Africa-Press – Djibouti. En 2015, la surprenante guérison de l’ancien président des États-Unis et prix Nobel de la paix Jimmy Carter d’un mélanome avancé a révélé au grand jour l’existence d’une nouvelle arme contre des cancers jusque-là incurables. Trois mois après les injections d’un nouvel anticorps, le pembrolizumab, les métastases de ce cancer de la peau disséminées jusque dans son cerveau avaient disparu. L’ancien président, guéri, put même arrêter tous ses traitements. Alors que ses médecins ne lui donnaient que quelques mois à vivre – la chimiothérapie et la radiothérapie étant inefficaces contre la maladie à ce stade -, l’ancien président est finalement décédé centenaire fin 2024 !
L’immunothérapie consiste à réactiver la capacité de notre système immunitaire à reconnaître et à éliminer les tumeurs. Elle repose notamment sur des anticorps qui redonnent la main aux cellules immunitaires quand elles sont inactivées par les cellules cancéreuses. Souvent, celles-ci utilisent en effet des molécules particulières, appelées points de contrôle immunitaire, qui les font passer pour des cellules amies. Des « faux papiers » en quelque sorte, qui trompent le système, de sorte que l’organisme ne cherche même pas à s’attaquer à la tumeur.
Les anticorps de type bloqueur de points de contrôle immunitaire (BPCI) permettent d’inactiver ces molécules et de démasquer ainsi les fraudeuses au radar du système immunitaire. C’est ce qui a permis à l’époque la surprenante guérison de Jimmy Carter. Et c’est ainsi que, depuis 2015, l’utilisation de ces BPCI s’est étendue à des dizaines de cancers différents. En 2022, plus de 74.000 patients en avaient déjà bénéficié en France, pour traiter plus de 17 types de cancers, contre 36.000 en 2019.
Chimiothérapie ou chirurgie peuvent être évitées
« Nous avons une guérison dans environ 20 % des cas, mais ce genre de succès reste très difficile à prédire « , regrette Nicolas Girard, oncologue de l’Institut Curie à Paris. Il dépend à la fois du type de cancer, de l’organisme, et peut-être même du microbiote intestinal du patient. Paradoxalement, les meilleurs résultats sont obtenus avec des cancers très résistants aux traitements classiques, en raison notamment de leurs nombreuses mutations.
C’est le cas des mélanomes à un stade avancé, ou des cancers colorectaux génétiquement instables, un type minoritaire mais peu sensible aux traitements classiques. Ces tumeurs présentent de nombreuses modifications à leur surface qui les rendent très visibles au système immunitaire, pour peu que leurs « faux papiers » soient neutralisés par les BPCI. Pour la première fois, la chimiothérapie est parfois évitée et le traitement arrêté au bout de quelques mois ou années.
Pour d’autres types de cancers avancés auparavant incurables, c’est même la chirurgie qui peut être évitée. Contre les tumeurs pulmonaires, des anticorps comme le pembrolizumab obtiennent parfois des résultats spectaculaires: « Chez 25 % des patients atteints du cancer du poumon majoritaire [dit non à petites cellules], nous voyons les tumeurs disparaître au bout de trois injections d’immunothérapie, au point que se pose parfois même la question d’opérer « , témoigne, étonné, Nicolas Girard.
Nombre d’essais cliniques tentent aujourd’hui de reproduire ces bons résultats sur d’autres cancers tels ceux de l’œsophage, de l’endomètre (muqueuse interne de l’utérus), de l’estomac ou du pancréas. C’est au moins le cas lorsque ces derniers présentent aussi des formes d’instabilité génétique décelables par l’anatomo-pathologie, un examen de microscopie mené sur des échantillons tumoraux. Et même lorsque les cellules cancéreuses se distinguent au contraire par une seule mutation particulière, les BPCI peuvent encore réserver de bonnes surprises, notamment contre certains cancers du sein ou du poumon. « Si nous avons déjà un anticorps capable de reconnaître ces cellules, il les désignera au système immunitaire débloqué par l’injection d’un BPCI « , indique Nicolas Girard.
Une forte réduction des risques de rechute
Comme l’a montré l’exemple du président Jimmy Carter, l’autre avantage majeur de cette stratégie est la forte réduction des risques de rechute du cancer. En effet, les cliniciens se sont aperçus que le système immunitaire, une fois réactivé contre les cellules cancéreuses, acquiert une mémoire antitumorale: « Pour la première fois, nous avons observé un effet vaccinal dans un traitement anticancéreux où le système immunitaire, remobilisé, apprend aussi à reconnaître les cellules à éliminer « , souligne Nicolas Girard.
