Entre Soleil et Terre, une subtile alchimie

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Entre Soleil et Terre, une subtile alchimie
Entre Soleil et Terre, une subtile alchimie

Africa-Press – Guinee Bissau. Cet article est issu du magazine Les Indispensables de Sciences et Avenir n°214 daté juillet/ septembre 2023.

Le vent, les nuages, la pluie, l’air qu’on respire… tout vient du Soleil ! Entre troposphère (de 0 à 15 kilomètres) et stratosphère (jusqu’à 50 kilomètres), le chaos atmosphérique n’a qu’un seul moteur : notre étoile. Elle est à l’origine de la couche d’ozone qui nous protège de son ardeur ; son énergie réchauffe les mers, qui la diffusent grâce à leurs puissants courants, et ce sont les différences de température ainsi créées qui génèrent les vents ; tandis que le cycle de l’eau débute par l’évaporation de la surface océanique, formant nuages et pluies… Les humains ne font qu’apporter un grain de sel à ces mécanismes, en y injectant des gaz à effet de serre et les pollutions qu’ils engendrent par leur activité. Un rien qui suffit pourtant à bouleverser cet ensemble fragile et instable et à mettre en péril les conditions mêmes de la vie.

Il y a 4,6 milliards d’années, lorsque le Système solaire s’est formé, l’atmosphère terrestre – constituée principalement de dioxyde d’azote – et, surtout, un rayonnement ultraviolet intense excluaient toute forme de vie. L’énergie solaire, composée de toutes les ondes électromagnétiques, altère en effet l’ADN et perturbe le système reproductif de tous les êtres, végétaux comme animaux. De sorte que l’émergence de micro-organismes n’est survenue qu’entre 3,8 et 3,5 milliards d’années, et de façon précaire.

Mais il y a 2,4 milliards d’années, l’épisode de “la grande oxydation” change tout. Saturées en oxygène, les roches n’arrivent plus à le stocker. Dès lors, ce dernier s’accumule dans l’atmosphère. “Le rayonnement solaire va dissocier cet oxygène (O2) pour le transformer en ozone (O3), qui va former dans les hautes parties de la stratosphère une couche protectrice contre les ultraviolets, permettant l’épanouissement de la vie”, raconte Sophie Szopa, directrice de recherche au CEA. La couche d’ozone absorbe la totalité des UV-C et presque tous les UV-B, les plus dangereux pour les organismes vivants, mais laisse passer une grande partie des UV-A, lesquels frappent la surface terrestre et repartent vers l’espace sous forme d’infrarouges. C’est le phénomène d’albedo.

“Une partie de ce rayonnement infrarouge est retenue dans l’atmosphère par les gaz à effet de serre que sont la vapeur d’eau, le dioxyde de carbone (CO2), le méthane, poursuit Sophie Szopa. La température moyenne globale est ainsi de 14 à 15 °C, ce qui est favorable à la vie sur Terre.” La surface de la Terre reçoit ainsi du Soleil une puissance de 1.360 watts par mètre carré en moyenne. Une énergie qui permet à tous les organismes d’exister, puisqu’ils dépendent pour leur nourriture de la photosynthèse des plantes. “Il faut prendre conscience que nous aussi, humains, fonctionnons à l’énergie solaire”, s’amuse Daniel Lincot, chercheur émérite au CNRS.

C’est cette mécanique qu’est venue perturber l’activité humaine depuis le début de l’ère industrielle. En exploitant le charbon, le gaz et le pétrole, les humains ont relâché dans l’atmosphère le carbone – fruit de la photosynthèse – qui s’est accumulé dans les couches géologiques il y a 300 à 70 millions d’années. Entre 1750 et 2022, les teneurs en CO2 dans l’atmosphère sont ainsi passées de 280 parties par million (ppm, nombre de molécules par mètre cube d’air) à 416 ppm. Une plus grande partie de la chaleur solaire est donc retenue dans les basses couches de l’atmosphère. L’effet de serre se renforce si bien que, depuis 1850, la température de la planète a augmenté de 1,1 °C, sans que le Soleil en soit responsable.

Un bestiaire de milliers d’espèces de molécules

Avec la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) en 1988, la communauté des climatologues a pu se pencher plus attentivement sur la chimie atmosphérique afin de mieux comprendre ce qui absorbe le rayonnement solaire, et donc rafraîchit l’atmosphère, et ce qui retient la chaleur sur Terre. Les principaux gaz à effet de serre sont désormais mesurés précisément. Et par ballons-sondes, avions “renifleurs”, satellites équipés de lasers, les climatologues ont découvert un véritable bestiaire de plusieurs milliers d’espèces différentes de molécules, bactéries, particules s’ébattant au-dessus de nos têtes, notamment dans les nuages, formés – rappelons-le – par l’évaporation de l’eau au-dessus des océans réchauffés par le Soleil.

