L’ épouse de feu Fodéba Keïta revient sur l’arrestation de son mari, sa vie et sa rencontre avec Sékou Touré

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L’ épouse de feu Fodéba Keïta revient sur l’arrestation de son mari, sa vie et sa rencontre avec Sékou Touré
L’ épouse de feu Fodéba Keïta revient sur l’arrestation de son mari, sa vie et sa rencontre avec Sékou Touré

Africa-Press – Guinée. Parmi les veuves des victimes du Camp Boiro, il y en a dont la parole publique est rare, voire rarissime. C’est le cas de la veuve de feu Fodéba Keïta. Dans un entretien accordé à Guineenews, Madame Keïta Marie Diakité, 86 ans, est revenue sur les conditions d’arrestation de son époux dont elle apprend officieusement le décès lors d’une rencontre à Yamoussoukoro, avec Sékou Touré, président de la République d’alors. Sans oublier le destin qui a conduit à sa rencontre avec son feu mari, par la magie artistique des ballets africains de Guinée, fruit de l’imagination de Fodéba Keïta, co-auteur de l’hymne national guinéen, ancien ministre de la République.

Vous avez accepté de nous accorder cet entretien, pour faire un témoignage sur votre défunt époux, feu Fodéba Keïta. Qu’est-ce que vous avez à nous confier, sur votre regretté mari, qui fut un personnage clé de la Guinée à son indépendance ?

Madame Keïta Marie Diakité : En Afrique, tout le monde parlait des Ballets africains de Keïta Fodéba. Ça donnait envie de les voir. Mon frère aîné, Louis Diakité était étudiant à Dakar. Les étudiants africains se retrouvaient au Sénégal. On se connaissait là-bas. Mon grand frère a connu Fodéba là-bas. Ils étaient amis. Une année, il était venu en vacances, il a demandé à notre père de lui payer le voyage pour venir en Guinée, à Siguiri, chez Keïta Fodéba. Tout le monde parlait des ballets, mais à l’époque, on parlait de Fodé.

Plus tard, j’ai eu l’occasion d’assister à des manifestations des ballets parce qu’ils sillonnaient l’Afrique avant d’aller en Europe. J’étais au Dahomey (Bénin). J’avais commencé à enseigner là-bas. Avant, j’étais au Bénin. Et c’est mon frère, l’ami de Fodéba qui était étudiant en médecine en France. (…) Nous avons connu le Bénin à cause de notre mère qui est béninoise. Au décès de notre papa, elle nous a amenés au Bénin. Mais les aînés étaient en France, dont l’aîné qui faisait les études de médecine. Quand il est venu en vacances, il lui restait deux ans pour finir ses études. Il m’a dit, tu es en quelle classe ? Je lui ai dit que je fais la 4ème à l’ouverture prochaine. Il a dit, tu ne feras pas la 3ème ici. Je vais vous amener ta sœur cadette et toi. Je vais vous amener en France.

Avant de quitter là-bas, je vous amènerai là-bas. J’ai été la première, ma sœur cadette devait suivre. Je suis allée avec lui. C’est là-bas que j’ai donc fait la troisième, j’ai eu le BEPC. Je n’ai pas eu envie de rester là-bas. Je lui ai dit que je retournais. C’est quand je suis retournée au Bénin que j’ai commencé à enseigner comme institutrice adjointe, avec le (diplôme) de BEPC. Mais avant d’arriver au Bénin, j’ai séjourné à Dakar où j’ai passé quelques jours. Il s’est trouvé que là-bas, (il y avait) mon beau-frère dont la femme est la grande sœur de l’épouse de mon frère aîné là, donc c’était la famille. J’habitais chez lui.

Et lui, Alhassane Diop, il était aussi l’ami de Fodéba. Et Fodéba et la troupe se trouvaient à Dakar au moment où je suis passée par Dakar pour aller au Dahomey. J’ai eu à les connaître, Ansoumane Touré et lui (Fodéba Keïta). Ansoumane Touré était marié à Jeanne Martin Cissé. Ils étaient à Dakar. Fodéba et Ansoumane étaient tout le temps ensemble. Ils venaient chez Alhassane. Pendant son séjour qui a duré une semaine, ils étaient tous les soirs à la maison. C’est comme ça qu’on s’est familiarisés un peu. Ils disaient “quand est-ce que tu t’en vas ? On (Fodéba et Ansoumane) viendra t’accompagner. Et mon vol partait tôt, très tôt le matin. Je ne croyais pas qu’ils allaient être là pour m’accompagner. Ils sont venus très tôt le matin, ils m’ont accompagnée à l’aéroport.

