Égypte, Écrin Majestueux de la Civilisation Pharaonique

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Égypte, Écrin Majestueux de la Civilisation Pharaonique
Égypte, Écrin Majestueux de la Civilisation Pharaonique

Africa-Press – Guinee Bissau. Ce sont les grandes pyramides qui surgissent d’abord au loin après une course folle pour parcourir la vingtaine de kilomètres qui séparent le centre du Caire de Gizeh. En attendant l’arrivée du métro, l’épreuve kamikaze du taxi demeure incontournable sur un périphérique de deux fois six voies, bordé d’une mince barrière que les piétons n’hésitent pas à enjamber. Au Caire, le seul code de la route est le coup de klaxon le plus fort. Le chaos soudain s’apaise pourtant, comme si Kheops et Khephren calmaient l’agitation de 2025 du haut de leurs millénaires. Avant de les atteindre, émerge des sables un bâtiment ultramoderne dont l’architecture évoque les monuments emblématiques de l’Égypte: le Grand Musée égyptien, le GEM.

Un musée pharaonique au sens premier du terme puisqu’il ne concerne que la civilisation antique des premières dynasties royales à l’époque gallo-romaine. Au sens physique ensuite, car il couvre au total 47 hectares (deux fois la surface du Louvre) et ses dimensions intérieures sont conçues pour accueillir les monuments antiques. Annoncée pour le 3 juillet, l’inauguration du GEM devrait se faire en fin d’année avec un retard, lui aussi colossal, de dix années.

Une immense esplanade très minérale l’entoure, ornée d’un obélisque de 16 mètres de haut, datant de l’époque de Ramsès II. Pour la traverser, mieux vaut emprunter une des voiturettes avec chauffeur mises à disposition, surtout lorsque la température dépasse les 35 °C. Le bâtiment, conçu par un cabinet d’architecture irlandais, décline des pyramides en panneaux d’albâtre sur sa façade, ornée de cartouches désignant 25 pharaons. Le hall d’entrée ou atrium coupe le souffle et renverrait la pyramide du Louvre au rang de gadget. On cherche en vain les angles droits dans cet espace dont la hauteur atteint jusqu’à 30 mètres. Tout évoque les pyramides, des obliques défient les lois de la pesanteur, et les piliers en forme de triangles inversés flottent, aériens.

Un long voyage à travers 4000 ans d’histoire

Très loin, très haut, le plafond laisse passer une lumière du jour tamisée. Dès l’entrée, la statue colossale de Ramsès II, découverte en 1854 à Memphis, première capitale de l’Égypte ancienne située au sud du Caire actuel, s’impose en majesté du haut de ses 11 mètres et 99 tonnes. Nasser l’avait fait installer en 1954 au centre-ville, sur la place de la gare Ramsès, pour renforcer l’identité nationale. Elle a résisté vaillamment alors qu’au milieu des routes et auto-ponts embouteillés, entre pollution et vents du désert, personne ne la voyait.

De cet atrium part « le grand escalier ». Terme sobre pour désigner une des réalisations les plus spectaculaires du musée qui couvre 6.000 m2. À mesure que l’on grimpe les 108 marches – ou que l’on emprunte l’escalier mécanique sur le côté -, défilent statues, sarcophages, pyramides, colonnes, ordonnés selon quatre thèmes: l’image royale, la maison divine, les dieux et le concept d’éternité. « Ici, les visiteurs expérimentent l’élégance et la grandeur des temps anciens, ils voyagent vers l’éternité à travers un design moderne, explique Ahmed Ghoneim, dernier directeur en date, nommé en octobre 2024, qui vante sans modestie le musée dont il a hérité. L’architecture et le design en font une institution unique en son genre. » Difficile de lui donner tort. La montée des marches se termine devant une baie vitrée offrant une vue imprenable sur les pyramides situées à 2 kilomètres de là.

L’aile Toutankhamon, future star du Grand Musée égyptien

Encore inaccessible, une aile entière du bâtiment est réservée à Toutankhamon. Elle présentera pour la première fois les 5644 objets découverts dans la tombe par Howard Carter en 1922. Tous ont été traités, répertoriés, restaurés si besoin dans le centre de conservation adjacent au musée. Cette galerie, pensée comme une tombe, en restitue l’ambiance. Elle sera la star du GEM, car pour les Égyptiens, si les touristes vont voir la Joconde à Paris, ils iront voir Toutankhamon au Caire.

