Africa-Press – Djibouti. Guerre dans le Sahel et en RDC, crise alimentaire, zone de libre-échange continentale : les dossiers brûlants ne manquent pas en cette mi-février pour l’UA.
Le 36e sommet des chefs d’État de l’Union africaine se tient à Addis-Abeba, la capitale de l’Éthiopie, ces 18 et 19 février. Au moins 35 présidents et quatre Premiers ministres y participeront, selon le gouvernement éthiopien. Consacré notamment aux violences meurtrières au Sahel et en République démocratique du Congo, violences qui préoccupent « profondément » l’ONU, sans oublier le projet de zone de libre-échange continentale et la question des crises alimentaires sur un continent confronté à une sécheresse historique, ce sommet s’annonce comme celui de tous les défis.
« L’Afrique a besoin d’action pour la paix », a exhorté devant l’assemblée de l’UA le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, évoquant notamment la situation au Sahel et dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC). En amont du sommet, des échanges ont eu lieu vendredi sur la situation dans l’est de la RDC en proie aux groupes armés, notamment dans la zone frontalière du Rwanda, en présence du chef de l’État congolais Félix Tshisekedi et de son homologue rwandais Paul Kagame. Lors de cette réunion, des chefs d’État de la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC), constituée de sept pays, ont appelé à un « retrait de tous les groupes armés » d’ici au 30 mars. À propos de l’Éthiopie, son Premier ministre, Abiy Ahmed, hôte du sommet, a loué devant l’assemblée l’accord de paix signé, sous l’égide de l’UA, entre son gouvernement et les rebelles de la région du Tigré, qui a permis, selon M. Abiy, de faire « taire les armes ».
Autre dossier : le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, trois pays dirigés par des militaires issus de coups d’État, à la suite desquels ils ont été suspendus de l’UA, ont envoyé des délégations à Addis-Abeba pour plaider la levée de ces suspensions. Vendredi, Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’UA, avait déclaré à l’AFP que le conseil « paix et sécurité » de l’institution se réunirait, à une date non précisée, pour décider d’une éventuelle levée de la suspension de ces trois pays. Samedi, Moussa Faki Mahamat a affirmé que « ces sanctions ne semblent pas produire les résultats escomptés ».
Sur le versant économique, le sujet central est la zone de libre-échange continentale africaine (Zlec) qui doit réunir 1,4 milliard de personnes et devenir le plus grand marché mondial en termes de population. Le sommet portera, notamment, sur « l’accélération » de la Zlec, destinée à favoriser le commerce au sein du continent et attirer des investisseurs. Précision : pour l’heure, le commerce intra-africain ne représente que 15 % des échanges totaux du continent. Selon la Banque mondiale, d’ici à 2035, l’accord permettrait de créer 18 millions d’emplois supplémentaires et « pourrait contribuer à sortir jusqu’à 50 millions de personnes de l’extrême pauvreté ». Son PIB combiné s’établit à 3 400 milliards de dollars, selon l’ONU. Mais des divergences demeurent sur le continent. Tous les pays de l’UA, à l’exception de l’Érythrée, y ont adhéré, mais les discussions achoppent sur le calendrier des réductions des droits de douane, notamment pour les pays les moins développés. M. Guterres a estimé que la Zlec « représente une voie véritablement transformatrice vers la création d’emplois et de nouvelles sources de prospérité pour les Africains ».
Par ailleurs, Azali Assoumani, président des Comores, petit archipel de l’océan Indien d’environ 850 000 habitants, a pris la présidence tournante de l’UA, à la suite de Macky Sall, le chef de l’État sénégalais qui, avant de passer la main, a présenté un rapport sur les crises alimentaires, sur un continent durement touché par les conséquences – notamment la flambée des prix – de la guerre en Ukraine. « Notre organisation vient de prouver au monde sa conviction que tous les pays ont les mêmes droits », s’est félicité le président comorien qui a plaidé pour une « annulation totale » de la dette africaine.