“C’est un univers extrême, où le fort rayonnement solaire et la présence d’oxydants puissants provoquent des changements très rapides entre phases gazeuse, solide, liquide”, expose Anne-Marie Delort, directrice de recherche à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. Ces oxydants sont de nature très diverse. Ainsi, dans les gouttelettes des nuages, des molécules de méthanol peuvent constituer du formaldéhyde, toxique, puis de l’acide formique et enfin, en bout de processus, du dioxyde de carbone.

Houssni Lamkaddam, chercheur à l’Institut Paul-Scherrer, en Suisse, a reconstitué le devenir d’une molécule naturellement émise par les arbres, l’isoprène, dans cet univers d’eau et surtout d’air baigné par le rayonnement solaire. Il explique que “ce composé est absorbé par les gouttelettes d’eau, puis subit une double oxydation dans les phases cycliques d’évaporation et de recondensation du nuage, formant des quantités considérables d’aérosols solides organiques”, ces mélanges de particules liquides ou solides en suspension. L’équipe suisse a pu démontrer que 70 % des isoprènes émis se transforment ainsi en aérosols, du moins dans les conditions choisies pour l’expérience, celles d’un nuage bas sous les tropiques.

Mais ces milliards de tonnes d’aérosols émises en permanence par des sources naturelles (végétaux, volcanisme, érosion des sols) ou humaines (carbone suie, méthane, CO2) font-ils écran au rayonnement solaire, ou retiennent-ils la chaleur ? Remis en 2022, le sixième rapport du Giec a statué sur leur rôle réel. “Il indique nettement que ces particules fines causées par la pollution sont responsables d’environ un tiers du réchauffement global, affirme Sophie Szopa. Même si de nombreuses incertitudes demeurent.” Difficile en effet d’y voir clair dans un nombre infini d’interactions entre des phénomènes globaux. L’augmentation de la température modifie par exemple le cycle de l’eau, favorisant la formation des nuages, et donc les précipitations, qui nettoient l’atmosphère de ses aérosols. Mais ceux-ci perturbent la formation des microgouttelettes à l’origine de la pluie !

Pollution et changement climatique, même combat

Une certitude cependant : la pollution atmosphérique anthropique, locale et éphémère, est fortement corrélée avec le changement climatique, global et pérenne. Le gaz qui en est le marqueur est l’ozone. “Dans les basses couches de l’atmosphère, c’est un oxydant qui affecte les poumons humains et réduit les rendements des cultures, rappelle Antoine Trouche, ingénieur à Airparif, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France. Il est créé par la dissociation, opérée par le rayonnement solaire, des oxydes d’azote et de composés organiques volatils (COV) émis par le trafic routier.” La lutte contre la pollution de l’air à l’échelle locale rejoint ainsi le combat contre le changement climatique. Ainsi, la limitation à 1,5 °C de la hausse des températures à l’horizon 2100 permettra aussi de faire baisser de 12 % les particules fines et de 30 % l’ozone néfaste des basses couches de l’atmosphère. Une chose est sûre : les interactions entre Soleil et atmosphère, si complexes, fournissent aux climatologues et chimistes un immense terrain pour les recherches à venir…

Le double jeu du dioxyde de soufre

Depuis les années 1960, la lutte contre la pollution est un enjeu de santé publique. L’OMS recense chaque année 7 millions de morts prématurées à cause des émissions de particules liées aux transports, au chauffage et à l’industrie. Parmi ces dernières, les oxydes de soufre (SO2) sont particulièrement visés pour leurs effets délétères tant sur l’appareil respiratoire des humains que sur les végétaux, par l’entremise des pluies acides.

La désulfuration des énergies fossiles, imposée il y a un demi-siècle, a certes entraîné une réduction des émissions à l’échelle de la planète – variable selon le stade de développement des pays. Mais elle a également conduit à une augmentation de la température mondiale. Le dioxyde de soufre (SO2) constitue en effet un bouclier efficace contre le rayonnement solaire. Pour preuve : en 1991, l’éruption du volcan Pinatubo (Philippines) a provoqué une baisse mondiale des températures de 0,4 °C pendant deux ans, du fait de ses rejets de matières soufrées. Le Giec estime que la diminution du SO2 dans l’atmosphère a provoqué, en cinquante ans, une hausse supplémentaire des températures de 0,5 °C. Conclusion des climatologues : la baisse des polluants locaux doit se faire conjointement avec celle des émissions de gaz à effet de serre. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui : alors que les émissions de SO2 ont drastiquement baissé, celles de CO2 continuent de grimper.

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