Autre moment fort de la visite du musée: une aile conçue spécialement pour accueillir la première barque de Kheops longue de 43 mètres. Sur la gauche, les 12 galeries, ouvertes, elles, depuis octobre dernier, se consacrent chacune à une époque et un thème, société, royauté ou croyances. Les 15.000 œuvres exposées offrent un long voyage à travers 4000 ans d’histoire, organisé chronologiquement. Les premières dynasties n’ont rien à envier aux suivantes, même si les noms des rois et dignitaires de cette époque reculée restent obscurs. Le mobilier funéraire de Hétéphérès, reine de la IVe dynastie, épouse (ou concubine) de Snéfrou, mère de Kheops, en donne un bel exemple. Sa tombe a été découverte sur le plateau de Gizeh en 1925 par l’équipe américaine de George Reisner. Une cachette a livré bijoux, vaisselle, vases canopes, fauteuil, lit en bois doré, tous témoignant du luxe et de la finesse artistique qui existait déjà vers 2600 avant notre ère, soit 1300 ans avant Toutankhamon (1345-1327 avant notre ère).

Au fil des salles, les chefs-d’œuvre se succèdent jusqu’à épuisement, l’objectif est clairement de séduire le plus grand nombre, les cartels et panneaux restant très généralisants, au détriment de mises en contexte précises. Mais le charme opère. Ici, une perruque de cheveux humains datée de 1100 avant notre ère, là, les tablettes sur lesquelles écrivaient les écoliers durant la période gréco-romaine… Ces galeries font la fierté de Miral Mahmoud et Jasmine Mohamed, deux jeunes archéologues conservatrices qui travaillent au GEM depuis 2015.

Miral, formée à l’université d’Assiout, a participé aux fouilles françaises de Saqqarah. Elle a rejoint les réserves et le centre de conservation alors que le musée n’était pas encore sorti de terre: « Ici, c’était du sable « , se souvient-elle. Avec une centaine de collègues, elle a travaillé dix années à enregistrer, décrire, documenter chaque objet, et toutes deux se sont formées sur place, mais aussi en France. « Nous nous posions la question: que mettre dans chaque vitrine?, raconte Jasmine Mohamed, qui a étudié l’histoire de l’art à l’université du Caire. Pour Toutankhamon par exemple, nous avons organisé trois conférences internationales afin de discuter avec les spécialistes des objets exposés et de leur présentation. Nous avons abordé les défis liés au transfert des pièces monumentales. »

L’autre musée du Caire

On se souvient de la grande parade des momies organisée en grande pompe au Caire en avril 2021: 22 tanks avaient transporté les rois et reines de l’Égypte antique pour les amener du musée de la place Tahrir au Musée national de la civilisation égyptienne (NMEC), un splendide musée moderne situé au sud de la ville, ouvert en 2021. Il abrite donc en son sous-sol les momies de 17 pharaons et trois reines, les lignées de Ramsès, Thoutmosis, Séthi…, impressionnantes de présence.

Les deux musées se veulent complémentaires, le directeur du NMEC El Tayeb Abbas, égyptologue, étant auparavant à la tête du GEM. Il a élargi son champ d’action: « Ici nous présentons toute l’histoire de l’Égypte jusqu’à nos jours, avec des œuvres choisies en fonction de l’histoire qu’elles racontent. »

Plusieurs momies égyptiennes ont rejoint leur nouveau musée lors d’un spectacle grandiose
Des œuvres récupérées dans tous les musées du pays

Les équipes ont récupéré des œuvres dans tous les musées du pays, comme ceux de Charm el-Cheikh ou de Louxor, au grand dam de leurs conservateurs respectifs. Mais la plupart des objets, dont beaucoup sont exposés pour la première fois, dormaient dans les réserves du vieux musée de la place Tahrir, le Musée égyptien du Caire.

