Climat : « La transition électrique est le défi de la prochaine décennie »

2
Climat :
Climat : "La transition électrique est le défi de la prochaine décennie"

Africa-Press – Djibouti. Alors que les Français sont invités à donner leur avis jusqu’au 5 avril 2025 sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) couvrant la période 2025-2030, la Commission européenne voit s’élever une vive contestation de ses engagements de réduire de 55% ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050. L’objectif est en effet très ambitieux alors que le continent doit faire face à une politique de réarmement à marche forcée devant la menace russe et le retrait de l’administration du président américain Donald Trump. L’industrie européenne est par ailleurs confrontée à la concurrence chinoise et aux taxes sur les produits étrangers imposées par les États-Unis. Ces difficultés ne doivent pas détourner les États européens de leurs objectifs climatiques du fait des importants bénéfices économiques, sanitaires, sociaux qu’ils peuvent en tirer, prévient Andreas Rüdinger, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Sciences et Avenir: La PPE française en cours de consultation respecte-t-elle les engagements de l’Union européenne en matière de transition énergétique ?
Andreas Rüdinger: L’État français a transmis son « plan énergie climat » à Bruxelles dès 2023, la PPE ayant connu des retards et des atermoiements dus aux divers changements de gouvernement et à la dissolution de l’Assemblée nationale. La Commission européenne a émis quelques observations mais dans l’ensemble, le plan a été jugé ambitieux et cohérent. L’objectif de réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre de l’Union est très élevé. La France s’est engagée à 50% de réduction des émissions brutes (c’est-à-dire excluant les puits carbone issus de forêts, sols et zones humides). Pour arriver à 42% de part d’énergie renouvelable dans le mix énergétique français, il va falloir multiplier par 5 la capacité installée du photovoltaïque et par 2 celui de l’éolien.

Au niveau européen, le plan RePowerEU prévoit que la part des énergies renouvelables atteigne 70 % du mix électrique dès 2030, contre 47 % en 2024. Au niveau des États membres,14 pays ont annoncé vouloir atteindre une part renouvelable comprise entre 70 % et 100 % de leur mix électrique à l’horizon 2030, et 25 devraient atteindre plus de 70 % d’électricité bas carbone. Pour le photovoltaïque, il faudra atteindre en moyenne sur les 7 prochaines années le rythme de développement record atteint en 2023, à savoir 56 gigawatts (GW). Pour l’éolien, cela signifie un doublement du rythme de croissance observé en 2023, à savoir passer de 16 à 33 GW par an, avec il est vrai, l’arrivée des parcs éoliens offshore.

« La lutte contre le changement climatique a été contrariée par des aléas puissants en très peu de temps »
On a craint des pénuries d’électricité en 2022 et en 2024, EDF a battu tous les records d’exportation. Comment dans ces conditions aussi changeantes d’une année à l’autre dessiner une trajectoire crédible d’électrification des usages ?

Il est vrai que la lutte contre le changement climatique a été contrariée par des aléas puissants en très peu de temps. Se sont succédé la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine, l’élection d’un président climato-sceptique aux États-Unis. En 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait exploser le prix du gaz naturel provenant par pipeline de Russie, mettant en exergue à la fois les faiblesses du marché européen de l’énergie (le coût du kilowattheure étant indexé sur la dernière centrale appelée pour équilibrer offre et demande, généralement fonctionnant au gaz) et la dépendance énergétique de l’Union européenne à la Russie. Au même moment, une grande partie du parc nucléaire français était soit en maintenance au sein du programme de « grand carénage » de prolongation de la durée de vie des réacteurs, soit touché par le défaut systémique dit de corrosion sous contrainte. Deux ans plus tard, les réacteurs nucléaires fonctionnent normalement, la production des énergies renouvelables a fortement augmenté et, surtout, les politiques de sobriété ont fait baisser la demande. La France a ainsi battu son record d’exportations nettes d’électricité en 2024, avec 89 térawattheures (TWh), soit plus que la consommation de la Belgique! On constate même parfois des prix négatifs sur le marché de l’électricité !

D’autres soubresauts vont certainement impacter les systèmes énergétiques. Mais il n’y a qu’une trajectoire possible si l’on veut maintenir la température de la planète en dessous de 2°C de hausse: la sortie des énergies fossiles par l’électrification des usages. Les scénarios de la Fédération européenne des opérateurs de réseaux de transmission d’électricité et de gaz prévoient une hausse de la demande électrique de 10 à 25 % d’ici 2030. En France, les objectifs de la PPE prévoient de rajouter l’équivalent de la production d’un réacteur EPR (environ 12 TWh) chaque année en termes de consommation d’électricité d’ici à 2035 En matière de transition, on s’intéresse toujours en priorité aux coûts immédiats sans regarder les bénéfices à long terme. La sortie des énergies fossiles, c’est pour l’Europe conquérir son indépendance énergétique, ne plus dépendre de pays extérieurs pour le prix de ces commodités, améliorer la qualité de l’air dégradée par la combustion de pétrole et de gaz, défendre le pouvoir d’achat des citoyens en stabilisant les dépenses de transports et de chauffage. L’investissement massif dans les renouvelables est ainsi plus que justifié, surtout en regardant les choses par le prisme européen: grâce au marché interconnecté, chaque kilowattheure (kWh) bas-carbone (nucléaire ou renouvelable) produit mais non consommé en France, permet de remplacer un kWh d’électricité fossile (gaz ou charbon) dans les pays voisins.

Les constructeurs automobiles contestent la fin de la vente des voitures thermiques en 2035 et le marché des pompes à chaleur qui doivent remplacer les chauffages au fioul et au gaz s’est effondré en 2024. Comment expliquer cet affaiblissement du mouvement d’électrification ?

