Africa-Press – Guinee Bissau. Le 29 octobre, une comète venue des profondeurs de la galaxie s’est approchée à 210 millions de kilomètres du Soleil entre les orbites de la Terre et de Mars. Sa vitesse était alors faramineuse: 246.000 kilomètres/heure, faisant de ce corps glacé la comète la plus rapide et la plus énergétique observée à ce jour ! Elle a repris ensuite son périple en s’éloignant de notre étoile, passant en mars 2026 à proximité de Jupiter et en décembre de Saturne jusqu’à s’échapper du Système solaire pour ne plus jamais y revenir.
Entre-temps, et pendant près d’un an et demi, les astronomes auront les yeux rivés sur cet objet céleste rarissime: une comète formée auprès d’une autre étoile que la nôtre qui fournira « des informations extrêmement précieuses sur son système stellaire d’origine « , s’émerveille Olivier Hainaut, de l’Observatoire européen austral (ESO). Dénommé 3I/Atlas, c’est seulement le troisième objet interstellaire identifié pour le moment, après 1I/’Oumuamua en 2017 et 2I/Borisov en 2019. Or, ce nouvel intrus « cumule les superlatifs et se distingue déjà fortement de ses prédécesseurs « , s’ébahit l’astronome, sachant que les observations les plus intéressantes sont peut-être à venir.
La découverte de 1I/’Oumuamua (« I » pour interstellaire, ‘Oumuamua signifiant « messager » en langue hawaïenne) constitua un énorme coup de chance. Ce petit objet peu lumineux d’environ 100 mètres de longueur était très proche du seuil de détection de l’instrument qui l’a repéré – l’observatoire Panstarrs (Panoramic survey telescope and rapid response System) à Hawaii (États-Unis). « Il est passé au bon endroit et au bon moment. Trois jours plus tôt ou plus tard, Panstarrs l’aurait probablement manqué « , rappelle Olivier Hainaut. Sa trajectoire hyperbolique et sa vitesse très élevée (95.000 km/h) trahissaient son origine extrasolaire.
L’idée loufoque du vaisseau extraterrestre
Après avoir soutenu, dès 2018, que le premier objet interstellaire 1I/’Oumuamua serait une sonde extraterrestre, l’astrophysicien Avi Loeb de l’université Harvard (États-Unis) récidive. Dans une étude publiée le 16 juillet, il avance que ce troisième visiteur pourrait être un objet « technologique « , « potentiellement hostile « , venu nous épier – une théorie abondamment relayée par les réseaux sociaux. Parmi les arguments évoqués: les dimensions étonnement grandes de 3I/Atlas, sa trajectoire quasiment parallèle à l’écliptique, ses passages tout près de Vénus, Mars, Jupiter… et le fait qu’il se situera de l’autre côté de la Terre au moment du périhélie – position idéale pour rester caché. « 3I/Atlas ressemble à une comète, se comporte comme une comète, donc c’est une comète… , rappelle Olivier Hainaut. Il faut garder à l’esprit que les explications les plus simples reposant sur le moins d’hypothèses possible sont généralement les meilleures. »
Mais ‘Oumuamua ne ressemblait pas du tout à ce que les scientifiques imaginaient. La naissance d’un système stellaire engendre en effet des milliards de petits corps qui n’ont pas pu s’agglomérer pour former des planètes: des astéroïdes d’une part, composés de roches et de métaux, dans les régions internes relativement chaudes ; des comètes d’autre part, mélanges de poussières et de glaces gravitant dans des zones bien plus froides et éloignées. « Mais les comètes sont probablement 1000 fois plus nombreuses que les astéroïdes. Et parce qu’elles évoluent dans les régions externes, elles sont éjectées plus facilement dans l’espace interstellaire par des perturbations causées par des planètes géantes ou les étoiles voisines « , explique Nicolas Biver, de l’observatoire de Paris.
Si les astronomes espéraient détecter depuis des dizaines d’années de tels astres, ils s’attendaient ainsi « avec une probabilité supérieure à 99 % » à ce que ce soient des comètes, signale l’expert. Or, ‘Oumuamua ne présentait ni atmosphère (appelée aussi « coma »), ni queue de poussières que les comètes produisent lorsque leurs glaces se réchauffent en s’approchant d’une étoile. Ce premier visiteur se comportait donc plutôt comme un astéroïde… ayant une forme très allongée qui plus est, ressemblant à une galette ou un cigare ! Repéré alors qu’il s’éloignait déjà du Soleil, ce mystérieux voyageur n’a été observé que pendant une vingtaine de jours. « On n’a recueilli presque aucune information sur sa composition, si bien que les hypothèses concernant sa nature sont pratiquement invérifiables, reconnaît Nicolas Biver. La mise en évidence d’une petite accélération sur sa trajectoire pourrait s’expliquer cependant par un dégazage de type cométaire à un niveau indétectable par nos instruments. »
À partir de 2026, le nombre de détections devrait bondir
2I/Borisov était beaucoup plus conforme aux attentes des chercheurs. Découvert par l’astronome amateur ukrainien Guennadi Borisov, il était entouré d’un nuage de poussières et de gaz ne laissant aucun doute sur sa nature cométaire. Ce deuxième spécimen, qui mesurait 1 km de diamètre et traversait notre système solaire à 110.000 km/h, a été détecté en outre avant le périhélie – point de l’orbite où l’objet est au plus proche du Soleil. Il sera examiné ainsi pendant dix mois par de nombreux observatoires comme Hubble ou le Very large telescope (VLT).