Inauguré en 1902, il avait lui-même accueilli les collections d’un musée du quartier de Boulaq, créé par Auguste Mariette à l’époque où l’égyptologie était essentiellement française. Poussiéreux à souhait, le musée de Tahrir a dû se séparer de Toutankhamon et de la plupart de ses réserves, qui étaient de toutes façons invisibles. Aujourd’hui, ses vitrines sont sales ou mal éclairées, mais le vieux bâtiment possède encore de beaux atours et beaucoup de charme. Notamment un trésor peu connu, aussi beau que celui de Toutankhamon selon les spécialistes, découvert dans les années 1940 par l’archéologue français Pierre Montet dans la nécropole de Tanis, dans le delta du Nil. Il comprend les bijoux des rois régnant vers 1000 avant notre ère et le sarcophage en argent de Psousennès Ier, un métal plus rare et plus cher que l’or à l’époque en Égypte.

Conçu pour remplacer le musée de la place Tahrir (qui continuera à exister), le GEM a résolument choisi la modernité, même s’il affiche déjà une histoire de trente ans ! Le projet date en effet des années 1990, du temps d’Hosni Moubarak et de sa femme Suzanne. Au terme d’un appel d’offres remporté en 2003 par l’agence irlandaise Heneghan-Peng, le premier coup de pelle du chantier est donné en 2005. La révolution de 2011 met fin aux trente ans de règne de Moubarak. Les élections qui suivent placent au pouvoir les Frères musulmans, stoppés en 2013 par un coup d’État militaire du général Sissi, toujours aux commandes de l’Égypte.

Une entreprise égyptienne et le ministère de la Défense reprennent le projet du GEM en 2015. Il faut néanmoins trouver d’autres financements pour assouvir le puits sans fonds du chantier. Estimé à ses débuts à 550 millions de dollars, son coût a largement dépassé le milliard. Les Japonais prêtent une énorme somme (800 millions de dollars), une exposition internationale sur Toutankhamon (Los Angeles, Paris, Sydney…) est organisée pour renflouer les caisses en 2019, mais les ennuis se poursuivent: le Covid-19 stoppe une nouvelle fois le chantier en 2020 ; la chute du tourisme, la crise économique et peut-être la folie des grandeurs du projet obligent à reporter sans cesse une ouverture annoncée tous les six mois depuis 2022.

Aujourd’hui, l’enjeu est crucial pour le gouvernement: le GEM est une affaire d’État, traitée directement au plus haut niveau. Il y va en effet de l’honneur national et accessoirement des finances publiques. Le directeur actuel Ahmed Ghoneim, économiste de formation, affiche des ambitions… très élevées: « L’objectif du GEM est de potentiellement devenir le musée le plus important du monde, le ‘musée des musées’, à la fois héritage culturel et centre de recherches et d’éducation scientifiques. Il jouera également un rôle clé dans les relations diplomatiques, en recevant des délégations étrangères et nous y organiserons des événements internationaux. »

Des infrastructures touristiques à la mesure

Sur place, la dimension économique et commerciale du musée n’est pas négligeable. À l’intérieur, des galeries du rez-de-chaussée accueillent restaurants et boutiques de luxe. À l’extérieur, une deuxième esplanade est réservée à des salons d’entreprises. Un nouvel aéroport « Sphinx », situé non loin de Gizeh, a ouvert récemment pour convoyer directement les touristes sur place. Et les visiteurs VIP suffisamment riches pourront assister, moyennant 400 dollars (au lieu des 2000 initialement prévus !), à la restauration de la seconde barque solaire de Kheops, très abîmée, menée par une équipe égypto-japonaise.

Le GEM symbolise donc une autre Égypte qui a entouré son passé d’un écrin moderne, magnifique et lisse. Aux antipodes d’une autre réalité, dure et chaleureuse, incarnée par le tumulte des routes et la résilience des automobilistes du Caire.

L’enquête impossible

Combien de fois Sciences et Avenir vous a-t-il proposé des reportages, des dossiers, des hors-séries consacrés à l’Égypte? Si aujourd’hui ces sujets sont devenus rares, c’est que se rendre sur place est devenu extraordinairement difficile pour un journaliste. Même pour visiter un musée qui n’a rien de secret. Il a fallu une accréditation officielle des autorités pour interviewer des conservateurs. Deux mois de démarches quasi quotidiennes auprès de l’ambassade d’Égypte, du Centre international de la presse au Caire et du GEM, qui exigent même les questions à l’avance ! Sans l’accréditation, les membres du musée ont interdiction de parler. Malgré un report du voyage d’un mois, notre envoyée spéciale n’a réussi à l’obtenir qu’une fois sur place. Un succès que nous n’avions pas connu l’an passé pour accompagner des archéologues français sur un champ de fouilles.

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