Africa-Press – Gabon. Élu à l’issue d’une transition militaire qu’il a lui-même orchestrée, Brice Clotaire Oligui Nguema gouverne aujourd’hui un Gabon dont les arcanes du pouvoir ont été redessinées à l’encre militaire. Une enquête d’Africa Intelligence, publiée le 6 juin 2025, éclaire cette réingénierie sécuritaire, où la Garde républicaine règne sans partage, les renseignements obéissent en réseau fermé, et les fidélités ethno-familiales dictent les nominations. Une architecture du pouvoir aussi disciplinée que verrouillée.
Depuis son arrivée au pouvoir à la faveur du coup d’État du 30 août 2023, puis sa consécration par les urnes, Brice Clotaire Oligui Nguema n’a eu de cesse de raffermir sa mainmise sur les rouages sécuritaires de l’État. À la faveur de nominations ciblées et d’un maillage militaire soigneusement tissé, le président élu façonne un ordre de pouvoir où le loyalisme prime sur l’institution, et où la force, en uniforme ou en civil, demeure l’ossature du régime.
Un État-major présidentiel sous uniforme
Dans les coulisses du remaniement opéré début mai 2025, le message est limpide: la parenthèse de transition se referme, mais la verticalité militaire persiste. Loin d’être marginalisés, certains ex-membres du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) sont maintenus à des postes de poids. Le colonel Ulrich Manfoumbi Manfoumbi, par exemple, est hissé au rang de ministre d’État, tandis que le général Maurice Ntossui Allogo conserve son portefeuille. Les figures du putsch deviennent ainsi les figures du pouvoir.
Mais c’est dans la Garde Républicaine (GR) que s’incarne le cœur battant du régime. Véritable colonne vertébrale de l’appareil d’État, elle concentre les moyens, les armes, l’autorité. Ainsi que le rappelle Africa Intelligence: ce «corps d’élite conserve la place hégémonique qu’il occupe dans l’architecture de sécurité depuis sa création, en 1964.» Son nouveau chef, le général Antoine Balekidra, est un Obamba de Ngouoni, village maternel du président. Son ascension, précise le média d’enquête spécialisé dans les affaires politiques, économiques et sécuritaires du continent africain, a aussi permis de «court-circuiter» le colonel Aimé Vivian Oyini, un cousin d’Ali Bongo jugé potentiellement rival.
La GR surclasse toutes les autres forces. Elle capte une large part du budget militaire, contrôle les stocks de munitions, et déploie son influence dans les services de renseignement. Le lieutenant-colonel Pierre Bibang Bi Nguema, demi-frère du président, demeure l’ombre tutélaire de la Section d’intervention spéciale (SIS), bien qu’«officiellement relevé de ses fonctions» depuis juin 2024. Conseiller officieux, il incarne cette gouvernance à deux visages, où le pouvoir formel côtoie les fidélités invisibles.
Services de renseignement: l’ordre des fidèles
Le redéploiement sécuritaire ne s’arrête pas aux corps en armes. Il s’étend, silencieux mais implacable, aux services de renseignement. Exit les projets de fusion hérités du régime Bongo: Oligui Ngueme fragmente, compartimente et place ses hommes. La Direction générale des services spéciaux (DGSS), qu’il a dirigée entre 2019 et 2020, est aussitôt confiée au commandant Davy-Steve Yalis, un Téké loyaliste. Le capitaine Amos Gérald Lebouengue prend la direction des renseignements, Fred Ulrich Ngalebah celle de la sécurité militaire. Africa Intelligence décrit une refonte «à sa main», méthodique et resserrée.
La Direction générale des contre-ingérences et de la sécurité militaire (DGCISM), plus connue sous le nom de “B2”, n’échappe pas à la purge. Après la mort suspecte de Johan Bouda, détenu dans ses murs, le chef de l’État en a remanié la direction: le colonel Joseph Ondo Be, issu de l’armée de terre, prend la tête du service, épaulé par le lieutenant-colonel Joël Olard. Là encore, l’efficacité cède la place à la loyauté.
Même les survivants de l’ancien régime doivent leur maintien à leur discrétion. Bernard Gnamankala, patron de la DGDI (ex-Cedoc), reste en poste grâce à un profil bas selon Africa Intelligence. Tout comme Jean-Charles Solon, Français aux commandes du centre d’interception présidentiel (Silam), dont la longévité tient à son utilité technique plus qu’à une fidélité politique.
Dans cet échiquier sécurisé, le Conseil national de sécurité, créé par Omar Bongo, est réactivé. Gérard Ondjambi Onguia, civil issu de la SEEG et proche du président, en prend la tête. Symboliquement, le retour de cette structure marque une continuité assumée avec l’ancien système, mais sous des allures renouvelées. Africa Intelligence parle d’un pouvoir «resserré autour d’un nouveau clan présidentiel».
Le chef de la gendarmerie, Yves Barassouaga, longtemps perçu comme un pilier du putsch, voit quant à lui son influence décliner. La disgrâce de son cousin Marcel Abéké, ex-ministre du Pétrole, révèle que les loyautés ne se transmettent plus automatiquement: elles se gagnent jour après jour.
La verticalité armée comme méthode de gouvernement
Ce qui se dessine n’est pas simplement une stratégie de stabilisation. C’est une doctrine. Dans ce Gabon post-transition, l’institution passe après la fidélité, l’armée précède le droit, et le renseignement supplante le débat. Africa Intelligence le formule sans détour: «C’est une logique de gouvernance patrimoniale par les armes.»
Le régime, bien qu’issu d’un scrutin, n’a pas relâché sa matrice militaire. Il l’a raffinée, consolidée, transformée en infrastructure du pouvoir. Le président n’a pas dissous les outils de la force: il les a ajustés à sa main, émondés, redéployés. La GR est son levier, la DGSS son organe, la B2 son bouclier, le Silam son oreille.
Dans ce système, les contre-pouvoirs civils sont réduits à la portion congrue. L’opacité devient doctrine, la centralisation réflexe. L’État gabonais semble s’être mué en pyramide à base étroite, où l’uniforme, le clan et l’obéissance sont les nouvelles lois non écrites. Le Gabon d’Oligui Nguema n’est pas une dictature classique. C’est une démocratie sous surveillance. Un pouvoir à béret, à jumelles, et à huis clos.
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