Je suis partie au Dahomey. Du Dahomey maintenant, j’ai appris que mon grand frère a terminé ses études, il est affecté à Conakry. J’ai dit c’est bien, c’est une occasion pour moi d’aller connaître la Guinée. Donc pendant les vacances scolaires, c’est ainsi que je suis venue. C’était en 1958. La Guinée était en effervescence là, parce que De Gaulle devait passer. Fodéba était déjà à l’intérieur. On attendait le passage de De Gaulle. Je suis venue donc en vacances ici. J’étais chez mon frère.

Voilà encore les trois-là, Alhassane, Ansoumane et Fodéba étaient tout le temps à la maison, chez mon frère. Donc je les voyais tout le temps. Un jour (…), il dit, tu ne repartiras pas. J’ai dit, je vais repartir. Ansoumane était là maintenant à dire tu ne partiras plus, tu vas rester. Bon, les choses sont ce qu’elles sont. Ils ont demandé à mon frère qu’ils connaissaient déjà. Il m’a posé aussi la question. J’ai dit que je dois repartir. Et comme il n’était pas pour que je me marie là-bas, donc finalement je suis restée ici.

On s’est marié, c’était en novembre 1958, après le référendum, après le passage de De Gaulle. Je ne connaissais rien de la politique et quand je me suis mariée, je ne travaillais pas. J’étais à la maison. Je n’étais au courant de rien jusqu’à son arrestation. Les choses me sont tombées dessus. Ce que je sais, c’est qu’il était tellement occupé, tellement pris qu’on n’avait presque pas de vie de famille. Le travail, le travail, le travail.

Quand il revenait du travail, c’était avec du monde. Des discussions, il y avait de la distraction après le repas. Il était tout le temps accompagné d’amis. Il était tout le temps en groupe quand il revenait à la maison. En tout cas, il a été vraiment pris par le travail et les missions. La première mission, on venait de se marier. Après le référendum là, il était à la sécurité. Donc il fallait faire tout, puis qu’on a dit que les Français avaient tout saccagé, il fallait faire tout, reconstruire le pays.

Donc il était allé en mission dans les pays de l’Est. La mission devait prendre du temps. Et avant son départ, je lui ai dit que je ne veux pas rester seule à la maison, parce qu’il va durer. Il qu’il n’y a pas de problème, comme quand on se mariait mon père et ma mère n’étaient pas là, ils n’ont pas assisté au mariage, vous ne vous connaissez pas, tu iras en famille, tu iras à Siguiri pour faire la connaissance des parents.

Et c’est ce qui a été fait. Siguiri n’étant pas loin de Bamako, j’ai eu même à aller en famille parce mon papa était du Mali et ma mère du Dahomey. Donc j’ai été à Siguiri, j’ai vu la famille, j’ai fait des cérémonies comme ça peut se faire en Afrique. Après j’ai été à Bamako pour un petit séjour, je suis revenue à Siguiri l’attendre. Il a duré. A son retour, il l’a fait savoir à son père et je l’ai rejoint ici.

Vous avez dit que vous n’étiez pas au fait des choses dans l’administration et que l’arrestation tragique de votre époux vous est tombée dessus. A partir de ce moment, il y a eu une sorte de réveil douloureux. Comment avez-vous vécu cet événement et comment la suite s’est passée ?

Madame Keïta Marie Diakité : Franchement, je m’attendais à un jugement. (…) D’abord, avant l’arrestation, il y a des gens qui appelaient souvent quand il n’était à la maison. Est-ce que Fodéba est à la maison ? Tout le monde demandait. Je disais pourquoi les gens posent des questions, s’il est à la maison. Ce sont des amis, des connaissances de la ville qui appelaient pour avoir des informations. Finalement, un jour, j’ai eu des vertiges, je suis tombée à la maison (…).

