Africa-Press – Djibouti. À une demi-heure de route de la ville de Xi’an, ancienne capitale de la Chine impériale, les vergers défilent sur les côtés. Des bus déversent inlassablement leur cohorte de visiteurs devant l’entrée du site archéologique de l' »armée de terre cuite » et ses milliers de guerriers figés. À environ un kilomètre de là, au cœur du mausolée de Qin Shi Huang (premier empereur de la Chine, 259-210 avant J.-C.), les archéologues chinois ont extrait un cercueil scellé de 16 tonnes.
La tombe qui l’abritait fait partie d’un ensemble de neuf chambres funéraires, localisées au pied de la sépulture de l’empereur. Jusque-là, les autorités chinoises avaient interdit l’accès à ces tombes, préférant les léguer intactes aux générations futures. Mais ces dernières années, des pluies diluviennes ont menacé d’endommager l’un des caveaux, qui a finalement été ouvert. Les chercheurs y ont trouvé des arbalètes, épées, armures et autres pièces en jade et petites figurines – dont un chameau en or -, ainsi qu’environ 6000 pièces de monnaie en bronze. Un trésor digne d’un haut dignitaire.
La position de la tombe à proximité du tumulus impérial indique qu’il s’agit d’un proche de Qin Shi Huang. L’analyse de fragments de crâne, d’os du fémur et d’une dent a démontré au début des années 2020 que le squelette est celui d’un jeune homme d’une vingtaine d’années, en bon état de santé. Ce faisceau d’indices semble conduire les archéologues sur la piste du prince Gao, l’un des fils de Qin Shi Huang. Si cette piste se vérifie, cela attesterait l’authenticité des récits rapportés par le Shiji, première somme de l’histoire de la Chine.
Ses 130 volumes ont été rédigés de 109 à 91 avant J.-C. par l’historien Sima Qian à partir des archives historiques de l’époque, ainsi que des témoignages et traditions orales recueillis au cours de ses nombreux voyages aux quatre coins de l’empire. Il relate notamment, à 200 ans de distance, l’avènement et le court règne de la première dynastie Qin. Cette chronique historique, parfois soupçonnée d’être légendaire, s’est éclairée d’un jour nouveau il y a cinquante ans.
En ce printemps 1974, les terres fertiles de Xianyang subissaient une sécheresse sévère. Les agriculteurs décidèrent d’y remédier en creusant des puits. La houe d’un paysan toucha soudain un objet en terre cuite. Croyant qu’il s’agissait d’une jarre, Yang Zhifa dégagea la terre avec précaution, mettant au jour le corps d’une statue sans tête. Cette découverte, dont la nouvelle parvint bientôt aux oreilles d’archéologues chinois, fut le point de départ d’un vaste chantier de fouilles qui continue aujourd’hui.
Villages et champs agricoles ont peu à peu laissé place à de vastes halls d’exposition, des parkings et des magasins de souvenirs. Un demi-siècle de recherches a permis de localiser à ce jour quelque 600 fosses formant un impressionnant complexe de voûtes souterraines, l’un des plus grands sites funéraires au monde. Seules trois fosses sont aujourd’hui ouvertes au public qui s’écoule en foules denses autour de l’armée de terre cuite, tandis que le travail archéologique s’y poursuit.
La première fosse, la plus vaste, offre à voir des milliers de soldats d’infanterie dressés en trois rangées de troupes légèrement armées à l’avant, mais protégées sur les flancs et à l’arrière par une rangée de guerriers lourdement blindés. Des analyses en cours montrent que les troupes de fantassins sont disposées en formations identifiables par leur coupe de cheveux, ces dernières étant associées à l’arme portée. Cette distinction capillaire aurait permis aux généraux d’identifier aisément les forces dont ils disposaient sur le champ de bataille. La seconde fosse, en grande partie inexplorée, abrite l’unité des « forces spéciales » comprenant les divisions d’arbalétriers, de cavalerie et de chars. La troisième fosse, explorée dans les années 1980, héberge le centre de commandement de l’armée composé d’officiers de haut rang.
Chaque soldat est façonné en taille réelle
À ce jour, plus de 2000 soldats en terre cuite ont été exhumés. Mais les archéologues estiment que les trois fosses abritent environ 8000 statues de soldats et officiers, 130 chars tirés par 520 chevaux et 150 chevaux montés par des cavaliers. Chaque soldat, façonné en taille réelle, est unique, se différenciant par les traits du visage, la coiffure, les vêtements, l’âge ou la corpulence. Les chevaux, sculptés avec un grand réalisme, présentent aussi des particularismes.
De nombreuses armes en bronze jonchent les fosses: arcs et arbalètes, épées, lances, haches, etc. Enterrées pendant plus de deux mille ans, elles ont néanmoins gardé leur tranchant, protégées par un revêtement antirouille. Cette armée enfouie sous trois mètres de terre était vraisemblablement destinée à défendre l’empereur dans le monde des morts.
Non loin de là, les chercheurs ont déterré une tout autre statuaire composée de musiciens et acrobates en terre cuite, de grues, canards et cygnes en bronze, sans doute destinés à l’agrément de Qin pour l’éternité. La surface du site archéologique est généralement estimée à 56 km2 – par comparaison, la Vallée des Rois en Égypte couvre une surface de 5 km2 -, mais il pourrait s’étendre bien au-delà.