En analysant la lumière émise par le halo, ils détecteront du carbone diatomique, du monoxyde de carbone, du cyanogène et de la vapeur d’eau. « Des molécules qu’on retrouve dans toutes les comètes du Système solaire, souligne Emmanuel Jehin, de l’université de Liège (Belgique). Il était fascinant de constater, grâce à 2I/Borisov, que des mécanismes similaires étaient à l’œuvre dans d’autres systèmes stellaires pour former des petits corps et fabriquer les planètes. » Si les ingrédients de base paraissaient identiques, les scientifiques s’attendaient néanmoins à ce que les proportions fluctuent selon les spécificités du système d’origine. Par rapport à la moyenne des comètes solaires, 2I/Borisov expulsait ainsi trois fois plus de monoxyde de carbone – un gaz qui se solidifie à très basse température. Il proviendrait ainsi d’une étoile plus froide et moins lumineuse que le Soleil, telle une naine rouge.
Avec seulement deux spécimens dont un très étrange, il était toutefois très difficile de tirer des conclusions générales. Au début de cet été, « nous nous demandions encore si la découverte de 1I/’Oumuamua et 2I/Borisov ne résultait pas d’un heureux hasard et s’il ne fallait pas attendre une ou plusieurs décennies avant d’en détecter un nouveau « , témoigne Emmanuel Jehin. La découverte, le 1er juillet, d’un troisième exemplaire par le réseau de surveillance Atlas (Asteroid terrestrial-impact last alert system) a clos le débat.
« Nous savons désormais que les systèmes de détection automatique comme Panstarrs ou Atlas ont franchi une limite et sont suffisamment performants pour débusquer ces objets « , se réjouit le chercheur. Sans compter qu’un instrument aux capacités extraordinaires, l’observatoire Vera-Rubin situé au Chili, révolutionnera à partir de janvier 2026 le domaine.
Grâce à son miroir de 8,4 mètres de diamètre et sa caméra grand champ de 3,2 milliards de pixels, il photographiera tous les trois jours la totalité du ciel austral avec une sensibilité inouïe. De quoi déceler « entre cinq et 50 objets interstellaires pendant les dix années d’exploitation du Vera-Rubin, espère Olivier Hainaut. Et établir des statistiques solides sur le nombre, la composition et la provenance de ces astres. »
Plus le corps interstellaire est rapide, plus il est âgé
« 3I » fournit déjà un fabuleux avant-goût des découvertes à venir. « Il produit tellement de poussières que le noyau est très difficile à visualiser « , indique Olivier Hainaut. Selon les estimations actuelles, il mesurerait toutefois jusqu’à 5 km de large ! Ce qui est certain, c’est que sa vitesse est deux fois plus élevée que celle des deux premiers touristes intersidéraux, fournissant des indications très intéressantes sur son origine. « Il existe une corrélation entre la vitesse d’un corps interstellaire et son âge, explique le chercheur. Plus il est rapide, plus il est probable qu’il circule depuis longtemps dans la galaxie, en accélérant à chaque fois qu’il passe dans le voisinage d’une étoile. »
Selon une étude publiée en juillet par une équipe britannique, 3I/Atlas serait ainsi âgé d’au moins 7 milliards d’années. Soit trois de plus que le Système solaire, ce qui ferait de 3I/Atlas la plus vieille comète jamais observée ! Un second indice plaide pour un objet très ancien. En extrapolant sa trajectoire et en remontant le temps, on peut se faire une idée en effet de l’endroit d’où il vient: une région de la galaxie à la fois centrale et appartenant à ce que les astronomes appellent le « disque épais ». Contrairement au disque mince qui contient la majorité des étoiles, relativement jeunes de surcroît à l’instar du Soleil, cette structure est peuplée d’astres épars âgés de 8 à 12 milliards d’années. « Ils sont en outre moins riches en éléments lourds comme le fer ou le silicium – jusqu’à dix fois moins que le Soleil, précise Emmanuel Jehin. L’étude de 3I/ Atlas pourrait fournir ainsi des données inestimables sur ces systèmes très anciens et leurs capacités à former des planètes, notamment rocheuses. »
Grâce au VLT, à Hubble et surtout à l’observatoire spatial James Webb, une variété de substances ont d’ores et déjà été détectées dans cette comète nomade, possible témoin des premiers âges de la galaxie: de l’eau gazeuse et solide, du monoxyde et dioxyde de carbone, du sulfure de carbonyle, de l’acide cyanhydrique, du cyanogène, du nickel et du fer. « En deux mois, nous avions recueilli davantage d’informations sur 3I/Atlas qu’après un an d’observations de 2I/Borisov – notamment en raison du James Webb qui n’existait pas à l’époque « , relève Nicolas Biver. Là encore, les molécules identifiées sont présentes également dans les comètes locales. Mais la quantité de dioxyde de carbone dépasse cette fois toutes les proportions connues. Elle est huit fois plus importante que la vapeur d’eau, alors que ce rapport se situe entre 0,2 et 1 pour nos comètes à la même distance du Soleil.
