Tempête solaire, chaos terrestre

11
Tempête solaire, chaos terrestre
Tempête solaire, chaos terrestre

Africa-Press – Guinee Bissau. Les colères du Soleil pourraient-elles un jour détraquer les communications sur Terre, et par là même menacer toutes les activités humaines ? Comme tout objet du Système solaire, notre planète baigne en effet dans l’héliosphère, autrement dit l’atmosphère du Soleil. Notre étoile émet, en continu, un flux de particules chargées, essentiellement des protons et des électrons, à des vitesses de quelques centaines de kilomètres par seconde. Ce “vent solaire” parvient au voisinage de la planète en seulement deux à trois jours.

En s’approchant de la Terre, les particules commencent à interagir avec le champ magnétique terrestre, créant une région baptisée magnétosphère qui se comporte un peu comme la pile d’un pont : l’essentiel des particules sont déviées, formant à l’arrière une traînée qui peut s’étendre à des millions de kilomètres. “Mais la magnétosphère n’est pas complètement étanche, si bien que des particules pénètrent dans l’atmosphère, notamment côté nuit, et accélèrent avant d’interagir à haute altitude, dans les régions polaires, avec des atomes d’hydrogène, d’oxygène, d’hélium ou d’azote, explique Lina Hadid, du laboratoire de physique des plasmas de l’École polytechnique. Ces interactions excitent les atomes, qui retrouvent leur état fondamental en émettant de la lumière.”

Par temps solaire calme, ces émissions sont le plus souvent invisibles à nos yeux. Mais des éruptions solaires peuvent souffler des bouffées de vents plus énergétiques et rapides : la magnétosphère est alors le siège d’une tempête géomagnétique, et les nuits polaires offrent une vision féerique. Ce sont les aurores boréales (au nord) ou australes (au sud) : si l’oxygène rencontre les vents vers 100 kilomètres d’altitude, il émet du vert ; vers 200 kilomètres, il diffuse du rouge. De son côté, l’azote pare le ciel de rose et parfois de rouge sombre, quand l’hélium et l’hydrogène peignent la nuit de nuances bleues et mauves. Un spectacle qui évolue au gré du cycle d’activité solaire. Plus on s’approche du pic – le prochain est prévu en 2025 –, plus la couronne solaire connaît des événements tempétueux, notamment des éruptions, dont certaines provoquent d’importantes éjections de plasma à grande vitesse, parfois accompagnées de flashes de rayons UV ou X. Dans ce cas, les aurores sont plus intenses et peuvent descendre très bas en latitude. Ainsi, le 27 février dernier, des drapés colorés verts et rouges ont été observés en France. “On a calculé que cette aurore s’est produite au-dessus de Manchester”, raconte l’astrophysicien Jean Lilensten, de l’Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble.

Et le réseau s’écroula tel un château de cartes

Mais les colères de notre astre peuvent avoir de lourdes conséquences. Le premier événement d’envergure répertorié remonte à 1859, lors d’une forte éjection de masse coronale. Le courant engendré par cette tempête géomagnétique a détruit une partie du réseau de télégraphie sans fil en Europe et en Amérique du Nord : des opérateurs radio ont rapporté des cas d’étincelles et même d’arcs électriques jaillissant de leurs installations. Ce courant descendant vers la Terre était si intense que certaines communications ont pu se poursuivre pendant deux heures alors même que l’alimentation avait été coupée !

À l’époque, la télégraphie sans fil était la technologie la plus avancée. Mais, pour nos sociétés totalement dépendantes de l’électricité et de l’électronique, les caprices du Soleil ont aujourd’hui des conséquences bien plus importantes. Ainsi, en mars 1989, plus de six millions de personnes, au Québec et dans l’État de New York, ont été privées d’électricité pendant plus de dix heures. À l’origine de cette coupure, une tempête géomagnétique engendrant un puissant courant électrique vers le sol, qui a déstabilisé des transformateurs au moment d’un pic de consommation – il faisait particulièrement froid ce jour-là. Le réseau à haute tension s’est alors écroulé comme un château de cartes.

Les colères du Soleil peuvent également provoquer une corrosion accélérée des pipelines installés en surface, rendre les radars inopérants, perturber les antennes-relais ou encore dégrader la précision des systèmes de navigation par satellite (GNSS), comme le GPS ou Galileo. “Une tempête magnétique peut modifier la vitesse des ondes électromagnétiques dans l’air, où se propagent les signaux de positionnement, et donc leur trajectoire”, explique Jean Lilensten. Or le fonctionnement des GNSS repose sur des mesures précises : le récepteur déduit sa position du temps qu’ont mis les signaux de quatre satellites, au moins, pour lui parvenir. “Si ces durées sont modifiées, la triangulation conduit à des erreurs, poursuit l’astrophysicien. Ce n’est pas forcément très grave pour nos appareils du quotidien, mais une erreur de quelques mètres sur un récepteur militaire peut conduire à rater une cible.”