Je le lui ai fait savoir alors qu’il était déjà au travail. Je l’ai appelé pour lui dire que je ne me sens pas bien. Il a envoyé le chauffeur qui m’a amenée voir Sanoussy qui était directeur de l’hôpital de Donka. Ce n’était pas si grave, mais il fallait me placer des perfusions. Cela se passait à la maison. L’infirmière venait me les placer. A la fin, je les enlevais. Au deuxième jour, Fodéba rentre, il me dit qu’on a arrêté Kaman (Diaby). Je ne savais même pas ce qui se passait en ville. Il y avait peut-être des arrestations, mais ce jour-là, j’étais couchée, sous perfusion quand il est rentré me dire qu’on a arrêté Kaman. J’ai dit, ça c’est quelle histoire ? Qu’est-ce que Kaman a fait ? Il ne m’a rien dit de plus. Et puis, il m’a fait savoir encore que tel vendredi, il y aura un grand meeting, organisé pour je ne sais quoi. Tout ça, j’étais là.

Au deuxième jour de perfusion, troisième jour, j’étais encore sous perfusion. Après le travail, il est venu, toujours accompagné. Ils mangeaient. Moi j’étais couchée, je les entendais au salon. Après le repas, il vient me dire, il est l’heure du meeting, je m’en vais chercher Alhassane (Diop) on va ensemble. J’ai dit d’accord, il est sorti. Et peu de temps après, ma perfusion était finie, je me lève, je voulais aller manger. Je me dirige vers la porte de sortie de la chambre. Je vois Alhassane Diop qui arrive. Il me dit, ne dis rien.

Les militaires viennent d’amener Fodéba, et il y a des gens qui viennent fouiller, ils cherchent des munitions. Je suis restée là devant la porte. A peine Alhassane Diop a fini de me dire ça, voilà les militaires qui étaient derrière. C’était la journée. Aucune porte n’était fermée. Les chambres étaient ouvertes. Ils sont devant la porte. Ils ont dit bonjour, nous cherchons des munitions. J’ai dit tout est ouvert. Je voulais sortir, ils ont dit non, vous entrez, nous venons après vous. Je suis entrée et me suis assise sur mon lit. Ils ont ouvert les armoires, fouillé partout. Ils me demandent sa tenue de telle couleur. J’ai dit tout est là. Ce que vous voyez, c’est ce que je connais aussi. Ils ont fouillé, ramassé. Et puis, j’étais assise, quand ils étaient encore là, ma belle-sœur, l’épouse du petit frère de Fodéba, Bakary Keîta qui est bien connue aussi, m’appelle.

Je décroche le téléphone. Elle me dit au téléphone, Marie, Marie, Marie, on a arrêté Bakary. J’ai dit d’accord. Elle insiste. Je dis d’accord. Qu’est-ce que je pouvais dire ? Ma chambre était remplie (d’agents). J’ai compris, j’ai dit d’accord, puis que moi aussi Alhassane Diop venait de me dire qu’on a arrêté Fodéba, donc, elle a raccroché. Plus tard, elle m’a dit, quand je t’ai répété que (Bakary est arrêté), tu m’as dit d’accord, j’ai compris que Fodéba était arrêté aussi. C’est ce qu’elle m’a dit après quand on a eu l’occasion de se revoir. Voilà, quand ils sont partis, je suis restée une semaine dans la maison.

Personne n’entrait, personne ne sortait. Ils ont fouillé partout. Et puis, il y avait des gens assis dans le magasin où il y avait toutes sortes de choses. Il y avait des livres, il y avait tout. Le magasin était grand. Les bandes magnétiques des ballets, les revues. Je me plaignais de temps en temps à Fodéba. Je dis, ce magasin-là est trop plein de papiers. Il dit laisse-moi mes papiers. Quand je serai à la retraite, je dois écrire. Je veux même faire un film. Laisse tous mes papiers, ne touche à rien. Alors, ils étaient dedans pendant des jours. Personne n’entrait. Quand mes visiteurs venaient me voir, ils étaient au petit portail, on se disait bonjour comme ça, et ils repartaient.

J’ai dit aux gens qui étaient dans le magasin, vous cherchez des munitions ou vous cherchez quoi ? Vous êtes là des jours. Personne n’entre, personne ne sort. Ils disent oui, tout ce qu’on regarde là, nous intéresse aussi. C’est des albums photo et tout. On est resté là, on a attendu qu’ils finissent. Quand ils sont partis, il fallait que je déménage de la maison ministérielle de la cité là-bas. Donc j’ai envoyé demander à Sékou Touré, si je pouvais occuper une villa que Fodéba avait construite. J’ai reçu une réponse affirmative qui m’a fait déménager.

