Le “sang des glaciers” : une algue qui vit sous la neige livre ses secrets

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Le “sang des glaciers” : une algue qui vit sous la neige livre ses secrets
Le “sang des glaciers” : une algue qui vit sous la neige livre ses secrets

Africa-Press – Guinee Bissau. On dirait une scène de meurtre au sommet des montagnes. Au sol, dans la neige, une grande trace rouge brunâtre, comme du sang qui aurait séché dans le froid. Ou peut-être ne sont-ce que des traces dues au sable présent sous les flocons ? Ni crime, ni saleté, les grandes taches rouges que nous observons en altitude proviennent en réalité d’une algue, Sanguina nivaloides. Elle vient de révéler ses mystères dans l’étude la plus complète qui lui ait été dédiée.

“Aristote avait déjà décrit ce phénomène”

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les algues ne se développent pas que dans les océans. Elles trouvent aussi leur place dans les eaux douces et dans les milieux humides sur terre, ainsi que dans les sols, la surface des rochers et… dans la neige. Depuis 2017, cinq laboratoires de l’Université de Grenoble ont décidé de se pencher sur ce phénomène.

“Au 4e siècle avant Jésus-Christ, Aristote déjà l’avait décrit, pensant qu’il s’agissait d’un animal vivant dans la neige. Puis au 18e siècle, les botanistes l’ont observé dans la montagne. On sait depuis le 19e siècle qu’il s’agit d’un phénomène dû à la présence d’une algue”, explique Eric Maréchal, directeur du Laboratoire de Physiologie Cellulaire & Végétale au CNRS et co-auteur de ce nouvel article dans la revue Nature Communications.

Au printemps, quand la neige est partiellement fondue, elle change de texture et prend un aspect matelassé. Ces zones de neige fondantes sont appelées des névés. On les retrouve dans la montagne mais aussi dans les zones polaires.

Une algue qui se développe au-dessus de la ligne des arbres

Si vous inspectez la neige sur le perron de votre porte et remarquez une large tache rouge, il y a toutes les chances que, cette fois-ci, il s’agisse bien de traces de boue sous la neige. Cette algue de couleur rouge a beau être présente dans le monde entier, dans les zones polaires comme à la montagne, on ne la rencontre qu’à partir d’une certaine altitude.

Pour savoir à partir d’où elle apparaissait, l’équipe de Grenoble s’y est prise comme dans la police scientifique. “Dans le cadre du projet Orchamp, les chercheurs avaient collecté des échantillons de sol tous les 200 mètres en montant toujours de plus en plus.” En examinant l’ADN de ces sols, celui de notre algue n’est pas apparu avant 2.000 mètres d’altitude. “Vous n’en trouverez pas dans votre jardin”, sourit Eric Maréchal. “Il faut dépasser la ligne des arbres, un niveau au-dessus duquel ceux-ci ne peuvent plus pousser. Cette ligne définit l’altitude à partir de laquelle commence l’étage alpin en montagne, mais elle se rencontre aussi à une certaine latitude quand on se déplace vers les pôles.”

Mais voilà, la microalgue ne s’est pas dévoilée facilement. “Classiquement, on prélève dans la nature un échantillon contenant des algues que l’on cultive ensuite en laboratoire, dans lequel on mime leurs conditions de vie. Mais malgré les efforts intenses de plusieurs équipes internationales, on n’a jamais réussi à cultiver celle qui nous intéresse. Une difficulté d’étude qui concerne 80% des microorganismes”, raconte le chercheur, qui a eu du fil à retordre.

Pour contourner cette difficulté, il a fallu se pencher sur un bloom, un large zone où l’algue pullule. Grâce à des techniques d’imagerie de dernière génération, la neige a pu être observée en 3D. “C’est là qu’on a vu que l’algue ne se développait pas à l’intérieur des cristaux de neige mais dans de minuscules courants d’eau qui traversent la couche de neige.” La membrane limitante de l’algue, ridée comme “une nappe chiffonnée”, voit sa surface ainsi augmentée et est de fait adaptée à l’incorporation du plus de nutriments possibles présents dans la neige, un environnement très pauvre.

