Africa-Press – Gabon. Après des décennies d’opacité, les nouvelles autorités gabonaises s’attaquent au cœur du système économique dévoyé mis en place par le clan Bongo. En annonçant un vaste audit de la holding tentaculaire Delta Synergie, le CTRI marque sa détermination à faire la lumière sur cette «sangsue» qui a pillé le pays. L’essentiel, ici, de ce qu’on sait sur Delta Synergie.
Les nouvelles autorités issues du coup d’État du 30 août 2023 ont annoncé leur intention de mener un vaste assaut contre le symbole de la mainmise économique des Bongo: la Holding Delta Synergie. Dans un communiqué ferme, le porte-parole du CTRI, le colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, a déclaré: «Le CTRI annonce le lancement dans les tous prochains jours d’un audit général, financier, technique, immobilier et mobilier de la Holding Delta Synergie.»
Cette holding tentaculaire, décrite comme le «coffre-fort» de la famille Bongo, a longtemps constitué un mystérieux porte-monnaie où convergeaient les revenus issus des nombreuses participations économiques du clan déchu. «Les gérants, administrateurs et toutes les personnes liées directement ou indirectement à cette organisation sont invitées le moment venu à se mettre à la disposition des services chargés de cette opération en fournissant toute la documentation y afférente», prévient le CTRI à travers son tout dernier communiqué.
L’objectif affiché n’est autre que la «réappropriation par l’Etat et le peuple gabonais de son patrimoine matériel». Une vaste opération de démantèlement du système mis en place par le régime Bongo semble donc s’amorcer.
Le «compte» de fée des Bongo
Longtemps décriée comme une véritable «boîte noire», Delta Synergie a symbolisé pendant des décennies l’emprise économique de la famille Bongo. Un documentaire de France 2 avait même affirmé que 18% des recettes pétrolières de Total Gabon étaient versées à la holding. Son tentaculaire réseau de participations s’étendait des banques aux mines en passant par l’agroalimentaire.
Selon Mediapart, le site d’information qui avait révélé les affaires Cahuzac et Woerth-Bettencourt, la holding détiendrait des participations dans pas moins de 35 sociétés locales. «Appliqué au règne animalier, le système Delta Synergie équivaut au fonctionnement d’une sangsue ; il s’agrippe partout où il peut et il pompe», ironisait Mediapart en avril 2015, soulignant que jusqu’en 2009, «Omar Bongo détenait 37 % des parts de la société [Delta Synergie] (soit 114 700 actions), d’après deux déclarations de succession rédigées les 10 juin et 1er octobre 2014. Ali, son successeur, et sa fille Pascaline s’étaient vu secrètement gratifier de 10 % chacun à titre personnel. Six autres membres de la famille se partageaient le reste».
Un rapport d’avocats publié en 2015 indiquait alors qu’on retrouve en effet Delta Synergie dans la non moins célèbre Gabon Mining Logistics, avec 30% des parts, dans Ragasel avec pas moins de 29,1% de participations. La holding était alors fortement implantée dans le secteur des banques, avec UGB (5,21 % des parts), BICIG (3,23 %), BGFI Bank Congo (10%), Ecobank Gabon (7,5%) ou encore Finatra (6,25 %) et BGFI Holding (6,4%). Elle déteindrait aussi 60,69% d’OGAR, 15% de la Compagnie du Komo (CDK), 5% de Maboumine, 17% de Petro Gabon.
Delta Synergie est également dans la SN2AG (transport aérien, 34,99%), ETDE/Sogec (électricité, 4,54%), IMP (immobilier, 35%), SGS (sécurité, 69,3%). Bref, tous les secteurs sont littéralement sous contrôle, puisque «dans le secteur très lucratif du BTP, la Socoba, principale bénéficiaire des travaux publics du pays dirigée par un gendre d’Omar Bongo, a dû laisser au profit de Delta Synergie 50 % de ses actions», écrivait Mediapart.
Querelles intestines et déclin
Cependant, à la mort d’Omar Bongo Ondimba en 2009, l’empire aurait commencé à se fissurer sous le coup des querelles entre héritiers. Le fils Ali, désormais déchu, aurait buté sur les résistances de la fratrie pour prendre le contrôle total de ce «coffre-fort» familial. Irrité, Ali Bongo aurait alors tenté de contourner Delta Synergie en déviant une bonne partie des flux financiers vers de nouveaux couloirs à Londres et Singapour. De nombreuses entreprises liées à la holding auraient alors été mises au ban voire précipitées dans la faillite.
En s’attaquant frontalement à ce symbole de la mainmise économique des Bongo, le CTRI envoie un signal fort: c’est l’ensemble du système opaque mis en place pendant un demi-siècle de règne qui est désormais dans le viseur. Une nouvelle ère qui s’ouvre sur les décombres d’un empire familial aujourd’hui contesté.
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