Changement climatique : on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas !

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Changement climatique : on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas !
Changement climatique : on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas !

Africa-Press – Madagascar. Dire qu’il y a dix ans à peine, le changement climatique n’était redouté que pour ses effets à moyen terme. “Pas avant trente ans !” , affirmaient les plus pessimistes des climatologues. C’est aussi ce que concluait en 2014 le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat – le Giec, qui incitait à l’action pour retarder la survenue des conséquences délétères de l’accumulation des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. La règle était alors de ne pas mélanger météo et climat, les événements ponctuels avec la temporalité longue des conditions stables et “normales” de température et de précipitations. Cette distinction s’est effondrée.

Un nouveau champ de recherche: l’attribution

Le climat impacte déjà avec violence la météo. L’action devient urgence. On pouvait jusqu’à présent parvenir à cette conclusion de manière empirique, en observant la recrudescence de tempêtes inédites ou de sécheresses à répétition… C’est aujourd’hui “prouvé” par la science, qui vient d’ouvrir un nouveau champ de recherche: l’attribution. Autrement dit, la recherche de la probabilité du lien entre une catastrophe naturelle et le changement climatique. Et les jeunes climatologues en voient leur carrière réorientée.

Cette bifurcation, Davide Faranda l’a vécue en 2012. Jusqu’ici, son champ d’études consistait à considérer les événements extrêmes avec un regard de géophysicien et une approche de mathématicien. Sa thèse, entreprise à l’Université de Reading aux États-Unis et achevée à l’Université de Hambourg en Allemagne, portait sur les valeurs extrêmes des flux géophysiques. “Il s’agit de déterminer si un événement est un fait rare qui sort des probabilités ou s’il s’inscrit dans un système, par exemple le fonctionnement de l’atmosphère, où des événements grands ou petits reviennent plus ou moins périodiquement, explique le chercheur. Rare ne signifie cependant pas extrême. On ne parle pas ici de la violence inédite d’un évènement, mais du fait qu’il est peu fréquent.” Ainsi, un cyclone qui n’a rien d’exceptionnel d’un point de vue physique peut pourtant occasionner des dégâts immenses parce qu’il traverse des régions mal préparées à affronter vents violents et pluies diluviennes.

En cette année 2012, un projet européen sur le calcul intensif conduit Davide sur le campus de Polytechnique à Saclay. Son profil de mathématicien et de physicien intéresse vivement la spécialiste des turbulences Bérengère Dubrulle (prix Irène Joliot-Curie 2022), qui l’implique dans son équipe. Ce post-doctorat sur le fonctionnement théorique des turbulences l’amène à fréquenter les chercheurs du Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement voisin. Le LSCE s’intéresse aux travaux de Bérengère Dubrulle, car l’atmosphère est composée de tourbillons atmosphériques et de spirales aériennes qui en font un univers chaotique que l’on cherche à traduire en équations. Davide entre ainsi en climatologie.

C’est une période charnière. À l’été 2015, une canicule féroce affecte les travaux de climatologues réunis à Toulouse. Dans les bureaux de Météo France, la question pointe: et si ces températures jamais vues avaient un lien avec le changement climatique ? Et si une augmentation de 1 °C – “seulement” – suffisait à modifier notre environnement ? Car si les évènements météo surviennent naturellement, par le fruit de la rencontre hasardeuse de deux masses d’air par exemple, leur fréquence et leur intensité peuvent être modifiées par la hausse globale des températures. Les chercheurs, dont Robert Vautard, actuellement vice-président du Giec, se mettent au travail.

Une démarche est définie. D’abord, caractériser l’événement selon sa durée et son intensité. Ensuite, à partir des observations collectées sur plus d’un siècle, établir si ce type d’événement est plus ou moins fréquent – et intense – ces dernières décennies. Enfin, montrer que les caractéristiques de l’épisode étudié sont dues à l’augmentation des GES, et non à d’autres causes. Comment ? “En comparant deux jeux de simulations, l’une basée sur l’atmosphère actuelle et sa teneur en GES, à 420 ppm (parties par million) et l’autre reprenant les valeurs de l’ère pré-industrielle, à 280 ppm, ce qui permet d’estimer la différence de probabilité des événements”, explique Robert Vautard.

