
Africa-Press – Djibouti. De la même manière que la distinction du diabète en type 1 et type 2 a révolutionné sa prise en charge, la maladie du foie gras – ou stéatose hépatique non alcoolique, ou encore MASH (anciennement NASH) de son vrai nom – pourrait bien être à un tournant de son histoire. Les patients les plus sévèrement atteints seraient en réalité partagés en deux sous-groupes distincts et pour lesquels la cause de l’inflammation du foie serait complètement différente. Une hétérogénéité qui pourrait expliquer des disparités dans les réponses aux traitements et informer de nouvelles stratégies de prise en charge, d’après une étude parue dans la revue Nature Medicine.
Des foies apparemment identiques qui cachent des causes très différentes
« Au microscope ces foies paraissent identiques, pourtant les mécanismes biologiques derrière sont très différents et induisent des conséquences différentes dans le futur”, révèle le Pr François Pattou, chirurgien viscéral et digestif au CHU de Lille et qui a dirigé ces travaux. Il doit notamment cette découverte à une cohorte d’environ 2.000 patients suivis dans son centre depuis 20 ans pour leur obésité, au cours desquels des échantillons hépatiques et sanguins ont été récoltés. Histologiquement, c’est-à-dire de visu sous le microscope, les cellules des foies des 24% d’entre eux pour lesquels la maladie est la plus avancée semblent similaires, avec des vésicules de graisse présentes dans une majorité des cellules hépatiques. Mais en analysant par intelligence artificielle d’autres paramètres pourtant très simples, les données révèlent un tout autre tableau.
Une forme génétique et une forme métabolique
En réalité, à peu près la moitié avaient une MASH d’origine génétique, appelée variante hépatique, dans laquelle l’inflammation du foie est causée par sa propre défaillance dans le traitement d’une quantité normale de sucres et de graisses. En revanche, les foies des malades avec une variante métabolique fonctionnent normalement, mais sont submergés par une trop grande quantité de sucres et de graisses en raison d’un diabète ou d’une hypercholestérolémie. “D’un côté le foie est la cause et son dysfonctionnement d’origine génétique est révélé par l’environnement métabolique. De l’autre, le foie est indemne mais victime de l’environnement métabolique de l’individu comme le diabète ou l’hypertriglycéridémie”, résume François Pattou. Les 76% des patients qui ne faisaient pas partie de ces sous-groupes avaient une maladie de moindre gravité, que les chercheurs rassemblent dans un groupe contrôle.
Ils découvrent ainsi que la maladie n’évolue pas de la même manière en fonction du sous-type concerné. En analysant les patients de la très grande Dans UK Biobank – qui recense les données de santé d’un demi-million de personnes en Grande-Bretagne – les chercheurs confirment leur découverte. Dans le profil hépatique, les patients meurent quasiment toujours d’une défaillance hépatique, tandis que les profils métaboliques décèdent d’un événement cardiovasculaire.
Six variables très faciles à mesurer
“On sait qu’il y a une grande hétérogénéité dans les patients, sans que l’on ait pu jusque-là les différencier cliniquement. Ces travaux ouvrent tout un panel d’exploration !”, s’enthousiasme la Pr Cyrielle Caussy, endocrinologue à l’hôpital Lyon-Sud, qui n’a pas participé à des travaux. Des explorations faciles d’accès de surcroît, car les six variables permettant d’attribuer l’appartenance d’un patient au sous-type hépatique ou métabolique sont facilement accessibles sans besoin de biopsie. Il s’agit de l’âge, de l’Indice de masse corporelle (IMC), du taux d’enzyme hépatique ALT (témoignant de son inflammation), de l’hBA1C (taux de sucre dans le sang), du LDL cholestérol et des triglycérides (les graisses). “Nous les avons choisis pour leur facilité d’accès et parce qu’ils couvrent chacun des grands mécanismes physiopathologiques de la maladie”, explique François Pattou.
En conséquence, toute cohorte de malades du foie gras peut facilement tester cette méthode et confirmer leurs résultats en identifiant les deux sous-groupes de MASH. “Tout le monde nous appelle pour réanalyser leurs données selon nos découvertes !”
De nouvelles possibilités thérapeutiques
Si l’identification de ces patients est si essentielle, c’est que pour l’instant, la prise en charge des patients atteints de MASH dépend de la présence ou non de diabète de type 2 et d’une obésité pour les diriger vers les mesures hygiéno-diététiques (de mode de vie alimentaire et physique), les médicaments contre l’obésité ou une chirurgie bariatrique. En somme, la prise en charge est particulièrement adaptée au profil métabolique, dans lequel un foie originellement sain est victime d’un trop-plein de sucre et de graisses liés à un diabète ou une obésité. “Quand le foie est la victime, si vous enlevez la cause du syndrome métabolique avec la chirurgie bariatrique, il y a disparition de la MASH dans 85% des cas au bout d’un an seulement”, appuie François Pattou. Cette chirurgie change la physiologie du tube digestif et la signalisation de la faim au cerveau en promouvant la sécrétion plus rapide du GLP-1, cette molécule coupe-faim depuis commercialisée sous forme de médicament (Ozempic, Wegovy, etc). « Dans la forme hépatique cela peut soulager une partie de la maladie mais le foie reste défaillant, ça ne traite pas la cause.”
Mais d’autres options thérapeutiques arrivent. “Le Resmetirom, qui agit directement sur les cellules du foie, a été validé aux Etats-Unis et devrait arriver en Europe en 2025”, pointe Cyrielle Caussy, et d’autres molécules potentiellement efficaces sur plusieurs profils de MASH sont en chemin. Combiner cette nouvelle méthode d’identification des sous-types de la maladie et de prochaines options thérapeutiques pourrait faire une différence considérable pour les patients. “Nous vivons un vrai tournant dans la prise en charge de la maladie, c’est très enthousiasmant !”, se réjouit l’endocrinologue, qui s’attend à ce que les différents profils de patients répondent différemment aux traitements.
Restera le défi du dépistage. “Comme c’est une maladie silencieuse il faut la chercher et la dépister”, explique Cyrielle Caussy. “25% de la population adulte sont atteints de stéatose hépatique non alcoolique, dont la majorité n’ont pas de problème. Ceux que l’on cherche sont les 18 à 20% parmi eux pour qui la maladie est sévère.” Pour ceux-là, une médecine de précision est peut-être en marche, espère François Pattou.
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