Nous sommes allés là-bas à Landréa, nous sommes restés 8 mois. Mes enfants, ma belle-mère qui est venue rester avec moi dès qu’elle a appris l’arrestation. C’est une case que Fodéba avait faite construire. Un jour, c’était le mois de carême, j’étais sortie faire des courses. Je reviens à la maison, dès que je suis rentrée dans la cour, j’ai vu un gros camion rempli de militaires. Le chef était debout, à terre, il attendait. Ma belle-mère même a fait une crise quand elle a vu le camion de militaires. Elle était à jeûne. J’ai demandé au chef, qu’est-ce qui se passe ? Vous êtes venus m’arrêter ? Il répond non, on peut aller au salon ? J’ai dit on peut aller. On entre. Il me dit on peut aller dans la chambre ? Mon beau-frère Bakary était assis dans le salon. J’ai dit pourquoi pas ? allons-y. j’étais persuadée que c’était pour m’arrêter. Je m’attendais à ça. Arrestation, arrestation, on arrête, on arrête les gens…

A partir du moment où Fodé même était là-bas. J’ai dit vous êtes venus, je pensais que c’est pour m’amener aussi en prison. On entre dans la chambre. Je lui demande, il ne disait rien. Je lui demande, c’est pour m’arrêter oui ou non ? Il hausse la tête, il dit non. J’ai dit, mais, qu’est-ce qui peut dépasser ça ? Arrêter quelqu’un l’amener en prison ? Pourquoi vous ne dites pas la raison pour laquelle vous êtes venus ? Dites-le. Ses larmes ont commencé à couler. Alors moi je ne savais plus. Si ce n’est pas pour arrêter, je ne savais pas ce qui pouvait être pire que ça.

C’est là qu’il me dit, non, on m’a envoyé pour vous dire de déménager. J’ai dit, ça seulement ? Essuyez vos larmes, et allez dire que vous avez accompli votre mission. Je commence dès aujourd’hui à faire mes bagages, parce que je m’attendais à une arrestation. C’est comme ça qu’on a quitté aussi cette maison de Landréa qui, jusqu’ici, je ne sais est dans les mains de qui ? Nous n’arrivons pas jusqu’ici à récupérer cette maison-là.

Madame Keïta Marie Diakité : oui, j’ai même le décret d’attribution du terrain-là. Il a construit une grande case dessus. C’était à la mode. C’est Elhadj Fofana qui a fait sa propre case, j’ai eu envie d’avoir la même chose. Il a construit. J’ai le décret d’attribution de ce terrain-là. Je ne sais pas si un jour, on aura le temps de récupérer cet endroit-là.

pendant le séjour carcéral de votre époux, est-ce que vous avez eu des nouvelles de lui ? Est-ce que vous savez ce qui s’est passé le concernant ?

Madame Keïta Marie Diakité : je n’ai jamais eu des nouvelles de lui, jamais. Quand on a quitté la maison de Landréa, je suis allée chez mon beau-frère. Mon beau-frère avait été emprisonné aussi. Il est resté un mois ou 50 jours, il a été libéré. C’est quand il a été libéré-là qu’il nous a trouvés dans la case à Landréa. Et quand on m’a fait quitter la case, c’est lui qui nous a hébergés. Il ne travaillait plus. Il avait perdu son emploi. Son épouse, sage-femme avait perdu son emploi, parce qu’on a voulu l’envoyer à l’intérieur du pays, elle a dit non. Il y avait les enfants… Moi, les enfants, plus ses enfants à lui plus ma belle-mère nous étions tous chez mon beau-frère là-bas, dans deux (2) chambres et salon.

Pendant le temps que j’étais là-bas, on avait des amis qui avaient le courage de venir me dire bonjour. Ils n’étaient pas nombreux. Il y avait Maniguè Cissé, Kaba Mory…. Il venait, nous envoyait des vivres, Ils n’étaient pas nombreux. Beaucoup même, quand ils me voyaient, ils détournaient le regard. Ils faisaient semblant de ne pas me voir, ils passaient par un autre chemin. On a vu tout ça. Pendant tout ce temps que j’étais là-bas, je n’ai pas entendu une fois, je n’ai pas eu de nouvelles. C’est l’autre qui véhiculait les nouvelles, Siaka. Siaka a dit ça, Siaka a dit ça. J’apprenais (comme ça), mais moi directement non. Je n’ai pas eu des nouvelles de lui. Pas du tout.

vous avez vécu dans ces conditions, on ne le dira jamais assez, difficiles. Vous avez appris son décès quand ?