C’est ainsi qu’est créé le World Weather Attribution (WWA), un réseau scientifique international capable, en quelques semaines, de donner la probabilité – forte, moyenne, faible – qu’un événement est exacerbé par le changement climatique. Prenons pour exemple les trois jours de canicule de la fin juin 2019, qu’ont disséqués les chercheurs du LSCE et de Météo France. Ils ont confronté ces valeurs aux statistiques météo disponibles depuis le début du 20e siècle afin de retrouver des vagues de chaleur similaires. Conclusion: sans les effets du réchauffement climatique, les températures maximales de l’épisode de 2019 auraient été inférieures de 4 °C. Les modèles annoncent par ailleurs que la probabilité que surviennent de tels événements est désormais quatre fois plus grande qu’au début du siècle. Confirmation de ces prévisions a été donnée par la canicule tout aussi forte qui a accablé l’Europe en juin 2022, et qui est notamment considérée par le WWA, pour le Royaume-Uni, comme un événement rare, soit en dehors des variations naturelles de la météo.

La méthode actuelle est satisfaisante, mais lente. Le WWA ne donne son verdict que deux à trois mois après l’événement, ce qui dilue son message auprès du grand public. Davide Faranda préfère l’image “de la vraie vie” et propose donc une alternative. Il devient ainsi en 2020 le coordinateur, au sein du LSCE, d’une unité baptisée “Extrêmes: statistiques, impacts et régionalisation” (ESTIMR). “Nous cherchons dans le passé des évènements similaires à celui que nous étudions, et nous comparons les mécanismes atmosphériques qui ont abouti à ces phénomènes afin de traquer les différences attribuables à la hausse globale des températures”, explique le chercheur.

Le laboratoire a ainsi développé des approches statistiques basées sur des données physiques comme la pression atmosphérique, les vents ou la température, tirées de l’observation des événements extrêmes telle la vague de froid tardive d’avril 2021 en France, ou les tornades qui ont frappé la vallée du Pô en Italie en septembre de la même année. À conditions égales, la différence entre les températures ou les précipitations enregistrées aujourd’hui et il y a des décennies signe une modification qui ne peut être attribuée qu’au réchauffement climatique – la seule autre explication possible étant une variation de la distance entre la Terre et son soleil, impossible sur une durée si courte.

Les responsables devront rendre des comptes

Depuis 2020, le site du Extreme Events Attribution créé par ESTIMR fournit ainsi, en quelques jours seulement, ses conclusions sur les liens entre un phénomène météo et le changement climatique. Sa rapidité permet d’examiner des événements exceptionnels mais moins dramatiques, comme l’incroyable été indien d’octobre 2023 qu’ont traversé la France et une grande partie de l’Europe de l’Ouest. “Cette vague de chaleur est de 1,5 à 4 °C plus chaude que celles qui ont été mesurées par le passé” , constate Davide Faranda. Parallèlement, le site ClimaMeter (en anglais) a été ouvert pour traduire ces résultats scientifiques dans un langage aisément compréhensible.

Publiés par le site Climameter, ces graphiques synthétisent les mesures des climatologues lors de la vague de chaleur de septembre 2023. Ils montrent (en haut) que si l’événement est unique, les variations météorologiques naturelles l’expliquent en majeure partie.

Cet effort de vulgarisation destiné au public le plus large s’inscrit dans une démarche de responsabilité sociale. Car les effets du changement climatique affectent désormais les infrastructures et les biens. Il y a des victimes. C’est tout l’enjeu du débat en cours à l’ONU sur les “pertes et dommages” subis par des populations qui, historiquement, ne sont pour rien dans les émissions de gaz à effet de serre. Les juristes vont donc pouvoir produire devant les tribunaux les preuves scientifiques démontrant qu’il y a bien des responsables derrière les catastrophes, et que ceux-ci doivent rendre des comptes.

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