Africa-Press – Djibouti. L’école An-Najah, considérée comme la première école privée de Djibouti, a été fondée à l’initiative de la communauté arabe (notamment yéménite) établie à Djibouti. Créée sous l’impulsion de Monsieur Ali Coubèche au début des années 30, l’École Franco-Islamique fut la première école dispensant un enseignement bilingue en arabe et en français et ne relevant pas du système scolaire de l’administration coloniale de l’époque.
L’École privée arabophone An-Najah, connue aussi sous le nom d’École franco-islamique, a été fondée en 1931 par Ali Mohamed Coubeche, un entrepreneur et homme d’affaires djiboutien. M. Coubeche (comme les Djiboutiens aimaient l’appeler) était un commerçant qui était très actif dans le commerce maritime et les importations. Il créa cette institution scolaire dans le contexte colonial français de Djibouti (alors Côte Française des Somalis), où l’éducation était dominée par les écoles françaises catholiques ou laïques, qu’il jugeait inadaptées aux populations locales musulmanes.
M. Coubeche fonda l’école pour répondre à un besoin éducatif spécifique: offrir une éducation bilingue avec l’arabe (langue maternelle et ou religieuse de la majorité de la population) comme la principale langue d’enseignement, mais aussi intégrant le français (langue officielle et de l’administration) en tant que langue enseignée. Son objectif était de former une élite locale capable de naviguer entre les cultures française et islamique, tout en préservant les valeurs religieuses et culturelles de la communauté.
Il s’agissait d’une réponse à la marginalisation éducative des populations arabophones et musulmanes sous la colonisation. À cette époque, la plupart des parents ne voulaient pas inscrire les enfants dans les écoles liées à l’administration coloniale. L’école An-Najah permettait ainsi d’offrir une alternative face à la mission catholique d’une part, et de soutenir la présence arabe tout en renforçant la langue, la culture arabe et l’identité islamique parmi les habitants de Djibouti d’autre part.
Il faut aussi rappeler que depuis la construction en 1906 de la première mosquée au centre-ville de Djibouti par le religieux et commerçant arabe Hamoudi, la communauté d’origine yéménite réclamait une école communautaire. Une demande à laquelle avait donc répondu M. Coubeche. Ces deux institutions — l’école et la mosquée — ont eu un rôle fondamental, éducatif et religieux, et ont laissé une empreinte durable dans la société djiboutienne.
Évolution de l’école
Depuis sa création, l’école An-Najah ou « An-Nijahia » a connu une évolution importante, passant d’une petite école communautaire à une institution éducative majeure à Djibouti.
À ses débuts, l’école était modeste, avec quelques classes et un enseignement primaire axé sur la lecture du Coran, l’arabe classique et les bases du français. Elle accueillait principalement des garçons issus de familles musulmanes. Sous l’impulsion de Coubeche, elle s’est développée grâce à des dons et des subventions, devenant un lieu de formation pour les futures élites administratives et commerciales. L’école a adopté un programme d’enseignement arabe dès sa création, avec initialement quatre classes du primaire, puis six classes au début des années 1950.
Après l’indépendance de Djibouti en 1977, l’école a maintenu son statut privé. Elle a élargi son offre éducative, ajoutant des niveaux secondaires et des programmes bilingues plus structurés. Les années 1980 ont vu une augmentation des effectifs, avec l’intégration de filles et une diversification des matières (mathématiques, sciences, histoire islamique). Avec l’expansion des écoles arabes et la disponibilité des programmes scolaires, une section du collège fut ouverte, suivie de l’ouverture du lycée en 2009. Elle propose désormais un enseignement de la maternelle au Lycée, avec des options en sciences et en littérature.
L’école compte aujourd’hui 300 élèves qui sont encadrés par environ une vingtaine d’enseignants. Environ 250 élèves se présentent aux cours du soir pour étudier principalement le français (une spécialité de l’école). L’un des principaux obstacles rencontrés par l’école est le manque d’espace pour mieux répondre aux nouvelles exigences et normes en matière d’offre éducatives comme la création de nouvelles salles spécialisées. Des partenariats avec des institutions françaises et arabes ont également renforcé son rayonnement, tout en préservant son identité islamique (prières quotidiennes, enseignement religieux).
Défis actuels
L’école est de plus en plus confrontée à la concurrence dans un secteur privé qui se développe considérablement à Djibouti. Pendant une très longue période (principalement la période coloniale), l’école An-Najah était le seul établissement scolaire privé et bilingue à offrir une alternative face au système éducatif public. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En général, on observe un développement fulgurant des écoles privées à Djibouti. Et en particulier, les écoles privées arabophones ou bilingues sont de plus en plus nombreuses. On compte actuellement 20 écoles privées arabophones dans le pays qui accueillent environ 7 mille élèves au total. Et les effectifs augmentent chaque année, car de plus en plus de parents font le choix des écoles privées arabophones pour leurs enfants. Une autre des grandes difficultés rencontrées par l’école au cours de son histoire est l’absence d’un programme arabe officiel. Heureusement que l’école, grâce à ses propres ressources et talents, a rédigé en interne (Abdullah ben Ali ben Aidarous) plusieurs manuels scolaires, dont: Daleel al-Fahm fi Ilm al-Rasm (Guide de compréhension en grammaire arabe), les leçons religieuses, Qurrat al-Aynayn fi al-Rihla ila Bilad al-Haramayn (Voyage vers les Lieux Saints). Certains manuels sont aussi importés des pays arabes, ce qui a contribué à renforcer le niveau éducatif de l’école.
