Africa-Press – Gabon. Le procès par contumace de l’ancienne Première dame Sylvia Bongo Ondimba et de son fils Noureddin, prévu du 10 au 14 novembre 2025 à Libreville, devait symboliser la fin d’une ère d’impunité. Mais pour leurs soutiens, il incarne au contraire la dérive d’une justice devenue instrument politique. Avocat et juriste dénoncent une procédure viciée, menée au mépris du droit et des principes d’équité.
Jamais un procès n’aura autant condensé les tensions entre justice, pouvoir et symbole. Derrière l’affiche d’un procès «historique» contre les figures de l’ancien régime, se déploie un affrontement juridique et moral: d’un côté, la volonté proclamée des nouvelles autorités de «rompre avec l’impunité» ; de l’autre, la conviction grandissante que la loi est ici utilisée comme une arme.
«Une procédure illégale et prématurée»
Pour Me Gisèle Eyue Bekale, avocate de Sylvia et Noureddin Bongo, la procédure engagée par le parquet général frôle l’absurde. Dans un entretien au quotidien L’Union le 31 octobre dernier, elle s’indigne du fait que «la défense n’a jamais reçu le dossier complet» et que le procès soit organisé alors même que «des recours sont toujours pendants devant la Cour de cassation». Une telle précipitation, dénonce-t-elle, «empêche de manière absolue et légale d’organiser la défense».
L’avocate, connue pour sa rigueur procédurale, souligne également que ses clients, actuellement installés à Londres, n’ont jamais été convoqués selon les règles internationales applicables: «Le procureur général sait pertinemment que le domicile réel de mes clients est à l’étranger. Il aurait dû respecter le délai minimal de quatre mois prévu par l’article 419 du Code de procédure pénale», note-t-elle. En refusant de le faire, selon elle, le procureur général «viole délibérément la procédure et empêche de manière absolue et légale d’organiser la défense».
“L’hérésie d’un procès sans scellés”
Le réquisitoire le plus virulent émane d’un universitaire et ancien ministre, Ali Akbar Onanga Y’Obegue, qui a publié sur Facebook un texte devenu viral. Le juriste y dénonce «l’hérésie d’un procès sans scellés et sans respect de la procédure». Son propos, d’une rare violence rhétorique, frappe par la gravité des accusations. Pour lui, ce procès cumule deux vices rédhibitoires majeurs: l’absence des scellés judiciaires et la violation délibérée de l’article 419 du Code de procédure pénale. «Comment juger sans preuves?», interroge-t-il.
Selon lui, les pièces à conviction – espèces saisies, véhicules, bijoux, documents bancaires – ont été «exhibées comme trophées» lors du coup d’État de 2023 avant de disparaître dans les méandres du pouvoir. «Ces scellés judiciaires, ces pièces à conviction essentielles à l’établissement de la vérité, ont tout simplement disparu de la scène judiciaire, transformés en ressources budgétaires, en commissions occultes, en enrichissement personnel des membres de la junte et de leurs proches.» Et de marteler plus loin: «En présentant ces biens confisqués et en les remettant au Premier ministre, le régime militaire a commis un acte de destruction volontaire de l’instrument de la justice. C’est une infraction pénale en soi. C’est une atteinte directe aux droits fondamentaux des justiciables.»
Une justice fragilisée par la précipitation
Au fond, ce que redoutent les deux juristes est identique: la perte du sens de la justice au profit du spectacle politique. Me Eyue Bekale parle d’un procès vidé de substance , où la défense est littéralement privée de toute possibilité de contradictoire ; Onanga Y’Obegue évoque, lui, «une mise en scène politique, [un] théâtre d’ombres au sein duquel la vérité est indubitablement escamotée au profit d’un règlement de comptes d’une rare bassesse.»
Leur double cri d’alarme dépasse la défense des Bongo: il questionne la crédibilité d’une institution qui prétend se réformer en violant ses propres lois. En condamnant sans preuves tangibles ni respect des délais légaux, la justice gabonaise risquerait, selon eux, de s’autodétruire symboliquement.
Ce n’est pas seulement la justice qui serait trahie, conclut littéralement Onanga Y’Obegue, c’est l’idée même d’État de droit. Entre la soif de rupture et le respect des règles, la justice gabonaise joue ici sa réputation, et peut-être, son âme.
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