Cette prédominance suggère que 3I/ Atlas se serait formé dans un environnement très froid contenant des quantités importantes de carbone et d’oxygène. « Elle pourrait résulter aussi de processus chimiques encore inconnus, produits à la surface de la comète pendant son périple dans le milieu interstellaire, se demande Emmanuel Jehin. Enfin, il est possible que l’eau, du fait de ce long voyage, mette plus de temps à dégeler et se transformer en vapeur. Nous n’aurons une image claire qu’après le périhélie, quand l’inertie thermique aura eu le temps de bien chauffer les glaces internes. »
Les observations reprendront après le périhélie
Pendant le périhélie, 3I/Atlas sera hélas de l’autre côté du Soleil par rapport à la Terre. Les télescopes au sol et dans l’espace ne pourront donc pas observer cette étape clé où le dégazage est maximal et l’enveloppe lumineuse la plus développée. « C’est à cet instant, aussi, qu’une comète a le plus de chance de se fragmenter sous l’effet d’un choc thermique, mettant à nu l’intérieur. On ne sait pas ce qu’il adviendra pour 3I/Atlas, mais s’il doit se passer quelque chose, ce sera à ce moment-là « , trépigne Olivier Hainaut.
Des sondes interplanétaires, tels les orbiteurs martiens Maven, MRO et Mars Express, ou le satellite Juice qui fait route vers Jupiter, observeront peut-être une partie du spectacle, mais « leurs instruments n’ont pas été conçus pour analyser la composition d’une comète « , souligne l’astronome. Dès la mi-novembre, Hubble puis le James Webb ainsi qu’une armada de télescopes terrestres reprendront toutefois leurs observations, sans doute jusqu’à fin 2026. « Nous espérons détecter alors une panoplie de composés comme de l’ammoniac, du sulfure d’hydrogène et des molécules organiques « , s’enthousiasme Nicolas Biver. De quoi en apprendre davantage sur cet astre venu d’ailleurs, préciser son origine et révéler peut-être de nouveaux secrets sur la formation des systèmes planétaires.
« La mission Comet Interceptor se focalisera sur les comètes de notre système solaire »
Joan-Pau Sanchez Cuartielles est chercheur à l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace à Toulouse.
Sciences et Avenir: La comète interstellaire 3I/Atlas peut-elle être rejointe et étudiée de près par une sonde spatiale?
Joan-Pau Sanchez Cuartielles: Il n’existe aujourd’hui aucune sonde conçue pour une telle expédition. Mais une mission, Comet Interceptor, est en développement au sein de l’Agence spatiale européenne: elle sera lancée en 2029 pour rejoindre le point Lagrange L2 à 1,5 million de kilomètres de la Terre, afin d’attendre une cible puis fondre sur elle.
Si elle était opérationnelle, pourrait-elle atteindre 3I/Atlas?
Non. Pour croiser 3I/Atlas au point d’interception optimal, l’engin aurait dû s’élancer 825 jours auparavant – soit le 2 août 2023. Or, 3I/Atlas se trouvait alors à plus de 4 milliards de kilomètres du Soleil, bien au-delà des capacités de détection de nos télescopes ! Pour que Comet Interceptor atteigne un objet interstellaire dans les années à venir, il faudra que celui-ci passe à moins de 180 millions de kilomètres de notre planète.
D’autres cibles sont-elles envisagées?
Le survol d’un objet interstellaire n’est pas l’objectif prioritaire de Comet Interceptor. Les cibles principales concerneront des comètes venant des régions les plus éloignées de notre étoile et qui s’approcheraient du Soleil pour la première fois. Des astres qui refléteront la composition originelle du Système solaire.
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