Dans l’espace, les satellites se trouvent en première ligne. Les particules, ou encore des flashes UV ou X, peuvent frapper leurs parois et y engendrer des étincelles. Si une puce électronique est affectée, par exemple pour le contrôle d’attitude de l’engin, celui-ci risque de se mettre à tourner sur lui-même et d’être perdu. “De même, les éruptions solaires endommagent les panneaux photovoltaïques des télescopes spatiaux ou vieillissent leurs instruments”, rappelle Jean Lilensten. Enfin, l’arrivée de vents solaires peut parfois augmenter la densité de l’atmosphère à haute altitude, donc freiner un engin qui s’y trouve… ce qui le fait plonger. “La probabilité de perdre chaque année un satellite par collision avec un débris spatial est d’environ 0,01 %, explique Lina Hadid. Cela peut paraître peu, mais avec l’essor des constellations de télécommunications, le nombre d’incidents va croître de manière exponentielle. En cas de forte perturbation solaire, les débris sont emportés par l’atmosphère et peuvent atteindre la Terre en quelques heures.”

Deux engins pour observer le Soleil, de face et de côté

S’ils sont prévenus suffisamment à l’avance, les opérateurs de satellites peuvent éviter le pire : “En repliant par exemple les panneaux solaires, en plaçant les gyroscopes en position de sécurité et en sauvegardant les données, explique Jean Lilensten. C’est pour cela que la météorologie de l’espace prend autant d’importance.” Compte tenu des instruments d’observation qui scrutent en permanence le Soleil, qu’ils soient sur Terre ou dans l’espace, cette discipline est en plein essor. “Nous commençons à prévoir des événements quatre jours à l’avance, ce qui permet par exemple d’éviter des périodes à risque pour un lancement d’Ariane, souligne le chercheur. Mais toutes les éjections de particules n’atteignent pas la Terre, et nous avons du mal à apprécier leur direction lorsqu’elles s’échappent de la couronne solaire. On ne peut être sûr d’un événement qu’une heure avant !” Comment faire mieux ?

D’une part, en améliorant les modèles, au fur et à mesure que la connaissance de la physique solaire progresse. D’autre part, en produisant des images stéréoscopiques – en relief – de la couronne de notre astre, comme ont pu le faire, à partir de 2006, les deux sondes Stereo de la Nasa. Une mission hélas devenue borgne après la perte de contrôle de l’un des deux engins en 2014. “L’Europe se coordonne de mieux en mieux, notamment sous l’égide de E-Swan, la nouvelle association européenne de météorologie et climatologie de l’espace”, se réjouit Jean Lilensten.

Dans l’idéal, déterminer la direction des particules passe par une observation de l’activité solaire de face et de côté. C’est pour cette raison que l’Agence spatiale européenne (ESA) prépare la mission Vigil, qui sera lancée dans quelques années. Dans un premier temps, il s’agit de placer un observatoire solaire au point de Lagrange L5, une région située à environ 150 millions de kilomètres de la Terre et du Soleil, au sommet du triangle équilatéral dont la base est formée par ces deux corps, et où les attractions respectives de la planète et de l’astre équilibrent la force centrifuge. Il donnera une vision en biais, précieuse pour la prévision. Par la suite, l’ESA envisage un second engin placé en un autre point d’équilibre gravitationnel (L1, entre la Terre et le Soleil), qui observera cette fois notre astre de face. Ce sera un grand pas pour renforcer la capacité d’alerte et permettre aux industriels, aux opérateurs et même aux compagnies aériennes d’anticiper les risques, puisque les tempêtes peuvent aussi endommager les instruments de bord et exposer les passagers et le personnel navigant à des rayonnements néfastes. Une météo de l’espace indispensable aussi pour éviter une asphyxie des réseaux électriques.

Aurores à la demande

Inventée par Jean Lilensten à partir de l’expérience du Norvégien Christian Birkeland qui a permis de comprendre le mécanisme des aurores, la Planeterrella est un simulateur qui recrée, dans une enceinte sous vide transparente, de véritables aurores polaires. Une vingtaine d’exemplaires sont installés dans le monde. En France, l’Observatoire des sciences de l’Univers de Grenoble, la Cité de l’Espace à Toulouse et le Palais de la Découverte à Paris organisent régulièrement des démonstrations.

Pour plus d’informations et d’analyses sur la Guinee Bissau, suivez Africa-Press

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here