En son cœur s’élève le tumulus du tombeau impérial, haut de 76 mètres. Selon la légende rapportée par le Shiji, il aurait été conçu comme une réplique miniature de l’Univers. Son plafond orné de joyaux reconstituerait la voûte céleste, tandis qu’au sol, des rivières et mers de Chine feraient miroiter leurs ondes de mercure liquide, un élément alors considéré comme un élixir de vie.
Une étude publiée en 2020 par Guangyu Zhao, de l’université normale de Chine du Sud à Guangzhou, a enregistré la teneur en mercure atomique de l’air autour du tumulus. « Nos mesures, effectuées dans trois endroits différents, indiquent des niveaux élevés de mercure atmosphérique, avec des localisations qui sont en corrélation avec les résultats d’échantillonnages de sol in situ précédents, indique l’auteur de l’étude. Il est possible que du mercure très volatil s’échappe par des fissures qui se sont développées dans la structure au fil du temps. »
Fixer les couleurs des guerriers
Lorsque les guerriers de terre cuite sont exhumés, ils arborent des couleurs vives qui s’écaillent dès leur exposition à l’air libre. En cause, leur mode de préparation destiné à l’ensevelissement éternel. Après cuisson, ils ont en effet été laqués d’une sous-couche de résine extraite du sumac de Chine, sensible aux changements d’humidité.
Dans les années 1990, des chimistes allemands de l’université de Munich ont mis au point une solution de polymères synthétiques – le polyéthylène glycol – capable de pénétrer dans les pores de la laque et de lier, à l’instar de l’humidité, la surface polychrome à la terre cuite. Aujourd’hui, les chercheurs usent de la spectrométrie de fluorescence X pour identifier les pigments originaux en vue de reconstituer, à terme, les couleurs et motifs d’origine.
Les derniers ouvriers auraient été emmurés vivants
Ce seul fait – le mercure est toxique – explique en partie pourquoi ce tombeau demeure inviolé. Le Shiji évoque aussi la présence de pièges installés pour tuer les profanateurs, dont des arbalètes automatiques. Les archéologues veulent par ailleurs préserver de la destruction d’éventuels matériaux fragiles – parchemins, soieries, etc. Une protection qui aura manqué aux tombes Ming qui, dans les années 1960 près de Pékin, ont vu leurs précieux contenus gravement endommagés par l’air et la lumière lors de leur ouverture.
Or, la tombe de Qin contiendrait, outre des bijoux et objets d’art, des modèles réduits de palais et bâtiments qui composaient la capitale de la Chine de son vivant. Pour que les secrets de ce mystérieux tombeau soient préservés, les derniers ouvriers qui participèrent à y enterrer l’empereur y auraient été emmurés vivants.
Au fil des campagnes de fouilles, le site a livré des bribes de son histoire. Des fosses communes ont révélé leur funeste contenu d’ossements d’artisans, ouvriers et autres prisonniers qui ont perdu leur vie au cours d’un chantier de près de quatre décennies, qui aurait mobilisé quelque 700.000 personnes. À proximité du tombeau de l’empereur ont été retrouvés les restes mutilés de plusieurs femmes mêlés à des perles fines et autres pièces d’or, indices de leur haut rang. Il pourrait s’agir de quelques-unes des 48 concubines de Qin Shi Huang qui auraient été sacrifiées après sa mort, selon le Shiji.
Cette chronique nous raconte aussi la conspiration orchestrée à cette même époque par deux hauts fonctionnaires, notamment Zhao Gao, un eunuque influent, pour placer sur le trône Ying Huhai, le plus jeune et malléable des fils de l’empereur. Zhao Gao fit ensuite régner un climat de terreur qui précipita la chute de la dynastie Qin et fit sombrer l’empire dans la guerre civile. Cette période de violences fut le théâtre de l’assassinat des nombreux frères de l’usurpateur.
Des squelettes d’hommes exhumés avec des attributs impériaux et des traces de blessures à bout portant pourraient être les dépouilles de ces jeunes princes. Le prince Gao pourrait en faire partie, tout en étant traité avec plus d’égard dans une mort qu’il aurait négociée en vue de reposer auprès de son père. Aujourd’hui, les archéologues estiment qu’ils n’ont achevé qu’un sixième des investigations du site, un ouvrage regardé par les Chinois comme un chantier scientifique multigénérationnel.
Aux origines de l’empire du Milieu
Né en 259 avant J.-C., le jeune Ying Zheng prend les rênes du pouvoir du royaume de Qin à 21 ans. En près de dix ans, il met fin à des siècles de guerres en conquérant les six royaumes rivaux et en les unifiant sous un seul gouvernement centralisé. En 221 avant J.-C., il s’autoproclame « Premier Empereur de Chine » – Qin Shi Huang en chinois. Qin, qui se prononce « chine », a donné son nom à l’empire du Milieu.
Durant son court règne, il unifie les poids et mesures, la monnaie et les écritures, fait construire un réseau routier et un système de canaux pour relier les régions de l’empire. Autant de mesures qui facilitent le commerce et les communications. Pour protéger le nord de son territoire, il lance la construction de la Grande Muraille. Mais le premier empereur est aussi un despote qui instaure un système juridique sévère pour maintenir l’ordre, commet des actes de tyrannie contre les opposants et les intellectuels confucéens, et des autodafés de livres pour effacer le passé.
Alors qu’il a lancé la construction du mausolée, le souverain en quête d’immortalité envoie des émissaires sur les routes et par les mers pour lui rapporter un élixir de longue vie. Las, il meurt de cette quête à l’âge de 49 ans.
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