Africa-Press – Djibouti. Après s’être abstenue lors du vote de l’ONU en octobre dernier concernant l’annexion des territoires ukrainiens par la Russie, l’Afrique du Sud, grande puissance régionale du continent et membre des BRICS, a récemment accepté de prendre part à des exercices navals conjoints avec la Chine et la Russie. Une décision pas si étonnante que ça car, même un an après le début de la guerre le 24 février 2022, les pays africains qui représentent plus d’un quart des voix à l’Assemblée générale des Nations unies, peinent à se positionner ouvertement en faveur d’un camp plutôt qu’un autre. Le risque économique sous-jacent serait trop élevé alors que le continent paie déjà les pots cassés du conflit.
Pour Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, les combats en Ukraine et les sanctions sans précédent imposées à la Russie « ont des conséquences considérables, et arrivent à un moment délicat pour l’Afrique ». En effet, la crise du Covid-19 a mis à mal des décennies de gains macroéconomiques, socioéconomiques et de gouvernance : pour la première fois en l’espace de trente ans, l’indice de développement humain (IDH) de l’Afrique a chuté à 0,53 en 2022 contre 0,56 en 2019**, d’après le programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Selon les derniers chiffres de la Banque africaine de développement (BAD), environ 50 millions d’Africains vivent dans l’extrême pauvreté – soit 15 millions de personnes supplémentaires en 2022.
Ralentissement de la croissance
Avant la pandémie, les pays africains figuraient parmi ceux qui connaissaient le taux de croissance économique le plus rapide au monde. La guerre en Ukraine, déclenchée au moment où les économies commençaient doucement à se relever, a freiné le développement et la relance économiques.
Selon le rapport de la BAD du 19 janvier dernier, la croissance moyenne estimée du PIB réel sur le continent a ralenti, passant de 4,8 % en 2021 à 3,8 % en 2022, mais devrait se stabiliser autour de 4 % en 2023–2024. Même si l’Afrique a su faire preuve de résilience face à la pandémie et à la guerre, les effets néfastes de ces chocs exogènes sont toujours bien visibles.
Moins de revenus, plus de dépenses
Les recettes commerciales et fiscales des gouvernements africains ont diminué, alors qu’ils sont contraints de dépenser plus pour les filets de sécurité sociale et les subventions diverses liées à la hausse du coût de la vie. « On demande aux pays de dépenser plus avec moins d’argent », expliquait la sous-secrétaire générale de l’ONU, Ahunna Eziakonwa à l’Institut américain pour la paix le 14 juin dernier. « Les réponses budgétaires et monétaires des pays africains ont considérablement augmenté leur taux d’endettement public », faisait-elle remarquer, comme le cas en Afrique du Sud (69 % du PIB), au Ghana (85 %), au Maroc (90 % ), au Bénin (49 %) ou en Tunisie (78 %).
Or, toujours selon Ahunna Eziakonwa, l’Afrique, lourdement endettée, « emprunte à un coût beaucoup plus élevé que le reste du monde ». Une situation qui s’explique notamment par un accès de plus en plus difficile aux places financières internationales, une augmentation de l’aversion au risque du côté des investisseurs et des notations de crédit de plus en plus dégradées. D’après le Pnud, « des notations de crédit biaisées pourraient coûter à six pays africains 13 milliards de dollars en paiements d’intérêts supplémentaires ».
Inflation alimentaire
Bien que le niveau des échanges commerciaux entre le continent et la Russie et l’Ukraine soit négligeable, certains pays africains en dépendent fortement pour des importations critiques comme des oléagineux, des engrais ou de l’acier. À titre indicatif, rien qu’en 2020, les pays africains ont importé l’équivalent de 4 milliards de dollars de produits agricoles de Russie et 2,9 milliards de dollars d’Ukraine. D’après les données de la Cnuced, la Russie et l’Ukraine alimentent respectivement 32 % et 12 % des besoins en blé du continent.
Concernant le blé, le Nigeria, quatrième importateur mondial, en achète 25 % à l’Ukraine et à la Russie, quand le Bénin et la Somalie en dépendent à 100 %. Des pays comme le Soudan, l’Ouganda et la Tanzanie leur achètent près de la moitié de leurs importations. Pourtant, les effets inflationnistes ne se limitent pas aux produits en provenance de ces pays en guerre, car ce sont toutes les structures mondiales d’échanges et de production qui sont touchées. Sans oublier la crise des engrais qui a entraîné une réduction de la production alimentaire, jusque dans les économies en développement.
Selon le rapport de la BAD, « l’inflation moyenne des prix à la consommation a augmenté de 0,9 points pour atteindre 13,8 % en 2022 contre 12,9 % en 2021, soit le niveau le plus élevé depuis plus d’une décennie ». L’impact est tel que, selon la Banque mondiale, la hausse du prix des produits de base sera ressentie au moins jusqu’en 2024. Ce choc inflationniste durera tant sur le front alimentaire que sur le front énergétique, avec des pics inédits jamais recensés depuis la crise pétrolière de 1973.
Une inflation alimentaire conséquente
En moyenne, à l’échelle du continent et conformément aux données compilées du dernier rapport du Famine Early Warning System Network et de la FAO, le prix du maïs a augmenté de 80 %, de 50 % pour la farine, de 40 % pour le riz, de 37 % pour l’huile, de 30 % pour la volaille, de 20 % pour les oranges et de 10 % pour les tomates…
Prix de l’énergie
Les évolutions spectaculaires des prix de l’énergie, assignables directement et indirectement à la guerre en Ukraine, ont fait craindre le pire en 2022. Si en 2023, la situation semble s’être stabilisée avec le plafonnement du prix du pétrole brut par le G7 à 60 dollars américains le baril, rien n’est figé puisque ce prix est susceptible d’être modifié en fonction des évolutions du marché. Pour autant, et selon les déclarations de la Secrétaire du Trésor des États-Unis, Janet Yellen, qui rentre d’une tournée africaine, « le continent économise 6 milliards de dollars par an grâce à la limitation du prix des hydrocarbures russes ». D’autant qu’un nouveau plafond sur les produits pétroliers raffinés russes, tels que le diesel et le mazout, est entré en vigueur le 5 février.
Un appel d’air pour les économies africaines qui, malgré leurs ressources en hydrocarbures bruts – notamment pour l’Afrique subsaharienne qui produit plus de pétrole qu’elle n’en consomme -, continuent d’importer les produits finaux et transformés.
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