Une algue rouge… mais verte en réalité

“Dans ces névés, de tout petits circuits d’eaux circulent et toute une microflore s’y installe.” Et l’espèce la plus abondante est Sanguina nivaloides. Mais l’algue couleur sang n’est pas seule. Autour d’elle fleurissent un nombre incalculable de bactéries, d’autres microalgues et des champignons microscopiques. Tout un écosystème. Comme tout écosystème, un assemblage d’être vivants, celui sous la neige nécessite également un producteur primaire, le point d’entrée de la vie qui lui sert de socle. “Les microalgues constituent donc le socle de cet écosystème. Abondantes par leur activité et leur croissance, elles enrichissent la neige en biomasse et permettent à tous les autres organismes de se développer. Un écosystème tout aussi complexe que nos océans !”

Sanguina nivaloides renferme bien des secrets, à commencer par sa couleur. En réalité, cette algue qui nous apparait rouge appartient au groupe des algues vertes au sens scientifique du terme. En dehors de la neige, elle nous apparaitrait parfaitement verte. Comme tous les organismes primaires, elle capte le CO2 de l’atmosphère par la photosynthèse et le convertit en sucre. “Capter le CO2 et le convertir, ça prend du temps et de l’énergie, cette dernière provenant de la lumière du soleil. A la surface de la neige, la machinerie photosynthétique de la microalgue se trouve en excès de lumière, ce qui provoque un déséquilibre énergétique dans la cellule, ce qu’on appelle un stress oxydatif. Des molécules riches en électrons, toxiques et très agressives sont produites. Contre ce stress oxydant, les caroténoïdes sont la seule solution.” Grâce aux pigments qui lui donnent cette vive couleur rouge si caractéristique, la microalgue inondée de lumière peut lutter contre ce stress. “Elle accumule beaucoup de ces pigments dans la cellule, le moindre espace libre est rempli de gouttelettes lipidiques chargées en caroténoïde.”

Parfaitement adaptée à la neige

L’algue a beau vivre dans un milieu qui nous semble extrême, il faut croire qu’elle s’y plait “On s’est dit qu’elle devait être en train de survivre mais en réalité, elle vit sa vie de façon parfaitement adaptée. La neige, pour elle, est un milieu protecteur et nourricier”, confie Eric Maréchal. A l’intérieur aussi, elle est toute particulière. Classiquement, la structure cellulaire qui réalise la photosynthèse, le chloroplaste, contient des membranes aplaties empilées comme des d’assiettes, “un peu comme des panneaux solaires orientés en fonction de la source de lumière, perpendiculairement.” Cette fois, chez Sanguina Nivaloides, elles sont orientées dans toutes les directions de l’espace, ce qui lui permet de capter la lumière venant de tous les côtés à l’intérieur de la neige. “On pensait que cette algue passait un moment difficile sous la neige mais pas du tout, elle a développé toute une architecture qui lui permet de vivre parfaitement bien.”

L’équipe, une collaboration du CNRS, du CEA, de Météo-France, d’Inrae et de l’Université Grenoble Alpes, avance déjà sur d’autres projets, comme déterminer les facteurs qui entraînent l’apparition des blooms, le pullulement de ces algues, afin de comprendre comment ce stade s’intègre dans son cycle de vie. L’autre défi sera de réussir à séquencer son génome. Une tâche pour le moins compliquée, puisqu’en général, les équipes cultivent les microorganismes en laboratoire, chose impossible avec Sanguina Nivaloides. Il faudra une fois de plus partir d’échantillons environnementaux, contenant l’ADN de cette algue au milieu de l’ADN de nombreux autres organismes, et résoudre cette énigme en forme de texte à trou, avant même de commencer à élucider les secrets nichés dans son génome.

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