Avec cette propriété, l’immunothérapie par BPCI offre également un précieux renfort une fois ajoutée aux traitements classiques. « L’injection d’un BPCI avant ou après les traitements classiques va relancer le système immunitaire face à des cellules cancéreuses déjà bien abîmées, ce qui facilitera le développement d’une bonne mémoire immunitaire et réduira les risques de rechute par la suite « , précise l’oncologue.
L’espoir d’une guérison, autrefois bien fragile après avoir eu un cancer, peut devenir réalité. « Aujourd’hui, nous sommes à deux malades sur trois qui sont guéris, contre 50 % dans les années 1990 « , rappelait le Pr Fabrice Barlesi, directeur de l’institut Gustave-Roussy (Villejuif), à l’occasion de la dernière Journée mondiale du cancer. Une proportion qui pourrait atteindre les 80 % d’ici à 2040, selon le spécialiste. Toutes les guérisons ne sont pas dues qu’aux BPCI bien sûr, mais leur champ d’application s’est considérablement élargi, et de plus en plus d’essais cliniques les associent à la chirurgie et aux traitements de chimiothérapie ou de radiothérapie.
Ultime atout de cette approche, les effets indésirables restent limités en comparaison avec ceux des traitements classiques: « Dans la plupart des cas, nous avons peu de problèmes sévères, note Nicolas Girard. Ce que nous voyons le plus souvent, ce sont des thyroïdites que l’on peut traiter. » Il existe aussi de rares cas d’hyperprogression, où le cancer redouble de vigueur après le traitement, et d’autres, encore plus rares, de myocardite fatale… Une surveillance médicale rapprochée reste ainsi nécessaire après les injections.
D’autres points de contrôle immunitaire pourraient être visés
Ces résultats très encourageants ne cessent d’élargir l’horizon thérapeutique offert par les BPCI, alors qu’ils ont été introduits il y a moins de quinze ans. Le nombre d’indications pour le pembrolizumab est passé d’une pour le mélanome en 2014 à des dizaines pour des cancers très variés. D’ailleurs, en 2024, cet anticorps a une nouvelle fois été le médicament le plus lucratif au monde, rapportant près de 30 milliards de dollars au laboratoire pharmaceutique américain Merck.
À ses côtés, une dizaine d’autres anticorps à l’action similaire sont désormais autorisés aux États-Unis et en France. À quoi s’ajoutent des combinaisons parfois très efficaces de deux BPCI complémentaires. Enfin, d’autres points de contrôle immunitaire pourraient être visés pour débloquer l’action des cellules du système immunitaire. « Actuellement, trois sont ciblés par des produits déjà sur le marché français, mais on en connaît 24 autres qui font l’objet d’intenses recherches « , relève Nicolas Girard. L’offensive de l’immunothérapie par BPCI contre le cancer ne fait que commencer.
Un changement de paradigme dans la lutte contre les cancers
La médecine du cancer a débuté au 19e siècle avec la chirurgie pour retirer les tumeurs, s’est poursuivie par l’utilisation des rayons X ou gamma de la radioactivité pour les détruire in situ puis, à partir de la seconde moitié du 20e siècle, au moyen de diverses chimiothérapies, où des produits chimiques toxiques sont injectés aux malades pour tuer les cellules cancéreuses. Ces thérapies ont gagné en précision avec l’injection d’anticorps qui reconnaissent spécifiquement les cellules cancéreuses et orientent l’action du système immunitaire. Des tentatives qui permettent de prolonger et parfois de sauver la vie des patients, mais qui se heurtent à un obstacle majeur: l’extraordinaire capacité des cellules cancéreuses à se défendre par une foule de moyens différents.
Elles peuvent par exemple se dissimuler pour passer inaperçues devant les patrouilles des lymphocytes T cytotoxiques, des cellules normalement capables de les reconnaître et de les éliminer. Dans les années 1990 et 2000, des chercheurs s’aperçoivent que les cellules cancéreuses peuvent aussi désamorcer directement l’attaque des lymphocytes T. Elles enclenchent pour cela des récepteurs à la surface des cellules immunitaires, les points de contrôle immunitaires. Le blocage de deux de ces récepteurs, les protéines CTLA-4 et PD-1, par l’injection d’anticorps peut libérer les cellules immunitaires. Leur découverte a valu en 2018 le prix Nobel de médecine à l’Américain James P. Allison et au Japonais Tasuku Honjo.
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