Actuellement, un programme officiel est en rédaction par le ministère de l’Éducation nationale. L’arrivée de ce nouveau programme officiel et de nouveaux manuels permettra à l’établissement d’harmoniser ses enseignements.
Malgré tout, l’école s’est adaptée aux défis contemporains en intégrant des méthodes innovantes, des programmes d’échange international et une pédagogie plus inclusive. L’école continue d’assurer sa mission éducative, religieuse et sociale avec détermination. Il faut souligner aussi que l’école bénéficie du soutien constant de la famille Coubeche. Après le fondateur Ali Coubeche, Said A. Coubeche a poursuivi l’œuvre de son père en permettant le développement important de l’école. Sa fille Magda Coubeche a repris aujourd’hui à son tour le flambeau en impulsant une modernisation des infrastructures de l’établissement scolaire.
Impact sur la population
La perception de l’école An-Najah est positive au sein de la population djiboutienne. Elle est vue comme une institution prestigieuse, symbole de la résistance culturelle face à la colonisation. Les parents apprécient son équilibre entre tradition islamique et modernité, la considérant comme une alternative aux écoles publiques parfois surchargées ou aux établissements étrangers moins ancrés localement. Cependant, certaines critiques portent parfois sur son orientation conservatrice, qui pourrait limiter l’ouverture à d’autres cultures. Malgré cela, elle jouit d’une bonne réputation, avec des taux de réussite élevés et une forte demande d’inscription. Elle a joué un rôle crucial dans la préservation de l’identité culturelle et religieuse, ainsi que dans la formation de nombreuses figures influentes du pays. Parmi ses anciens élèves figurent plusieurs personnalités djiboutiennes: l’imam et militant indépendantiste Sheikh Osman, Abdallah Mohamed Kamil (ancien Premier ministre de Djibouti), Rifqi Abdoulkader Bamakhrama (ancien ministre du commerce et e la culture), Moumin Sheikh, (ancien ministre de l’intérieur), Dr. Ahmed ben Ali Al-Saqqaf (médecin pédiatre), Colonel Waïs Omar Bogoreh…etc. L’école a eu un rôle pionnier dans l’éducation et l’éveil du peuple, en inculquant des valeurs de paix, de patriotisme (notamment sous la direction du directeur M. Ali Aboubakr Al-Saqqaf).
L’école An-Najah a une valeur historique majeure à Djibouti, dans la Corne de l’Afrique et même au Yémen. En plus de son rôle d’enseignement, l’école a également offert divers services communautaires, tels que l’accueil historique de réfugiés palestiniens arrivés à Djibouti en 1948, l’année de la Nakba.
Nouvelles ambitions?
L’école An-Najah ambitionne de s’adapter aux évolutions globales en renforçant son offre et en développant des partenariats avec des universités internationales pour des programmes post-bac. Elle vise également à étendre son influence régionale, en formant plus de leaders bilingues. Des projets incluent la création de filières en sciences appliquées et en entrepreneuriat, pour répondre aux besoins économiques de Djibouti. L’école conserve une place importante de nos jours. Dans un pays où l’éducation bilingue est stratégique pour l’emploi et l’intégration régionale (Djibouti étant un hub logistique entre Afrique, Moyen-Orient et Europe). Elle représente un modèle hybride qui influence les politiques éducatives nationales. Face à la concurrence de plus en plus accrue des écoles privées, elle doit maintenir sa pertinence en préservant son identité unique, assurant sa survie et son rayonnement pour les générations futures.
L’école An-Najah a eu un impact profond sur la société djiboutienne. Elle a formé des générations de leaders, dont des politiciens, des diplomates, des entrepreneurs et des intellectuels, contribuant à l’émergence d’une classe moyenne éduquée. Sur le plan culturel, elle a promu le bilinguisme, facilitant l’intégration des Djiboutiens dans les sphères francophones et arabophones, et renforçant l’identité islamique dans un pays majoritairement musulman sunnite.
Économiquement, elle a stimulé l’éducation des femmes et des minorités, réduisant les inégalités éducatives. Socialement, elle a servi de modèle pour d’autres écoles privées, encourageant une éducation respectueuse des valeurs locales tout en préparant aux défis mondiaux.
L’école An-Nahah représente bien plus qu’une simple école: c’est une histoire de Djibouti. C’est une idée devenue réalité, un héritage culturel vivant à transmettre aux générations futures, et une histoire de lutte avec pour arme l’éducation — un rappel que l’identité se construit par le savoir, la foi et la persévérance.
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