Le grand recensement du monde animal et végétal

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Le grand recensement du monde animal et végétal
Le grand recensement du monde animal et végétal

Africa-Press – Djibouti. L’écologue n’est pas si différent de l’enfant qui s’amuse à compter le nombre de papillons jaunes et de papillons orange, dans un champ, un après-midi d’été. « L’écologie est une science de l’information au départ. Il faut tout identifier, tout compter, tout mesurer, rappelle Nicolas Mouquet, chercheur CNRS et directeur scientifique du Centre de synthèse et d’analyse sur la biodiversité à Montpellier. Quand j’étais en thèse, je me souviens avoir compté plus d’un million de brins d’herbe. Ça m’a pris des mois. Et c’était un travail tout à fait classique.  »

Aujourd’hui, une révolution est à l’œuvre en écologie, avec l’apparition de systèmes en partie autonomes, capables de collecter des données et de les classifier. Une conjonction de progrès technologique et technique rend possible ce changement de paradigme. Il y a, d’une part, les outils de mesure: ce sont les pièges photographiques, les drones, les données satellitaires, les techniques pour capter l’ADN environnemental ou encore les micros. Ils se sont démocratisés, ont été déployés un peu partout et ne cessent de gagner en précision. D’autre part, il y a les modèles d’intelligence artificielle, qui connaissent un développement sans précédent avec l’avènement de toutes les déclinaisons de l’apprentissage profond.

Pour le grand public, la transformation qu’apportent ces deux types d’outils est visible au travers d’applications comme PlantNet, qui détecte les espèces végétales à partir de photos. L’automatisation du traitement des données semble indispensable pour changer d’échelle en écologie. Car si l’étendue des connaissances est impressionnante dans cette discipline, l’étendue de l’ignorance est, elle, vertigineuse.

Sur plus de deux millions d’espèces recensées (il en existerait environ cinq fois plus sur Terre), seules 166.000 ont été évaluées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Nombre d’espèces peuvent donc s’éteindre à tout moment sans que nous nous en rendions compte. « Ce travail prend trop de temps. On fait de la biologie de la conservation en temps de crise, il nous faut faire preuve de pragmatisme et utiliser tous les outils à notre disposition « , déclare Nicolas Mouquet.

Avec son équipe, il a publié à l’automne dernier une étude pour prédire le statut de conservation de plus de 13.000 espèces de poissons marins. Deux modèles d’intelligence artificielle ont permis d’établir le statut UICN des espèces non évaluées par l’organisme ou déclarées comme ayant trop peu de données pour être évaluées. Conclusion alarmante: il y aurait au moins 12,7 % des espèces de poissons menacées d’extinction, là où l’UICN n’en a identifié que 2,7 %.

« Notre rôle est de fournir un travail qui soit le plus robuste possible, tempère Florian Kirchner, qui coordonne la liste rouge de l’UICN en France. Nous passons par un processus d’expertise collégial, avec les meilleurs connaisseurs du monde sur une espèce spécifique ; il ne paraît pas envisageable de le remplacer par une intelligence artificielle.  »

Modérer la consommation de ressources

D’autant que pour l’heure, l’algorithme est loin d’être infaillible: celui testé sur la faune aquatique s’est trompé deux fois sur dix. Améliorer ces modèles est crucial car le travail à accomplir reste colossal. Par exemple, pour la seule famille des orchidées, il existe environ 29.000 espèces et l’UICN n’a statué que sur 1850 d’entre elles. En 2020, une étude dirigée par le botaniste et biogéographe allemand Alexander Zizka prédisait le statut de conservation de 14.000 espèces d’orchidées. Résultat: au moins 4300 seraient menacées d’extinction.

Mais l’utilisation de l’IA en écologie n’est pas une évidence. « On ne veut pas utiliser des outils qui contribuent à la crise qu’on étudie. Et ça, c’est un challenge, reconnaît Vincent Miele, ingénieur CNRS au Laboratoire d’écologie alpine. On essaie au maximum de comprendre ces algorithmes pour être le moins gourmand possible en matière de consommation de ressources.  » Mais le constat ne satisfait pas tout le monde: « Beaucoup d’écologues se positionnent de manière virulente contre ces méthodologies, parfois même de manière un peu dogmatique « , assure Pierre Bonnet, coresponsable de PlantNet.

Au-delà des craintes pour l’environnement, la discipline pourrait s’inquiéter de la perte de compétences humaines, car, dans certains contextes, l’intelligence artificielle fait déjà mieux que l’humain pour reconnaître des espèces sur un herbier ou une photo. La communauté se veut rassurante sur ce point. « Il faudra toujours entraîner et évaluer les modèles. Ces outils ne fonctionneront jamais si nous perdons cette expertise apportée par la vérité du terrain « , assure Vincent Miele. Intelligence artificielle ou non, il restera donc des scientifiques qui, aux côtés des enfants, comptent les papillons jaunes et orange dans les champs.

Le potentiel de la science participative décuplé

L’application PlantNet permet d’identifier des espèces végétales à partir d’une simple photo prise avec son téléphone, grâce à l’IA. La première version mobile est sortie en 2013. Dix ans plus tard, l’application a dépassé le milliard de requêtes d’identification et elle en reçoit chaque jour plusieurs centaines de milliers. « Je n’aurais jamais cru que cet outil pouvait intéresser autant de monde » , s’émerveille Pierre Bonnet, coresponsable de PlantNet.

Et ce succès, comme dans une relation symbiotique, sert la science en retour. Grâce à toutes les photos récupérées par l’application, l’équipe de PlantNet a partagé une base de données fiable, avec plus de 12 millions d’occurrences. Près d’un millier de publications scientifiques ont déjà utilisé cette base de données.

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