Madame Keïta Marie Diakité : longtemps après. C’est à la fin de l’année, parce que Madiguè qui venait nous voir disait qu’on va les juger. Beaucoup de gens le disaient aussi. Donc, on attendait un jugement. J’attendais quand j’ai une sœur qui m’a écrit une lettre pour me dire que notre maman était gravement malade au Dahomey. Donc, j’ai dit à mon beau-frère qu’il faut que je parte, même si c’est pour deux semaines. Il faut que j’aille voir ma mère, parce que le jugement dont on parle là, je ne le vois pas venir. Et ma mère étant gravement malade comme on me le dit, il faut que je la vois. Je vais aller même si c’est pour deux semaines.

Donc, demandez l’autorisation de sortie pour moi. Alhassane Diop et Bakary sont venus me dire, on a vu Sékou Touré, il est d’accord. Donc tu vas partir. C’est comme ça que je suis partie, au mois de février. L’année était finie maintenant. On les a arrêtés en mars. A la fin de l’année il n’y a rien eu comme jugement. On m’a établi un sauf-conduit de trois mois. Donc je suis partie, sans rien. Les enfants étaient à l’école. C’était au mois de février de l’année suivante, 1970. J’ai transité par la Haute-volta (actuel Burkina Faso) où j’ai ma sœur cadette mariée qui vivait là-bas. On s’est vu. J’y ai passé une nuit. Elle n’était même pas au courant de la maladie de la maman. Quand je lui ai demandé, elle dit, je n’ai pas des nouvelles. J’ai dit bon, je vais aller les surprendre voir si c’est vrai ou faux, qu’elle est malade ou pas.

Donc, le lendemain j’ai pris mon avion, je suis allée à Cotonou, elle étant à Ouida, j’ai pris la route, je suis allée comme j’ai dit, je l’ai surprise. Ce n’était pas alarmant. Elle se faisait des soucis, elle voulait me voir c’est tout, parce qu’elle n’avait pas des nouvelles. Et puis, ce sont des mauvaises nouvelles qu’on apprenait de la Guinée, au Dahomey comme au Mali (la famille du Mali aussi). Je suis restée avec elle quand même. J’ai passé les trois mois là-bas. Après, elle m’a dit, il faut partir parce qu’il y a les enfants là-bas. Je pars de là-bas, j’atterris à Bamako, dans la famille, j’ai passé quelques jours. Je m’apprêtais à prendre l’avion pour Conakry quand les parents se sont mis à pleurer.

J’avais un frère là-bas qui connaissait bien la Guinée pour avoir travaillé ici. Il était même commandant d’une région ici. Il est venu tomber sur ma tante qui pleurait et il a demandé ce qui se passe ? Elle lui a dit : voilà, elle veut partir, elle a fait sa valise, elle veut retourner à Conakry. Donc mon frère connaissant ici m’a dit, c’est mal connaître Sékou Touré. Tu veux retourner là-bas, tu as sur ton sauf-conduit trois mois, tu as dépassé le délai. Tel que je connais Sékou Touré (je connais la Guinée parce que j’ai travaillé là-bas) si tu t’en vas, tu descends de l’avion, Sékou Touré va te faire amener à Boiro. Ils viendront t’accueillir à l’avion, on va te conduire à Boiro. Tes beaux-parents ne sauront pas que tu es en Guinée. Nous déjà, on n’a pas de nouvelles, il n’y a pas courriers. Tu seras à Boiro et personne ne saura que tu es là-bas. Sékou va trouver des arguments, il dira que tu as contacté des gens au Dahomey, au Mali, en Haute-Volta. Tu as fait ces trois pays-là. On trouvera quelque chose contre toi.

