Afrique – « Cuisiner propre » : un enjeu alimentaire, mais pas seulement

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Afrique – « Cuisiner propre » : un enjeu alimentaire, mais pas seulement
Afrique – « Cuisiner propre » : un enjeu alimentaire, mais pas seulement

Sylvie Rantrua

Africa-Press – Guinee Bissau. ÉTUDE. Selon un récent rapport de la Banque mondiale, le mode de cuisson a un impact plus fort qu’on ne l’imagine sur les populations et sur l’environnement.
Alors que les échos de la COP27 continuent à nous parvenir, une autre question capitale est à prendre en compte. Il s’agit de l’impact sur la santé des populations et sur l’environnement de la cuisson à l’aide de biocombustibles. Selon une étude de la Banque mondiale, 2,8 milliards de personnes sur la planète n’ont pas accès à des combustibles ni à des technologies de cuisson propre. Un milliard d’Africains ont recours à des modes de cuisson traditionnels, au bois et au charbon de bois, voire au kérosène, de quoi à la fois polluer mais aussi avoir un impact négatif à travers le déboisement. La situation, loin de s’améliorer, s’aggrave.

Plus de biocombustibles consommés

Entre 2010 et 2020, le pourcentage de personnes dépendant des biocombustibles dans leur mode de cuisson a augmenté de 20 %, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). À la pandémie de Covid-19 qui a fragilisé un grand nombre de familles sur le continent africain s’ajoutent aujourd’hui les conséquences de la hausse du prix de l’énergie. Le prix du gaz (GPL), qui a bondi de plus de 60 % depuis décembre 2019, fragilise l’accès à un combustible plus propre et plus sûr pour cuisiner, notamment dans les villes où son utilisation est la plus répandue. Au Kenya, par exemple, le prix des bouteilles est passé de 4,5 % à 6 % du revenu mensuel des ménages les plus pauvres.

Un lourd bilan sanitaire et environnemental

La fumée de ces biocombustibles pollue l’intérieur des maisons, causant entre 2,5 et 4 millions de décès prématurés par an (plus que le paludisme, le VIH et la tuberculose), dont au moins 500 000 en Afrique subsaharienne. Elle provoque des troubles respiratoires aigus, des maladies cardiaques, des cancers, des cataractes… Les femmes, qui cuisinent au feu de bois ou au charbon, ainsi que leurs enfants sont les plus exposés à cette pollution intérieure. Ces pratiques contribuent aussi à une déforestation massive. En zone urbaine, les familles optent le plus souvent pour le charbon de bois produit à partir de l’exploitation anarchique des forêts environnantes. Dans les campagnes, la collecte du bois de chauffe implique de longues corvées quotidiennes, notamment pour les femmes et les filles, ce qui se traduit par des opportunités éducatives et économiques perdues.

Un coût sur la richesse nationale

« À cause de ses effets délétères sur la santé, le climat et l’égalité hommes-femmes, l’absence de progrès sur le plan de la cuisson propre ampute chaque année la richesse mondiale de plus de 2 400 milliards de dollars. Parce qu’elles se ruinent la santé et risquent leur sécurité, sans oublier les pertes de productivité, les femmes supportent une part disproportionnée de ce coût », observait Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour les infrastructures, en présentant le rapport publié en 2020 sur « L’état de l’accès aux services énergétiques moderne pour la cuisson ».

Un fort sujet de débats

Cette question était aussi l’objet du « Clean Cooking Forum », organisé par l’Alliance pour la cuisson propre (CCA) qui s’est tenu en octobre dernier au Ghana, réunissant près de 700 personnes. « Il sera impossible d’atteindre les objectifs climatiques mondiaux, de réaliser une transition énergétique juste et propre, de protéger notre environnement, d’atteindre l’égalité des sexes et d’offrir un avenir à la prochaine génération, sans changer la façon dont les gens cuisinent », a averti la première dame du Ghana, Rebecca Akufo-Addo, à l’ouverture de cet important forum.
De son côté, pour Ed Brown, chercheur à l’université de Loughborough en Angleterre, « il est moins cher d’utiliser l’électricité pour cuisiner que d’utiliser les méthodes de cuisson traditionnelles ». « C’est un mythe que cuisiner à l’électricité coûte cher. Si vous regardez les données et le volume des recherches effectuées, il est clair que l’utilisation de l’électricité pour cuisiner est beaucoup moins chère que l’utilisation du charbon de bois ou du GPL », a-t-il poursuivi. Encore faut-il avoir l’accès à l’électricité, ce qui n’est pas le cas de 600 millions d’Africains.

