Africa-Press – Gabon. Sous des apparences de réconciliation nationale, le pouvoir gabonais semble vouloir refermer un chapitre sans jamais l’avoir vraiment ouvert. Derrière la promesse d’une « amnistie générale », se profile, selon Michel Ongoundou Loundah*, une volonté de neutraliser la mémoire collective, d’effacer les traces gênantes d’un passé encore brûlant. Le président de REAGIR dénonce ici une stratégie d’effacement politique où l’on confond pardon et oubli, justice et convenance, au risque d’inverser les rôles entre les victimes d’hier et les bénéficiaires d’aujourd’hui.
Au Gabon, les dirigeants ont pris l’habitude de toujours habiller leurs incohérences de grands mots. Dès qu’un épisode devient gênant pour eux, ils sortent la boîte à formules: « réconciliation », « cohésion nationale », « retour à la paix »… Et voilà qu’aujourd’hui, on y ajoute une perle de plus: « amnistie générale ». Une formule pleine de gravité, d’écho républicain, que les officiels prononcent en prenant un air solennel.
Le 5 novembre dernier, le ministre de la Justice, Séraphin Akure-Davain, s’est présenté devant la Commission des lois de l’Assemblée nationale de Transition, avec la mine compassée de celui qui vient enterrer un dossier plutôt qu’en ouvrir un. Il a plaidé la cohésion, la réintégration, la réconciliation. Mais il s’est bien gardé de donner la liste nominative des « amnistiés », de même qu’il a passé sous silence les éventuels crimes et délits imputables aux heureux bénéficiaires de l’amnistie. On parle ici de militaires du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), de membres des forces spéciales de la Garde républicaine, et de certains civils du premier cercle qui ont participé, de près ou de loin, à la prise de pouvoir par les armes, le 30 août 2023.
Et pourtant, ce fameux coup d’État, on nous l’a juré, n’a fait aucune victime. Il fut propre, “chirurgical”, “pacifique”, presque romantique dans la narration officielle. On parle même de “coup de libération”. On a chanté, on a dansé, on a fait du 30 août une fête nationale. Les putschistes ont été décorés, promus, célébrés comme des héros. Alors, pourquoi les amnistier aujourd’hui? Qu’auraient-ils fait qu’il faille leur pardonner? Et si on parle d’“effets collatéraux”, c’est qu’il y en a eu. Le peuple se souvient de ces arrestations brutales, de ces disparitions administratives, de ces règlements de comptes politiques qu’on a maquillés en “réformes”.
L’amnistie de 2025 tombe donc comme un parapluie sur mesure, destiné à couvrir les angles morts et les « bavures » de l’actuel régime. Car ce texte, s’il n’efface pas les fautes du passé, il préserve néanmoins le pouvoir du présent. Il protège ceux qui, au moment du coup d’État, ont ordonné ou commis des exactions et peut-être même des atrocités dans l’ombre. Pendant que le bon peuple attend des noms, des visages et une claire définition des fautes à pardonner, on lui présente une amnistie dont le but non dissimulé est de blanchir les « vainqueurs » du 30 août 2023. Et pour faire passer la pilule, on y a opportunément glissé, dans le même panier, les mutins de janvier 2019. Or, ceux-là, c’est autre chose.
Le 7 janvier 2019, le pays s’était réveillé avec un groupe de jeunes militaires, menés par le lieutenant de la Garde républicaine Kelly Ondo Obiang, qui avaient tenté de prendre la radio-télévision nationale pour dénoncer la vacance du pouvoir pendant la maladie d’Ali Bongo. On les avait traités de “terroristes”, et la riposte fut sanglante. Il y a eu des morts, des condamnés, des familles brisées. Six ans plus tard, le gouvernement des putschistes de 2023 les “amnistie”.
Cette indécente juxtaposition est le cœur de l’incongruité: on met dans le même sac les fusillés d’hier et les promus d’aujourd’hui. Les uns ont été combattus, et même abattus pour avoir défié le pouvoir, les autres ont pris le pouvoir sans rencontrer de résistance, et s’en glorifient. Aujourd’hui, c’est tout ce beau monde qu’on réunit dans une même ordonnance. Le cynisme est parfait: on efface tout, on nivelle tout, et on dit que c’est pour la paix.
Mais quelle paix? Le 30 août est devenu une date fétiche, inscrite au calendrier national, célébrée avec tambours, drapeaux et ferveur patriotique. On y parle de libération, de renaissance, d’ »essor vers la félicité ». Et dans le même souffle, on veut “amnistier” ces mêmes « libérateurs »? On veut leur pardonner quoi? D’avoir libéré le pays? C’est absurde, presque grotesque. À moins que l’amnistie ne soit pas là pour des abominations cachées.
C’est là tout le paradoxe. Si, comme on le dit, il n’y a eu aucune victime, aucune bavure, alors l’amnistie n’a pas lieu d’être. Et si, en revanche, il y a matière à amnistier, alors le mythe du “coup de libération pacifique” s’effondre. On ne peut pas être à la fois pur et pardonné. On ne peut pas glorifier un acte et en effacer les conséquences dans la même phrase.
Mais dans le Gabon de 2025, tout cela a une logique. Celle d’un pouvoir qui, sous des airs de stabilité, se referme comme une forteresse. L’hyper-président Brice Clotaire Oligui Nguema, chef de l’Etat, chef du gouvernement, chef des armées, chef du CTRI, chef du pays et gardien de sa propre légende, concentre tout. Son entourage, composé d’hommes issus du même sérail militaire, gouverne avec un œil sur la mémoire, un autre sur les dossiers. Leurs dossiers ! Et l’amnistie devient le verrou parfait: un texte qui clôt toute tentative d’enquête ou de remise en question.
Comme on le voit, cette amnistie ne réconcilie rien, elle protège. Elle ne soigne pas, elle stérilise. Elle ne tourne pas la page, elle l’agrafe de peur qu’elle ne s’ouvre. Et pendant que les ministres récitent leurs formules de paix, de réconciliation, ou de « libération », les victimes, elles, n’ont toujours pas de réponse. Les familles des mutins de 2019 n’ont jamais reçu de pardon public. Les citoyens bousculés, arrêtés, spoliés ou marginalisés après le 30 août 2023 n’ont jamais entendu la vérité.
Le peuple, lui, regarde. Il a appris à décoder les mots creux. Il sait que cette amnistie générale n’est pas pour lui, mais pour eux. Ceux qui craignent que la lumière finisse par percer les rideaux de leurs turpitudes. Ceux qui ont besoin d’une protection juridique, d’un bouclier moral avant le retour des comptes.
Alors oui, on nous parle d’amnistie. Mais c’est plutôt d’amnésie qu’il s’agit. D’une grande opération de blanchiment et de manipulation politiques. On lave les dossiers, on polit les légendes, on réécrit l’histoire.
Et pendant que les nouveaux « roitelets » psalmodient la « libération », la mémoire, elle, ne dort que d’un œil.
Michel Ongoundou Loundah
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