L’eau, un objet de fantasmes et d’arnaques

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L’eau, un objet de fantasmes et d’arnaques
L’eau, un objet de fantasmes et d’arnaques

Africa-Press – Guinee Bissau. La fascination naturelle qu’exerce l’eau a nourri un riche symbolisme au cours des âges. Et le développement de la science contemporaine ne semble pas avoir tari le besoin de lui attribuer plus de bienfaits qu’elle n’en a déjà. Voici le vrai du faux des théories pseudoscientifiques sur l’eau.

1/ L’eau a une excellente mémoire : FAUX

C’est l’une des plus célèbres controverses scientifiques contemporaines. En juin 1988, une équipe internationale emmenée par le Dr Jacques Benveniste, immunologue reconnu à l’Inserm, publie dans la prestigieuse revue Nature une étude au retentissement mondial immédiat. Elle suggère que l’eau entrée en contact avec certaines substances conserve une empreinte chimique des propriétés de ces substances, alors même qu’elles n’y sont plus présentes… Autrement dit, l’eau garderait en mémoire la trace des molécules qu’elle rencontre, même après en avoir été complètement débarrassée.

Alors que les tentatives de reproduction des expériences de Jacques Benveniste ont échoué quelques semaines seulement après la fameuse publication, et que cette mémoire de l’eau a été invalidée par toutes les disciplines scientifiques concernées depuis – chimie, physique, biologie -, la véracité de l’hypothèse est encore affirmée aujourd’hui. En particulier pour accréditer les effets – jamais démontrés – des préparations homéopathiques sur la santé, comme les granules. Ces petites billes de sucre sont en effet imprégnées d’environ 0,01 millilitre d’une préparation à l’eau diluée des centaines de fois, au point de ne plus présenter aucune trace de la substance d’origine censée aider l’organisme à se défendre – viscères de canard, virus ou autre glande anale de putois.

En réalité, la mémoire de l’eau est une hypothèse taillée sur mesure pour offrir un rationnel scientifique à l’homéopathie : même si la fameuse “dose homéopathique” s’avère inexistante du fait des dilutions successives, l’eau qui a imbibé le granule garderait en mémoire les propriétés chimiques de la substance thérapeutique présumée. La validation expérimentale était trop belle ! Et pour cause, c’est dans le cadre de travaux sur les hautes dilutions commencés en 1980 et financés par l’industrie homéopathique, les laboratoires Boiron notamment, que Jacques Benveniste aboutit à cette hypothèse, qui reste indémontrable à ce jour. “C’est une idée qui ne veut pas mourir, essentiellement parce que les gens ont envie d’y croire, explique Damien Laage, directeur de recherche CNRS au département de chimie de l’École normale supérieure de Paris. Pourtant, on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas de place dans la physique et la chimie de l’eau pour un tel concept. ”

2/ Elle attire le sourcier et sa baguette : VRAI / FAUX

Et si la sourcellerie revenait à la mode ? L’eau devenant une denrée rare, certains sont désormais tentés d’en rechercher dans leur terrain. Mais peut-on se fier aux sourciers pour savoir où creuser et à quelle profondeur ? Plusieurs expériences ont été menées dans les années 1980 pour tester les capacités des sourciers : à Sydney en Australie, avec 16 participants ; puis en Allemagne, à Munich, entre 1986 et 1988, où 843 essais de détection d’eau passant dans un tuyau sous le sol ont été réalisés par 43 sourciers, eux-mêmes sélectionnés parmi 500 candidats. Les résultats ne montraient pas de différence statistique de succès avec une recherche effectuée au hasard.

En conditions réelles, le sourcier éclairé bénéficie toutefois de deux avantages pour améliorer ce score aléatoire. D’abord, il y a souvent de l’eau dans les sols – reste à savoir à quelle profondeur. Ensuite, le sourcier peut suivre les indices d’une présence de la ressource à tel ou tel endroit, qu’il s’agisse d’une végétation plus abondante, d’un détail topographique ou d’une connaissance empirique des sources et rivières d’une zone. Mais la baguette du sourcier, elle, ne réagit pas à la présence d’eau. Pour expliquer son mouvement, lorsqu’il n’est pas simulé, il ne reste que l’effet idéomoteur, des mouvements musculaires inconscients. Pour être sûr de creuser au bon endroit et savoir à quelle profondeur avant de commencer, l’exploration hydrologique par des entreprises de forages géotechniques est ainsi plus sûre, mais peut-être plus coûteuse.

3/ Elle peut être rendue plus “mouillante” : FAUX

Le concept a beau n’avoir pas le moindre fondement scientifique, il fait florès : dynamiser son eau permettrait de rendre à celle-ci toutes ses propriétés perdues : son énergie naturelle et sa structure originelle. L’eau serait ainsi plus hydratante pour la peau, nos cellules et les plantes, moins oxydante et plus énergétique… parfois même “plus mouillante ” ! C’est ce que promet la société LM Innovation qui commercialise un dispositif à brancher sur les arrivées d’eau pour restructurer celle-ci avant son utilisation. Objectif : “retrouver une eau comme il y a deux cents ans”. Les épidémies récurrentes de choléra et de fièvre typhoïde du 19e siècle en moins, on espère. Que l’eau soit dite “dynamisée” ou, plus récemment, “structurée”, le principe, très ésotérique, est toujours le même : il s’agit soit de faire tournoyer le liquide en vortex de façon à “imiter le mouvement naturel de l’eau dans la nature”, soit d’utiliser le magnétisme terrestre pour lui ôter toute pollution électrique et électromagnétique…