Cela dit, le chef de l’État comorien « aura besoin du soutien d’autres dirigeants africains pour assumer son mandat, compte tenu du poids diplomatique limité du pays », note l’ONG International Crisis Group (ICG). En attendant, sa présidence de l’UA n’est pas accueillie avec joie par tout le monde. L’arrivée d’Azali Assoumani est « un échec », estime auprès de l’AFP Mahamoudou Ahamada, avocat et candidat à la présidentielle de 2019. « Seuls les dictateurs africains insoucieux de leurs populations respectives peuvent être enchantés de cette nomination. » Mais, selon le conseiller diplomatique du chef de l’État, Hamada Madi, cette nomination est au contraire le résultat de « la persévérance » d’Azali Assoumani et voir « l’Union des Comores sur le toit de l’Afrique est tout simplement magnifique ».
Mais qui est vraiment Azali Assoumani, premier Comorien à prendre la présidence tournante de l’organisation panafricaine ?
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est controversé. Présenté comme quelqu’un qui aime le pouvoir pour n’avoir pas hésité à jeter ses opposants en prison et à changer la loi pour rester au palais présidentiel de Beit-Salam, cet ancien chef d’état-major de l’armée, né le 1er janvier 1959, a été formé à l’Académie royale militaire marocaine de Meknès (1978-1981) et à l’École de guerre de Paris (1985-1986).
Azali Assoumani a surgi sur la scène politique comorienne en 1999 à la faveur d’un des nombreux coups d’État qui ont agité le petit archipel de l’océan Indien depuis son indépendance de la France en 1975. Se présentant comme un « profond démocrate », il a expliqué à l’époque s’être emparé du pouvoir uniquement pour éviter une guerre civile, en pleine crise séparatiste avec l’une des îles de ce pays pauvre d’environ 900 000 habitants. La suite va démentir cette affirmation, car il a semblé avoir vraiment pris goût au pouvoir. Se représentant en 2002, il ne rendra les clés du pays aux civils qu’en 2006, à contrecœur, en vertu d’une Constitution qui établit une présidence tournante entre les trois îles de l’Union (Grande Comore où il est né, Anjouan et Mohéli). Il se retirera alors sur ses terres et deviendra agriculteur. Mais loin du pouvoir, l’homme s’ennuie et s’estime « au chômage »…
En 2016, l’appel est trop fort et Azali Assoumani se représente à la fonction suprême. Défiant les pronostics, il remporte un scrutin chaotique et contesté. Quitter le pouvoir « a été une erreur » qu’il ne répétera pas, a-t-il un jour confié à un diplomate en poste dans la capitale Moroni. De retour au palais présidentiel, il élimine en quelques mois tous les obstacles : dissolution de la Cour constitutionnelle, modification de la Constitution pour étendre d’un à deux mandats la durée de la présidence tournante, et élection anticipée en 2019. Résultat : la prochaine présidentielle aura lieu l’an prochain et s’il est réélu, Azali Assoumani régnera jusqu’en 2029. Sur sa route vers le pouvoir, il a aussi fait arrêter ses principaux opposants, dont l’ancien président Ahmed Abdallah Sambi pour corruption. En détention préventive pendant plus de quatre ans, M. Sambi a finalement été condamné en novembre à la prison à vie pour haute trahison, au terme d’un procès dénoncé comme inéquitable.
Ses détracteurs aiment rappeler un épisode peu glorieux de sa carrière militaire. En 1995, retranché à la radio nationale assiégée par les mercenaires du Français Bob Denard, il a abandonné ses hommes en plein combat : « Tenez bon, je vais chercher des renforts », aurait-il promis avant de courir se réfugier à l’ambassade de France à Moroni. Bon tribun, le colonel marié et père de quatre enfants s’est autoproclamé imam après 2016. Selon ses proches au pouvoir, « il est convaincu que ce qui lui arrive est d’ordre divin ».
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