Quid du solaire comme solution ?

Parmi les solutions les plus efficaces et les moins onéreuses, il y a « l’énergie solaire et des batteries, associée à des appareils efficaces, autocuiseurs électriques, ainsi que de nouveaux modèles commerciaux, offrent désormais un immense potentiel pour parvenir à un accès universel à une cuisine propre », avance une note de l’Ifri. Son auteur Cédric Philibert fait remarquer que « des décennies de déploiement de foyers améliorés » (ICS) ont apporté relativement peu de changements. « Ils ne sont généralement pas assez efficaces pour réduire de manière significative la consommation de biomasse, et pas assez propres pour réduire la pollution de l’air intérieur », précise-t-il.

Surmonter l’obstacle des prix élevés

Un mix de sources d’énergie est déjà courant dans de nombreux foyers et devrait le rester. Cependant, des solutions doivent être mises en place pour surmonter le problème du coût élevé pour l’acquisition d’un autocuiseur électrique. Des mécanismes de financements climatiques internationaux peuvent être déployés dans ce sens puisque l’autocuiseur contribue à l’atténuation des gaz à effet de serre en réduisant l’utilisation de combustibles fossiles, la déforestation et les émissions de carbone provenant de la cuisson avec biomasse.

Un test révélateur

Pour mieux appréhender la cuisine en tant qu’habitude culturelle, des scientifiques de l’université de Loughborough ont développé une méthodologie pour comparer les apports d’une cuisine à l’énergie moderne dans le cadre du Programme de soutien à des services énergétiques modernes pour la cuisson (MECS). L’étude a porté sur un échantillon de 20 ménages répartis dans 4 pays, dont 3 africains (Kenya, Zambie et Tanzanie).
Pendant les deux premières semaines, ils cuisinaient comme d’habitude avec leurs propres combustibles et réchauds. Pendant les quatre autres semaines, ils sont passés à la cuisine électrique avec différents appareils. Les quantités de carburants étaient mesurées avec précision, y compris l’électricité. Les résultats obtenus ont montré que, dans la réalité, pour tous les types de repas, avec un ensemble d’appareils de cuisson électriques efficaces et inefficaces, la cuisson à l’électricité utilise environ un dixième de l’énergie de la cuisson au charbon de bois, et la moitié de l’énergie de la cuisson au GPL. Les autocuiseurs électriques utilisent moins de la moitié de l’énergie des plaques chauffantes électriques.

L’accès universel : un coût élevé

Selon le rapport de la Banque mondiale, il faudrait mobiliser chaque année 150 milliards de dollars pour parvenir à un accès universel à des services énergétiques modernes pour la cuisson à l’horizon 2030. Le rapport évoque aussi un scénario moins ambitieux. Pour parvenir à un accès universel à des services de cuisson améliorés à l’horizon 2030, il faudrait mobiliser 10 milliards de dollars par an, dont 6 milliards de contributions publiques, et ce pour veiller à l’accessibilité des dispositifs, le reste étant assumé par les ménages.

La « cuisine propre », un marqueur

« La cuisine propre est une opportunité importante pour les économies avancées de montrer leur volonté d’accompagner le monde en développement vers une transition énergétique propre et sûre », a déclaré Fatih Birol, directeur exécutif de l’Agence internationale de l’énergie, lors de cette édition du Forum Clean Cooking. De quoi conclure que la crise énergétique actuelle peut et doit être un tournant dans l’effort mondial pour répondre à ce besoin énergétique de base pour chaque personne. Une donne qui ne devrait pas échapper aux participants à la COP27 de Charm el-Cheikh.

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