La lutte contre le changement climatique connaît-elle son « backlash » (relâchement) ? La politique du « green deal » adoptée au début du premier mandat d’Ursula von der Layen en 2019 est aujourd’hui vivement attaquée. Au Parlement européen, les partis de droite et d’extrême droite ont gagné des sièges lors des dernières élections européennes. Or ces partis contestent les politiques menées, notamment en faveur des énergies renouvelables et d’électrification de la mobilité. Cela pousse certains secteurs à tenter d’échapper à leurs responsabilités. C’est le cas des constructeurs automobiles qui estiment qu’ils ne peuvent répondre à leurs objectifs de production de véhicules électriques et contestent la fin de la mise en marché des voitures thermiques neuves en 2035. Mais ces constructeurs européens ont perdu beaucoup de temps pour adapter leurs usines alors qu’ils connaissaient les objectifs et les échéances. Pendant cette période, les constructeurs chinois, eux, ont investi en masse le marché de la petite voiture électrique. Le secteur de l’habitat, lui, est victime des atermoiements budgétaires de l’État français. La réduction des aides comme MaPrimRenov’ dans le budget 2024 a ravagé le marché de la rénovation, alors qu’il faudrait un effort constant et pérenne.

Les panneaux solaires proviennent principalement de Chine, qui s’intéresse également au marché de l’éolien, tout en étant le principal producteur de batteries et de véhicules électriques. Doit-on redouter une mainmise de ce pays sur le système énergétique européen ?

La Commission européenne a adopté un projet d’industrialisation verte qui vise à la fois à décarboner les principales activités industrielles (ciment, acier, verre) et à réinstaller en Europe les productions de batteries ou de panneaux solaires. Des « gigafactories » vont sortir de terre les prochaines années. Pour les panneaux, il faut relativiser. Les produits chinois sont en effet très peu chers, ce qui fait que la valeur ajoutée n’est plus dans le panneau en lui-même mais dans les travaux d’installation. Les panneaux représentent 25% du coût d’un projet contre 75% pour les entreprises qui les installent et les gèrent: dans tous les cas, la valeur ajoutée créée profite à l’économie locale.

« Le grand défi de ces prochaines années, c’est la flexibilité »
Le nouveau gouvernement allemand va décider de rompre avec la politique d’interdiction de déficit du budget de l’État. Il s’agit principalement de financer le réarmement du pays. La politique climatique peut-elle cependant en profiter ?

En dépit du ralentissement économique et des incertitudes politiques, le développement des énergies renouvelables a connu une accélération sans précédent en Allemagne ces dernières années. En 2024, plus de 16 GW de puissance d’énergie solaire ont été raccordés contre 6 GW en France. Les ENR ont atteint près de 60 % de la production d’électricité en 2024, doublant leur part en 10 ans. Le charbon ne représente plus que 21% du mix énergétique. L’objectif d’atteindre un mix électrique à 80 % renouvelable en 2030 (et neutre en carbone d’ici à 2035) reste toutefois très ambitieux. On estime à 1400 milliards d’euros entre 2024 et 2030 les besoins en investissement, dont le déclenchement dépendra en grande partie d’incitations gouvernementales. La décision de ne plus respecter la règle d’interdiction de tout déficit public a certes été provoquée par les besoins de réarmement face à la menace russe et au risque de désengagement américain en Europe, mais la transition énergétique devrait également en profiter.

Avec 70% du mix électrique issu d’énergies renouvelables intermittentes, y a-t-il des risques de rupture d’approvisionnement ?

C’est ce qui est affirmé actuellement par des associations pro-nucléaire et anti-énergies renouvelables. En réalité, les études menées par RTE montrent qu’un mix énergétique uniquement composé de ces sources intermittentes est techniquement possible, quoique plus onéreux qu’un mix comportant une part de nucléaire. Quelques voix affirment également qu’au vu d’une consommation électrique en baisse actuellement, investir autant dans les énergies renouvelables est inutile. C’est oublier qu’une grande part des usages tels que le chauffage et le transport va basculer vers l’électrique dans les prochaines années. Il est vain d’opposer nucléaire et énergies renouvelables Chez les professionnels français, il y a désormais un fort consensus sur l’idée que les deux sont importants pour réussir la sortie des fossiles.

Par ailleurs, le grand défi de ces prochaines années, c’est la flexibilité. Il va falloir apprendre à changer ses habitudes de consommation, faire marcher ses machines ou recharger son véhicule électrique le midi en pleine production solaire. Comme l’a annoncé la Commission de régulation de l’énergie en février 2025, une partie des heures creuses sera désormais placée en milieu de journée, pour profiter de l’excédent de production solaire. L’électricité impliquant un équilibre continu entre production et consommation, la flexibilité a toujours fait partie du système. Les tarifs « heures creuses » consistent à déplacer les usages vers les heures où la consommation est faible alors que la production nucléaire est constante.

En parallèle, on a toujours eu besoin de centrales de production en « pointe » pour satisfaire les besoins liés au chauffage électrique lors des jours les plus froids. Avec les renouvelables, la situation se complexifie encore: désormais, il faudra ajuster la consommation à une production de plus en plus variable. Mais on dispose d’une multitude d’options de flexibilité et de pilotage de la demande: au-delà des ballons d’eau chaude et des stations de transfert et pompage hydroélectriques, qui ont historiquement servis de stockage d’électricité, il faudra à l’avenir piloter une partie des consommations de chauffage et la recharge des véhicules électriques. En parallèle, les batteries et électrolyseurs (permettant de stocker l’électricité sous forme d’hydrogène) devront également se développer rapidement.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Djibouti, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here