Africa-Press – Gabon. L’affaire Ogowé Siffon dévoile des dysfonctionnements systémiques. Beaucoup s’inquiètent pour l’image du Gabon, présenté comme un pays livré à l’improvisation et au scandale permanent.
On en apprend chaque jour sur la gestion de nos finances publiques. Après les acolytes de Sylvia Bongo Ondimba et Noureddin Bongo Valentin, le ministre du Tourisme se retrouve dans l’œil du cyclone: soupçonné d’avoir distrait près de 10 milliards de nos francs, il a été assigné à résidence. Tenu du 10 au 17 novembre dernier, le procès de la Young Team avait mis en lumière les circuits opaques d’un pouvoir familial, décrit un Etat soumis aux humeurs des plus puissants, où les émoluments se décident à la tête du client, où les procédures ne sont nullement respectées, où existent d’étranges porosités entre le Trésor public et les banques commerciales. Avec les accusations portées contre Pascal Ogowé Siffon, on découvre un système où l’argent public est remis à des particuliers, où des administrations préemptent des recettes hors de toute base légale.
Flou juridique et institutionnel
Ce tableau ne présente pas un monde parallèle à l’Etat, mais sa face obscure. Il ne représente pas la faillite morale de quelques-uns, mais des dysfonctionnements systémiques: des recettes et dépenses ne sont pas consignées dans la loi de finances ; des administrations fonctionnent en hors du budget ; des ministres engagent des dépenses sans en référer aux services compétents… Y a-t-il un directeur central des affaires administratives et financières (Dcaf) au ministère du Tourisme? Si oui, a-t-il un droit de regard sur l’exécution budgétaire? Quel est alors sa responsabilité? Si non, comment expliquer cet état de fait? Qui pour répondre de ce manquement éventuel? Poser ces questions, ce n’est pas chercher à diluer les responsabilités. C’est refuser de se satisfaire des émotions ou de se contenter d’un bouc-émissaire. C’est tenter de comprendre le fait générateur. Lors du procès de la Young team, les avocats de la partie civile avaient, du reste, implicitement parlé d’une responsabilité systémique.
À l’évidence, la question va au-delà des fautes individuelles: elle engage l’environnement institutionnel. Dans un Etat organisé, l’argent public n’est pas mis à disposition sans mécanisme de suivi, sans s’assurer de la traçabilité des dépenses. Dans un Etat organisé, il existe une programmation budgétaire, consignée dans la loi de finances. Dans un Etat organisé l’exécution budgétaire se clôture par une loi de règlement votée par le Parlement. Or, on découvre à peu près l’inverse: des recettes non tracées, des dépenses invisibles, des engagements en marge de toute procédure et, une remise en cause implicite du rôle du juge financier. Dans ce flou juridique et institutionnel, certains dénoncent une «machination», ourdie par des adversaires intérieurs ; d’autres voient une ’’diversion’’, destinée à taire la polémique sur les failles du procès de la Young team, Pascal Ogowé Siffon y ayant été incidemment cité. Beaucoup, enfin, s’inquiètent pour l’image du Gabon, présenté à la face du monde comme un pays livré à l’improvisation et au sandale permanent.
Deux causes profondes
Comment sortir de cette spirale? En s’attaquant à deux causes profondes: le mélange des genres et la faiblesse des institutions. D’une part, il faut actionner le levier politique et moral. D’autre part, il faut jouer sur le ressort juridique et institutionnel. Or, ces chantiers s’avèrent colossaux. Comme l’a montré l’histoire récente, les intérêts croisés constituent un terreau fertile pour la perpétuation de certaines pratiques. Pis, le recyclage d’un certain personnel rend hypothétique l’émergence d’une authentique culture civique voire d’une éthique autrement plus républicaine. Comme l’a par ailleurs montré le procès de la Young team, certains responsables d’hier, voire d’aujourd’hui, ont de bonnes raisons de ne pas plaider pour les réformes de fond. Or, si ces ambiguïtés perdurent, si les procédures demeurent des suggestions et si la planification continue d’être considérée comme un simple exercice de style, la République restera soumise aux caprices de quelques-uns.
L’affaire Ogowé Siffon ne pointe pas seulement les dérives supposées d’un dépositaire de l’autorité publique. Elle dévoile les failles, faiblesses et incohérences d’un système. Elle interroge l’ampleur et la pertinence des changements initiés depuis le 30 août 2023. Elle montre combien le chantier de la «restauration des institutions» est resté au milieu du gué. Par-dessus tout, elle rappelle une vérité simple et cruelle: un pays ne peut prétendre à la transparence si l’argent public y circule comme un bien privé.