De la simple “tasse vortex magnétique” à 39,90 euros au pack Biodynamizer appliquant “21 principes de dynamisation” sur l’arrivée d’eau de la maison pour 3500 euros, en passant par le vitaliseur-dynamiseur de cuisine (2 litres) à 669 euros, le marché est varié. Depuis peu, la société Biodynamizer commercialise même une bière brassée à l’eau dynamisée. Outre les particuliers, le secteur de l’agriculture en biodynamie est une cible de choix pour ces procédés. Cette agriculture repose sur un courant ésotérique, l’anthroposophie, fondé au début du siècle par l’Allemand Rudolf Steiner, et se caractérise par sa dimension occulte faisant jouer des “forces cosmiques et terrestres”. La dynamisation de préparations à l’eau par vortex est ainsi l’une des pratiques phares de cette agriculture. La société française LM Innovation promet ainsi que son eau structurée réduit de 30 % les besoins d’arrosage, de 40 % la dose de traitement à appliquer et permet aux animaux de ferme de mieux assimiler les aliments…

Autant d’allégations dont on ne trouve pas la moindre source scientifique, malgré un discours pseudoscientifique parfois sophistiqué. La société explique même ainsi avoir été contactée par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Vérification faite : le CEA nous a précisé avoir bien contacté l’entreprise mais uniquement dans le but de faire un recensement des procédés sur le marché, sans leur accorder de valeur scientifique. “Les commerciaux à l’origine de ces dispositifs mettent en avant un réarrangement moléculaire de l’eau, explique Damien Laage, alors même qu’on sait aujourd’hui de façon très précise que les liaisons hydrogène de l’eau se réarrangent en permanence, empêchant toute structure particulière de se figer plus d’une picoseconde “, soit un millième de milliardième de seconde. “Mais ces théories un peu loufoques sont tenaces, car les gens ont envie d’y croire “, ajoute le chimiste. De fait, les études et expériences menées sur l’agriculture biodynamique n’ont jamais permis de lui trouver plus d’intérêt qu’une agriculture biologique classique excluant le folklore ésotérique de l’anthroposophie.

4/ L’eau peut être réduite en poudre : VRAI

Cela ressemble à un mauvais gag, et pourtant ! Oui, il est possible de faire de l’eau en poudre. Il ne s’agit pas, bien sûr, de la lyophiliser en l’asséchant. Mais d’enrober des gouttes d’eau de nanoparticules hydrophobes de façon à les transformer en grains d’eau secs. Si le concept a été découvert au tournant des années 1970, c’est un duo de chercheurs français, Pascale Aussilous et David Quéré, qui le remet au goût du jour en 2001 dans la revue Nature. Cette fois, l’eau est “non mouillante”, c’est l’eau sèche. L’objectif est de faciliter le transport de petites quantités de liquide sur un solide, pour des dispositifs de microfluidiques par exemple. Pour réduire les forces s’exerçant entre le liquide et le solide, les chercheurs proposent ainsi “une alternative simple, qui consiste à encapsuler une gouttelette de liquide aqueux avec une poudre hydrophobe “. De cette façon, l’eau ne mouille pas les surfaces qu’elle rencontre.

Pour obtenir cette poudre fine, il suffit de disperser des nanoparticules de silice hydrophobe dans l’eau et d’agiter celle-ci à 19.000 tours/minute pendant 90 secondes. Depuis, diverses équipes explorent de potentielles applications. En 2010, l’une d’elles, à l’Université de Liverpool (Royaume-Uni), a fait sensation lors du 240e colloque de l’American Chemical Society, en montrant que l’eau sèche peut absorber une quantité significative de méthane, et ainsi servir à stocker voire à transporter du gaz naturel. Plus surprenant encore, l’eau sèche pourrait stocker aussi du CO2, jusqu’à trois fois plus que de l’eau ou de la silice normales. Pour les chimistes, elle constituerait donc un bon moyen pour réaliser des puits à carbone afin de limiter le réchauffement climatique.

5/ La Lune génère des marées dans le corps humain : FAUX

Mers et océans voient leur gigantesque masse d’eau déplacée au gré de la position de la Lune. Bien connu, ce phénomène des marées est en effet dû aux forces gravitationnelles qu’exercent la Lune et le Soleil sur la Terre. Alors, si la Lune est capable de déplacer ces masses d’eau, pourquoi n’aurait-elle pas une action sur l’eau dont est composé à 65 % le corps humain ? Comme pour l’eau dynamisée, l’influence de la Lune sur la sève des plantes fait partie des dogmes de l’agriculture biodynamique dénué de tout fondement scientifique.

En effet, si la Lune a bien un effet sur l’eau terrestre, celui-ci n’est significatif que sur les grandes masses. Car la force d’attraction de notre satellite n’est pas dépendante de la composition d’un corps, mais de sa masse et de sa distance. Or, la masse d’eau contenue dans un être humain ou une plante rend cette force négligeable. La Lune ne peut donc en aucun cas favoriser la montée de sève dans les végétaux.

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