Africa-Press – Gabon. L’édifice craque. Pascal Ogowé Siffon, ministre du Tourisme Durable et de l’Artisanat, premier membre d’un gouvernement de la Vè République à subir une telle humiliation, se retrouve assigné à résidence après son interpellation rocambolesque à Essassa dans le Grand Libreville, en tentative de fuite non avérée. Le symbole est ravageur: l’homme censé redorer le blason touristique du Gabon aurait fait disparaître plus de 10 milliards de francs CFA dans un trou noir administratif d’une audace sidérante. Pourtant, à l’examen minutieux des faits, une étrange discordance émerge entre l’accusation médiatique et la réalité budgétaire du ministère.
Selon nombreux de nos confrères, l’enquête du Parquet de la République, menée dans le cadre de l’opération «Mains Propres», révèle un vide abyssal là où devaient fleurir les promesses de renaissance touristique. Près de 9,7 milliards mobilisés sur deux années – 2 milliards pour des éco-lodges fantômes, 2 autres via la RSE, 3 milliards des dividendes de l’Okoumé Palace, sans compter les enveloppes PID et PIH, et pour quel résultat tangible?
Reprocher à un ministre de n’avoir pas réalisé ce qu’il n’a jamais promis
La presse gabonaise fustige unanimement, en effet, le «néant» laissé par deux années de gestion, notamment, des éco-lodges non réalisés au Mont Bengoué, à la Pointe Denis ou au Parc de la Lopé, des promesses non tenues, des infrastructures évaporées. L’arithmétique du scandale paraît implacable. Sauf qu’un détail capital échappe à cette narration vengeresse: Pascal Ogowé Siffon n’a jamais formellement annoncé ces projets.
Les fameux éco-lodges introuvables figurent certes dans le Plan National de Développement pour la Transition 2024-2026, qui prévoyait 21,6 milliards pour l’ensemble du secteur touristique à l’horizon 2029. Mais ces sites emblématiques n’apparaissent dans aucune déclaration publique documentée du ministre. Leur mention émane essentiellement de deux articles de presse fin novembre, qui les présentent rétrospectivement comme des engagements non honorés. Curieux procédé: reprocher à un ministre de n’avoir pas réalisé ce qu’il n’a jamais promis.
À l’épreuve des chiffres officiels
Plus troublant encore, la comptabilité du supposé détournement vacille à l’épreuve des chiffres officiels. Lors de la dernière session budgétaire parlementaire, il a été établi que le ministère du Tourisme disposait d’un budget annuel de 4 milliards de francs CFA. Sur deux ans, avec apports extérieurs, l’enveloppe totale atteignait 9,075 milliards, fonctionnement et investissements confondus. Comment, dès lors, «faire partir en fumée» près de 10 milliards quand on n’en a reçu que 9? Hérité de l’ère Bongo le ministère était «dans un état piteux» ayant nécessité des dotations substantielles pour réfections, équipement et moyens roulants.
Face à ce trou noir comptable, le bilan tangible du ministre détonne. La Caravane touristique, initiative phare lancée en 2024, a mobilisé 3 748 participants, créé 1 127 emplois indirects. Institutionnalisé par ses cabanes en bois durable, ses nombreux planchers aménagés, sa passerelle piétonne de plus de 100 mètres, le village touristique de Tsamba-Magotsi, et le Lac Bleu de Mouila ayant également vu naître un village touristique opérationnel avec 23 couchettes, ont tous deux été officiellement identifiés par le gouvernement comme sites faisant «déjà l’objet de projets de valorisation» dans le cadre de la stratégie touristique nationale. On n’omettra pas la Police touristique, l’e-Visa en 48 heures, la gratuité des visas durant les vacances 2025, la promotion du Gabon à l’Exposition universelle d’Osaka: autant de réalisations concrètes qui contredisent le tableau d’une gestion fantoche.
Avant même la Task force…
Reste l’affaire Cap-Caravane, véritable zone d’ombre d’un bilan par ailleurs substantiel. Mais l’assignation à résidence repose-t-elle sur des malversations avérées ou sur une reconstruction narrative post-facto? Alors même que la Task Force de la Présidence de la Transition pour le contrôle, l’audit et la vérification des dettes intérieures et extérieures démarre seulement son examen des documents comptables du ministère, les enquêteurs parlent d’«irrégularités massives», la presse évoque des «milliards évaporés». Entre suspicion légitime et emballement médiatique, la frontière demeure floue.
Pascal Ogowé Siffon sera-t-il le bouc émissaire d’un système ou le symbole d’une Justice enfin impartiale? La réponse judiciaire dira si cette affaire repose sur des preuves tangibles ou sur l’illusion comptable d’un scandale préfabriqué.