La nuit, j’ai beaucoup réfléchi et puis je me suis dit qu’il faut que je prenne une décision. J’ai vu mon beau-frère qui ne travaillait pas, ma belle-sœur qui ne travaillait pas, ma belle-mère est restée avec moi, elle a refusé de rentrer à Siguiri. Chaque fois que je lui disais de rentrer parce que l’attente est longue, elle ne voulait pas, elle dit tant que tu es là, je ne bouge pas. Les enfants, les enfants de mon beau-frère, dans une maison deux chambres et salon, j’ai dit qu’il vaut mieux que je reste dans la famille à Bamako pour chercher à faire quelque chose, je ne veux pas retourner et être à la charge de la belle-famille là-bas. Et j’ai pris la décision de rester.

C’est comme ça que je ne suis pas revenue. Je suis restée là-bas, je ne suis revenue qu’après la mort de Sékou Touré. J’ai fait là-bas l’école de sage-femme pendant trois ans. Et pendant que je faisais ces études, j’ai eu la chance d’avoir mes enfants que j’avais laissés ici. Ils étaient trois ma fille Hawa, son frère Sidikiba, et une fille d’une de ma belle-sœur que les parents m’avaient donnée. Ma belle-mère les avait pris pour les amener à Siguiri. Siguiri n’est pas loin de Bamako. Donc mon beau-père, ma belle-mère, nous correspondions souvent quand j’ai décidé de rester là-bas.

Ils ont un oncle qui faisait Bamako-Siguiri. C’est grâce à cet oncle-là que les enfants sont venus à Bamako, au Mali. Je les ai mis à l’école là-bas. (…) Après l’école de sage-femme de Bamako, mon frère qui avait travaillé ici (c’était son premier poste de médecine – chirurgie). Il a fait Conakry, Kankan, il est allé au Mali, ensuite il a eu à faire encore des stages en France. Et maintenant, il était en poste à Bouaké, en Côte d’Ivoire. Donc quand j’ai terminé mes études de sage-femme, je suis allé à Bouaké pour travailler comme sage-femme. Jusqu’à la mort de Sékou Touré, j’étais à Bouaké. (…)

A la disparition de Sékou Touré, les langues se sont déliées. Les gens ont dû parler. Finalement, est-ce que vous avez appris quelque chose, au-delà de ce que tout le monde sait en ce qui concerne les conditions de détention de votre mari ? Et pour ce qui est de ses biens dont vous avez été dépossédés, est-ce qu’il y a eu des démarches pour les récupérer ? Et qu’est-ce qu’il y a eu comme résultat ?

Madame Keïta Marie Diakité : d’abord, avant tout cela, pendant mon séjour au Mali, à Bamako, j’avais l’occasion de voir certaines personnes qui connaissaient la Guinée, et peut-être qui connaissaient aussi la réalité. Quand on me dit un jour, ah du courage, ton mari est vivant. Sékou Touré n’a rien fait à aucun des prisonniers. Sauf celui qui meurt de maladie. Du courage, du courage. Ça me donne l’espoir. Ensuite, peu de temps après, tu vas voir des gens aussi que tu connais, qui sont de passage, qui viennent de Guinée te dire qu’est-ce que tu attends encore ? Toi aussi… Je les prenais pour des ennemis qui me veulent du mal parce qu’à l’extérieur là-bas, on apprenait que telle femme s’est remariée et puis, une nuit, on a libéré son mari. On l’a sorti de prison, on l’a amené à son domicile…

Mais plus tard, j’ai eu l’occasion de savoir que cela était vrai parce qu’il y a un responsable guinéen qui a fait la prison. On a fait savoir à sa femme que son mari était mort. Le mari a été libéré plus tard. Et vraiment, c’était foutu. C’est le mari même qui me l’a raconté. Il est allé rejoindre un de ses fils à sa sortie de prison, dans un pays étranger. Il m’a dit, voilà, on m’a libéré la nuit. Et c’est un ami à lui qui avait épousé sa femme. Il y avait un contrat entre les deux. La femme a raconté cela à son mari après. Mais, qu’il a dit à son épouse, ce n’est pas grave. Vous pouvez continuer ensemble. Il a donné les colas à ses beaux-parents, il a libéré sa femme. C’est vrai qu’on agissait comme ça. Ça a dû arriver à d’autres femmes ici.

