agriculture dans le développement économique de l’Afrique, le secteur demeure parmi les moins attrayants en matière d’investissement. Bien qu’il ait connu une émergence au cours des dix dernières années, il fait encore partie des premiers à subir un impact plus important face aux défis conjoncturels.
L’écosystème AgriTech en Afrique a connu une transformation significative entre 2014 et 2024. Il est passé d’une période de croissance stable à un nouveau statu quo marqué par une plus grande prudence des investisseurs. A travers son rapport « State of AgTech Investment in Africa 2024: From burst bubble to new baseline », publié au 3e trimestre 2024, la société de recherche axée sur les données Briter Bridges a identifié les grandes tendances clés de cette évolution dans le temps.
2014-2022: la période de croissance
Augmentation des investissements et des transactions: le secteur a attiré plus de 1,56 milliard de dollars d’investissements répartis sur plus de 700 transactions entre 2014 et le troisième trimestre 2024. La majorité de ce financement a été levée entre 2021 et 2022, période qui a vu une croissance significative d’une année sur l’autre, à la fois en matière de volume de financement et du nombre de transactions. Soit près de 850 millions $ pour environ 230 transactions.
Domination du financement en phase de démarrage et de croissance: la première partie de la décennie a vu une augmentation de la taille moyenne des montants accordés chaque année à chaque start-up, avec davantage de transactions en phase de croissance et en phase avancée. La taille moyenne des montants au cours de cette phase était de 500 000 dollars et a atteint 1 million de dollars en 2021. Puis, en 2023, la moyenne des montants les plus courants a chuté en dessous de 250 000 dollars. Soit 62% des transactions.
Concentration géographique: le financement de l’AgriTech s’est largement concentré sur quelques marchés. Le Kenya, l’Egypte et le Nigeria étant les pays les plus financés. Le Kenya à lui seul a capturé 33% du nombre total des transactions entre 2014 et 2023. Soit 56% du volume total des fonds (1,56 milliards $) mobilisés sur la même période.
Popularité des solutions « à la ferme »: plus de 65 % des transactions et du volume total des fonds accordés sur les dix dernières années ont été consacrés aux AgTechs « à la ferme », qui offrent des produits directement aux petits exploitants agricoles cherchant à optimiser leurs intrants, leurs pratiques et leur durabilité.
Rôle crucial des bailleurs de fonds commerciaux: les bailleurs de fonds commerciaux, tels que les sociétés de capital-risque, ont joué un rôle majeur dans la croissance de l’écosystème des start-up africaines, y compris l’agriculture. Leur participation aux transactions avec les AgriTechs a augmenté de plus de 300% entre 2019 et 2022, représentant près de 50% de l’ensemble des transactions en 2021.
2023-2024: nouvelle réalité
Eclatement de la bulle: en 2023, la crise du financement en faveur des start-up a entraîné une baisse de plus de 50% du volume total de financement du secteur de l’AgriTech. Le total des fonds mobilisés a chuté d’environ 500 millions $ en 2022 à 215 millions $. Cette période a vu une réduction du financement commercial disponible et une augmentation de la part des transactions sous forme de dette ou de subventions.
Stabilisation à un niveau plus élevé: bien qu’inférieur aux deux années précédentes, le financement de l’AgriTech s’est stabilisé autour de 215 millions de dollars en 2024, ce qui représente une nouvelle baisse environ 50% plus élevée qu’en 2019 et 2020.
Croissance du financement en phase de démarrage: les transactions inférieures à 100 000 dollars ont connu la plus forte croissance au cours des douze derniers mois, représentant 59% des transactions, tandis que les transactions supérieures à 1 million de dollars sont restées stables à environ 20%.
Retrait des bailleurs capital-risqueurs: les transactions des bailleurs de fonds commerciaux ont diminué de plus de 40% au cours des douze derniers mois. Les bailleurs de fonds semi-commerciaux, tels que les institutions de financement du développement (DFI) et les investisseurs d’impact, étant désormais à la tête du flux de transactions. Les bailleurs de fonds semi-commerciaux et non commerciaux privilégient les résultats socio-économiques plus larges, tels que l’inclusion des femmes, l’écologisation des chaînes de valeur, la sécurité alimentaire et le soutien aux moyens de subsistance des petits exploitants agricoles.
Diversification accrue des instruments de financement: la part des actions dans le financement total est passée de 80% à 61%, tandis que les obligations (9%), les titres convertibles (17%) et le financement mixte (13%) ont gagné en popularité.
Baisse de la concentration du financement: la concentration du financement parmi les plus grandes AgriTech a diminué, les 5 premières entreprises se partageant plus équitablement les 60% du volume total de financement.
Importance de la numérisation: les marchés qui ont attiré le plus de financements, comme l’Egypte, le Ghana, le Kenya et le Nigeria, ont également le taux d’inclusion numérique le plus élevé d’Afrique. Cela a contribué à catalyser des financements supplémentaires de la part de bailleurs de fonds non commerciaux dans l’infrastructure publique numérique, stimulant ainsi l’innovation AgriTech pour les petits exploitants agricoles.
L’écosystème AgriTech en Afrique se trouve à la croisée des chemins. Le modèle majoritaire de start-up qui s’appuie davantage sur la propriété intellectuelle, les logiciels ou les produits numériques, telles que les FinTech agricoles et les solutions de conseil numérique, ne semble plus si attrayant pour les investisseurs. Les AgriTech avec un capital lié à des actifs physiques qui comprennent la robotique agricole, la mécanisation et l’équipement, ainsi que la logistique, le transport et l’infrastructure d’entreposage séduisent de plus en plus. Alors qu’elles représentaient 10% du volume total des financements au cours des dix dernières années, cette part est montée à 34% pour les douze derniers mois.
Un signe que les AgriTech doivent se réinventer pour évoluer au cours des dix prochaines années. Une mutation qui devrait également mieux définir le type de financement dont elles ont besoin pour garantir leur succès.
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