Donc quand c’est comme ça, un jour on te dit du courage. Après, un autre jour on te dit qu’est-ce que tu attends ? Quand je suis venu en Côte d’Ivoire, je pensais rencontrer Houphouët Boigny. J’ai dit lui, il est censé savoir la vérité. Mais je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer. Des personnes intermédiaires me disaient que c’est une affaire réglée depuis longtemps. Jusqu’en 1979, ça faisait dix (10) ans (69-79), Sékou Touré est parti à Abidjan là-bas, rencontrer Houphouët. Je suis allé à Yamoussokoro, avec les enfants. Sidiki n’étant pas là-bas, je suis allé avec Hawa et une de mes nièces qui porte le nom d’André Touré.

La dernière fille de mon grand frère qui a servi ici comme chirurgien. Sa maman m’a dit : va avec André, vous verrez en même temps André là-bas. Elles étaient deux avec moi. Je suis allée. Dès que je suis rentrée dans le salon du président Houphouët, j’ai vu le groupe de femmes dont Jeanne Martin, madame Guichard qui était sage-femme, qui a fait l’école des sage-femmes avec Houphouët à Dakar, et d’autres femmes. De loin là-bas, il y avait un autre salon où se trouvaient Ismaël (Touré), Moussa Diakité et d’autres.

Ils attendaient Sékou Touré et André qui n’étaient pas encore descendus comme a dit Ismael, parce que de loin, il m’a vue quand je me suis assise avec les dames-là, les Jeane Martin et autres. Il s’est levé et est venu à moi. Il m’a dit bonjour, je lui ai dit bonjour. Il me tire par la main, pour m’amener dans leur cercle là-bas. Il me dit, allons en famille. J’ai dit en famille où, ça ? Il dit Sékou va descendre, André va descendre, allons en famille. Il y a tel, tel là-bas. J’ai dit, je reste ici. Il m’a dit, allons en famille. Il m’a tiré de force, je n’ai pas continué la résistance, on est parti. Sékou Touré est descendu, Andrée est venue. J’ai salué et puis, Sékou me prend encore par la main. Il m’amène dans un grand salon où il y a des petites pièces partout.

Lui et moi on est resté dans un salon là-bas. Parmi ses ministres, il y avait Béavogui, il y avait l’ambassadeur Sadamoussa, il y avait d’autres ministres pas loin de nous. J’ai dit bon, Sékou, est-ce que je peux savoir maintenant la vérité ? Ça fait dix (10) ans que nous sommes dans l’incertitude, dans le doute. Je veux savoir maintenant la vérité, c’est-à-dire, il est mort, il n’est pas mort, où se trouve sa tombe ? Est-ce qu’on peut savoir la vérité ? Tout de suite il me dit, ah ! tu ne sais pas ? Demain, on va partir ensemble, tu vas voir dans les archives. J’ai dit Sékou, ce que tu ne peux pas me dire toi-même, tu me dis d’aller voir les archives ? J’ai dit, la nuit-là, je retourne à Bouaké. Il dit, non, tu ne pars pas. Quand est-ce que tu prends ton congé ? J’ai dit je prends mon congé au mois de juin. Il dit, il faut le prendre au mois de juin. J’ai dit non, c’est au mois de juin, parce que je viens de congé comme ça. Il dit, non, Sadamoussa, ce dernier répond camarade président et arrive en courant. Il lui dit, au mois de mai, il faut préparer le voyage de madame Diakité. D’accord camarade président, il court et va se mettre dans le groupe là-bas.

à votre avis, vous a-t-il appelée madame Diakité par erreur?

Madame Keïta Marie Diakité : Sékou Touré ? Ce n’est pas par erreur, c’est exprès. (…) parce qu’il dit, Houphouët va descendre tout à l’heure, je vais lui demander la permission. Tu vas partir demain. J’ai dit non, Houphouet n’est pas mon ministre. Mon patron, c’est le ministre de la Santé. Il faut que je sois à mon poste demain. Entre-temps, le président Houphouet est descendu, il me le présente, il dit Madame Diakité. Mais le président Houphouet connaît, parce que mon père a été son camarade de promotion à l’école, comme madame Guichard. Et à cause de ça, il s’est bien occupé de mon frère, le chirurgien là. Il faisait tout pour lui. Mais moi, malheureusement quand je suis venue, je n’ai pas eu l’occasion de le rencontrer. J’ai appris plus tard qu’il avait dit au maire de Bouaké (Djibo Soungalo), de s’occuper de tout ce qui concerne la famille Diakité à Bouaké. C’est pourquoi quand je suis venue, Sougalo Djibo m’a trouvée un logement.

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